Soldat Basile ⊗ The devil is in the details

Toute sa vie, la croix autour de son cou a été la première chose que les individus voyaient de lui. Cette croix de couleur or, loin d'en être véritablement, est le symbole de son passé. La secte ne possédait pas les ressources pour du véritable or, mais ce fait ne change en rien sa valeur symbolique. Pourtant, son apparence va bien au-delà de ce simple détail, qui n'est qu'un petit signe d'appartenance à une ridicule religion d'une île recluse. Basile parait faiblard, aux premiers abords. Faiblard, car de son aura androgyne, mêlée à une anatomie svelte, on ne pense pas que le combat et la douleur sont un quotidien depuis sa jeunesse, même son enfance. D'extérieur, avec ses vêtements amples, il ne semble être qu'un adolescent alors qu'il a déjà dépassé la vingtaine.

Ceci ne se trouve être que le visuel d'une première rencontre, en revanche, ce n'était pas totalement faux non plus. Toute sa vie, Basile a fait parti de ces personnes qui ne donnaient pas une forte impression. Toujours les cheveux ébouriffés, sans jamais avoir une coiffure qui donnerait un style rigoureux, il donne aux gens un sentiment de manque de confiance. Bien sûr, le reflet clair de ses cheveux au soleil ne peut cacher la terrible réalité : au niveau de sa nuque, une légère zone semble peiner à pousser... l'anxiété qui le domine depuis sa jeunesse l'a poussé à s'arracher sa tignasse noirâtre au bas de sa nuque. Si aujourd'hui, il parvient à faire un effort pour contenir ses pulsions anxieuses, ce travail est compliqué.

De sa mère, Basile tient une particularité assez rare, partagée avec sa soeur. Une hétérochromie centrale : des yeux majoritairement bruns, cependant plus on se concentre vers l'iris, plus la couleur se rapproche du vert. C'est ce qui lui octroie un regard particulièrement envoûtant, presque hypnotique finalement.

Peut-être faut-il mentionner ses traits fins. Un nez aquilin, sans aucune imperfection et des sourcils qui peuvent presque avoir été épilés, tant ils sont peu garnis de poils. De longs cils mettent en valeur ses yeux particuliers. Oui, peut-être qu'il faut le mentionner. D'autres détails le différencie cependant d'autrui, tel qu'un grain de beauté, à peine visible, au coin de ses lèvres. Un grain de beauté qui se tient au même endroit que les rides du sourire qu'il arbore, apparues après de longues heures de fou-rire avec sa soeur jumelle.
Et ses fossettes, apparaissant lors de ses sourires de rigueur - de rigueur étant un terme important. Basile sourit quasiment à chaque occasion, selon lui le sourire est un calmant de bien des problèmes.

Finalement, le plus important n'est pas cette cicatrice ? La fameuse cicatrice ornant depuis des années la moitié de son visage. À cause des conditions dans lesquelles il a vécu, cette cicatrice n'a pas pu cicatriser parfaitement et est parfaitement visible... Heureusement, aujourd'hui, il conserve constamment son masque, adapté aux couleurs de la marine. Ce nouveau masque arbore donc les teintes blanches et bleus et un sourire est dessiné dessus. Ce demi-masque prend seulement la moitié de son visage, allait du haut de son front jusqu'à ses lèvres ; ne laissant à cette partie couverte qu'un trou pour son oeil.

La réalité étant que le physique peu imposant est loin de témoigner d'un manque de charisme. Il n'est pas de ces personnes si fortes et grandes qu'il faut lever la tête pour les regarder et son physique longiligne peut être le sujet de railleries. Toutefois, grâce à ces faits, il a pu travailler sur son attitude pour dégager quelque chose : ce "quelque chose", correspondant à une certaine confiance en lui qu'il démontre quand cela s'avère nécessaire et en ses capacités d'analyse, cette faculté lui permettant de s'imposer par son aura et surtout, par ses paroles.

Au niveau de ses tenues, il paraîtrait que sa garde-robe ne serait pas très variée : notamment, car ayant eu une vie religieuse, la possession de bien était grandement réprimée. Depuis, ayant travaillé sur ce point, on peut le voir parfois avec une veste bleutée longue ou plutôt une autre de couleur rouge. Ses habits principaux oscillent entre la chemise noire constamment fermée et le t-shirt blanc contrastant avec le bleu de son manteau.
Bien sûr, porter un pantalon est de rigueur et il se contente simplement d'un pantalon de costume, blanc immaculé, pour toujours rappeler la marine.

N'oublions pas que ces tenues camouflent les cicatrices de son corps, obtenues à la sueur d'entraînements douloureux, qui représentaient plus de la violence gratuite.

Nous pouvons mentionner toutes les petites choses qui permettent de reconnaître Basile au détour d'une île ; les mains souvent dans les poches, un mousquet toujours accroché dans le dos, parfois mâchouillant une brindille... et surtout, tripotant la majorité du temps cette croix accrochée à son cou.

Finalement, regarder Basile, c'est constater toute la diversité de son être. C'est remarquer que malgré une apparence adolescente, il en est loin. Il dégage un quelque chose de séduisant, de charismatique, derrière ce sourire de circonstance qu'il a appris à toujours arborer. Cette sympathie qui pourrait grandement déplaire dans des situations de tensions. Que dire de cette démarche nonchalante, alors, qui laisse penser qu'il se fout de tout et surtout de tout le monde ? Que dire de cette mise blasée, lorsque personne ne le regarde et que le poids du monde semble lui tomber dessus ?

Cette éducation religieuse a laissé des traces, comme le don de soi, qui se trahit par ce souci des convenances. Lorsque le rideau s'abaisse, Basile est quelqu'un d'autre. Lorsqu'il est grand ouvert, Basile est souriant, Basile est avenant et pourtant toujours lent dans sa démarche. Heureusement, cette part d'éducation rend l'adaptation aux autres plus aisée. Basile est cette pièce aux deux faces, finalement.

Peu de gens peuvent affirmer avoir vu de la colère sortir de la bouche du jeune homme, car il est dans un contrôle absolu de sa personne, afin d'éviter de perdre la raison dans un moment d'inattention. Il agit toujours ainsi. Il sait que cela pourrait être utilisé contre lui et le secret entourant sa vie et son passé représentent finalement une protection, évitant qu'on use et abuse de faits qui l'ont marqué, blessé, pour lui faire perdre toute lucidité. Pourtant, on ne peut enlever qu'en public, c'est un être particulièrement bavard : comme pour son apparence, est-ce une attitude complètement simulée ou une réalité issue de ses longues sessions discussions avec sa terrible jumelle ? Il pourrait parfaitement être ce camarade ou ce collègue qui vient avec vous boire un verre dans une taverne, après la fin du service et qui s'avère être la pièce maîtresse du moment, emprunt d'énergie, presque hyperactif. Bien trop réactif aux moindres stimulis, Basile connaît, use et abuse des codes sociaux. Comme toujours, sous couvert des projecteurs, Basile est grandement différent que sous la chaleur de son intimité.

Peut-être que, fondamentalement, il est un animal sociable, malheureux lorsqu'il est seul ? La vie dans une secte laisse des traces ineffables, comme une anxiété chronique dont il ne parvient pas à se débarrasser. Une anxiété qui fait parfois encore des ravages, lorsqu'il pense - dans des moments de calme - à sa famille, abandonnée sur cette île de malheur.

Effectivement, il sait ce que vous penseriez de lui si vous aviez accès à son esprit. Il est prêt à tout pour sa réussite et pour ses objectifs, même au plus terrible des actes et c'est pour cette raison qu'il fait preuve d'un contrôle absolu sur sa personne. Un caractère qui semble très calme, mais dont les tréfonds sont peu reluisants, il le sait et tente chaque jour de changer. Et afin d'éviter de sombrer dans de trop sombres idées, Basile tente de respecter au maximum les ordres qu'on lui donne, attendant ce jour où il aura l'influence de prendre ses propres décisions drastiques... Pour l'heure, c'est un marine assidu, respectueux de la hiérarchie et discipliné.

Finalement, ici se pose tout le problème de sa vie : il semble être une personne bien trop lisse, bien trop parfaite, aux premiers abords... et puis, il y a ceux qui connaissent sa vraie personnalité. Il y a ceux avec qui il s'octroie un minimum de liberté.
Derrière sa fiabilité, derrière son côté carriériste, il aime penser qu'une balle perdue n'est jamais trop grave et puis... tout le monde cause des dommages collatéraux, n'est-ce pas ? N'est-il pas la justice divine, après tout ?

La vérité derrière l'apparence adaptée au public et la personnalité douce et calme, est la ferveur d'une religion qui ne sait pas se taire. Malgré une volonté de casser avec ces codes, Basile croit en la réalité d'un dieu, croit en la réalité des démons... Il croit que le monde est bien guidé d'une main de maître par des entités supérieures. Est-ce que les Tenryūbito sont ces divinités ? N'ayant jamais rencontré ces "créatures" qui lui sont inconnues, il ne peut se prononcer et s'en fout. Car il se veut être la main divine du destin et c'est pour cette raison qu'il cherche à évoluer dans le giron de la marine.

Tiraillé entre le calme qu'il s'oblige à avoir par contrôle et une volonté de destruction certaine, Basile montre le courage nécessaire aux marines qui veulent progresser. Dévoué à la tâche, il use de son énergie débordante pour se faire bien voir de ses supérieurs... Pas dans une volonté de lécher leurs bottes : il veut des médailles, il veut des berrys, il veut des titres et du prestige.
Surtout, il veut gravir les échelons pour que la colère emmagasinée pendant de longues années soit utilisée à bon escient, comme un vecteur de force.

Derrière tout cela, il sait une nouvelle fois encore ce que vous pensez. Le masque de son apparence n'est que la transcription réelle du masque de sa personnalité. Dans son esprit, la mort n'est pas un acte grave. Peut-être qu'avoir tué quelqu'un si jeune, pour son propre bien, a biaisé son jugement sur des principes moraux très importants.

Et puis, il y a toujours cette idée de sauver une population qui souffre, celle de son île natale. Sa justice divine - ou justice unique - est pensée dans l'idée de voir, un jour, un seul gouvernement, une seule force, régner en maître sur les flots, permettant ainsi une cohésion entre les îles et un partage des ressources.

Derrière de belles pensées, Basile pense que les pires méthodes peuvent être utilisées dans la réussite de ces objectifs. Seul l'avenir lui dira s'il a raison ou tort.

Avant 1500 — Il y a plus de cent ans, au sein de l’île recluse de Carcinomia, apparut une secte qui allait grandir dans les bas-fonds du Roc. Elle n’était au départ qu’un petit groupement d’hommes, loin de ce cliché de l’enclavement et de la désinformation, dont le but était de concevoir un cocon agréable et serein pour ses membres. Du moins, c’était l’ambition première. La volonté d’un dieu unique n’était pas sans raisons, car après tout, quoi de mieux pour unir que d’avoir les mêmes croyances ? Les trois individus qui fondèrent cette secte se nommaient Herbert, Basile et Carina. De grands amis qui vivaient dans la partie de la ville la plus peuplée, leur permettant d’avoir une certaine liberté. Les trois fondateurs choisirent une apparence tout à fait lambda pour la bâtisse de leur future demeure. Tout se jouait à l’intérieur qui était rempli d’objets qui lentement, gagneraient un rôle symbolique.

Au fil des années, ils rédigeraient traités et oeuvres philosophiques. Carina fut la peintre de la majorité des tableaux qui se trouvaient dans la secte (des tableaux représentant à la fois les fondateurs et aussi l’être qu’ils priaient et ses subalternes). Il leur fallut près de cinquante ans pour rédiger leur livre saint, tandis que les premières générations naissaient dans la secte.

Il fallut encore quelques années avant que le nom secte de la grenade ne soit officialisé, nom du fruit saint qui aurait, dit-on, donné des pouvoirs aux fondateurs.

Année 1608 (naissance) —Des générations étaient nées dans cette bâtisse, elles y avaient grandi, puis y étaient mortes.
Les trois fondateurs avaient donné naissance à trois familles qui portaient aujourd’hui leur nom, malheureusement, la lignée de Basile s’éteignit brutalement - à cause de la faiblesse des membres, qui avaient hérité d’une maladie de leur ancêtre, probablement issu des moeurs de leur religion... Qui évitait tout mélange avec des personnes trop éloignées de leur culte.

Les trois fondateurs avaient ainsi créé une légende, basée sur des éléments simples : pleine lune, lignées réunies, la perte d’un être proche, une période d’instabilité politique, la gémellité et un garçon… Des éléments qui pouvaient presque se trouver à tous les coins de rue, tant ils étaient basiques, assurant la possibilité que cette prophétie se réalise un jour ou l’autre. Presque, car le dernier était bien plus rare (bien que présente au sein de la secte, dont les mariages se faisaient peu avec l’extérieur et où les jumeaux étaient déjà souvent recensés).

C’est ainsi qu’elle se produisit, lors de l’année 1608. Il fallut quelque temps pour se rendre compte de la véracité des événements. Le premier élément fut les lignées réunies. La mère, Emilia, portait le nom Herbert. Le père, lui, était un descendant de Carina. Ainsi, le premier point se réalisa, suivit rapidement du second. Quand le père se rendit compte de ce qu’impliquait sa relation avec sa femme et l’enfant à naître, portant déjà le poids d’une secte qui était bien trop dure à assumer (bien que très positive dans sa naissance, le Saint de la secte demeurait un homme qui aimait contrôler et ne pouvait s’empêcher de rabaisser autrui et d’abuser de son pouvoir), il décida de fuir l’endroit. C’est ainsi que la perte d’un proche ne se fit pas au sens de la mort, mais plutôt du départ, de l’abandon.

Ces deux précédents pré-requis accomplis, il ne suffisait plus de grand chose finalement. Basile naquit un jour glorieux, un soir, alors que la pleine lune ornait fièrement le ciel et que le feu était visible au travers des fenêtres. Ce qui était une piètre altercation entre des pauvres du Roc et la police privée de ce dernier fut interprétée comme la période d’instabilité politique. Alors Basile eut l’infime honneur d’être appelé Trihexa A. Basile, le A voulant dire « Abrasax » ou « Abraxas » selon l’écriture. Que de références religieuses, pour un homme qui allait être au centre de l’attention les prochaines années… Lui qui était le messie, ne souhaitait pas cette place et dut s’accommoder comme il put. Il ne portait ainsi pas le nom de son père, acquérant un statut particulier.

Sa soeur fut nommée plus sobrement, tenant le nom de famille de leur père. Elle fut ainsi appelée Carina Mary et était le sosie de son frère. Ils partageaient les mêmes traits androgynes et étaient souvent confondus.

Année 1612 (4 ans) — Cette année-là, Basile rencontra pour la première fois son géniteur. Un simple enfant de quatre ans n’avait pas le recul nécessaire pour se dire que c’était une mauvaise idée d’ordonner cette rencontre, mise en place par le Saint Zeno qui voyait la nécessité qu’un père tienne sa place auprès d’un enfant « aussi prodigieux ». Aussitôt cette rencontre produite, Basile revint à la maison avec de nouvelles paroles peu délicates à l’encontre des siens et de ses congénères de la secte. Mary, quant à elle, fut choyée aussitôt par ce père absent les premières années.

En réalité, le père de Basile, de son prénom Akihiko, fut véhément auprès de la mère qu’il jugeait coupable de dépravation, d’inconscience d’élever un enfant « dans le cercle toxique » que représente leur lieu de vie. Des paroles qui d’extérieur, seraient particulièrement sensées. Par contre, pour un enfant, l’était-ce ? Finalement, c’était la goutte de la dissension qui s’immisçait dans le vase.

Année 1614 (6 ans)— La première fête en l’honneur de Basile fut donnée au sein de la secte. Cette saynète se jouait devant tous les adhérents de cet ordre religieux, sous le feu des projecteurs pour le jeune garçon. Le stress, avant l’événement, se lisait sur son regard tandis que sa respiration saccadée n’était que le reflet de la crise d’angoisse qui se jouait dans son propre corps.

Basile, cependant, n’avait pas le droit à l’erreur.
Des mois durant, on l’avait forcé à répéter. À jouer le jeu. « Tu leur donnes de l’espoir, Basile. » était la phrase fétiche du Saint de la Secte. De quoi alourdir le poids d’une vie déjà bien compliquée. Et complexer davantage sa jeune soeur qui avait un rôle de figurante dans ce qui était sa propre vie.

Et une nouvelle fois, Basile fut à la hauteur des attentes. Il respecta ce qu'on attendait de lui, malgré le mal-être que ça lui créait. Son jeu d'acteur fut suffisant, alors qu'on lui partageait l'onction. Huiles saintes, eau bénite et pleine lune, trois éléments qui furent importants.

Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’on le préparait à intégrer la milice du Roc, les Énigmatiques. Et que cette pièce de théâtre allait se reproduire, encore et toujours, presque chaque année...

Année 1615 (7 ans) — Qui aurait cru qu'un enfant pourrait apprendre aussi tôt ce que la vie allait lui apporter. Cette année vit le début de son entraînement, un entraînement compliqué, un entraînement douloureux, un entraînement de misère. Malgré un cadre de vie particulièrement malsain - où le contrôle était total sur les faits et gestes des membres de la secte, il n'avait jamais participé à la dure réalité des combats, n'avait jamais vu un seul mort de son existence. Il fallut commencer par des entraînements rigoureux pour préparer son corps à recevoir les coups tandis qu'on martelait son esprit pour lui forger une personnalité solide.

Plusieurs soirs, il pleura. Dans les bras de sa jumelle, Basile ne put se contenir. Elle aurait pu lui reprocher une réalité qu'ils connaissaient bien : il était un privilégié, elle n'était que la pièce rapportée, celle qui servait à le légitimer. Elle connaissait le poids de sa vie...

Et sous le coup des fouets, Basile n'eut d'autres choix que de respecter les volontés des adultes de la secte. Depuis ce jour où sa vie prit une tournure catastrophique, une cicatrice vint orner son visage. Et à partir de là, Basile porta un demi-masque pour camoufler ce qui était une horreur à ses yeux. Et il fit ce qu'on lui disait, encore et toujours.

Année 1618 (10 ans) — Ces trois années furent compliquées. Entre les coups et les corvées, Basile n'eut pas la sensation de vivre sa propre vie. Ses seuls moments furent avec sa soeur, qu'il entraînait de lui-même afin qu'elle soit apte à se défendre, si cela devenait nécessaire. Car son quotidien, à elle, était bien différent : la cuisine était une des tâches que l'on confiait quotidiennement aux femmes. Avec un dieu masculin, il ne pouvait en être autrement ?

Pour Basile, cette réalité n'était pas normale. Elle ne l'était pas, car son père prit une importance pour sa soeur et lui. Lorsqu'ils le pouvaient, ils prétextaient "la nécessité de la figure masculine" pour se rendre chez lui et profiter du calme de sa vie. Et c'est là-bas qu'ils apprirent une nouvelle réalité : les femmes n'étaient pas des esclaves, les femmes n'étaient pas corvéables. Akihiko avait bien fui la secte, mais pour bien d'autres raisons. Il s'était créé un cercle d'amis qui avait montré une nouvelle réalité, qu'il enseigna à ses enfants.
Et il la vit. La lueur dans leurs yeux. Cette lueur majestueuse. Ils écoutaient leur père comme un messie. Ils écoutaient sa réalité, qui semblait si ravissante.

De nombreuses fois, il proposa à ses enfants de quitter la secte.

Et si cette hypothèse était devenue réalité ?

Basile et sa soeur ne trouvèrent pas le courage de le faire. Car depuis la fuite de leur père, les désertions étaient bien plus compliquées, gérées avec plus de violence...

Année 1620 (12 ans) — Le corps de Basile devenait de plus en plus abîmé. On le forçait à combattre au corps-à-corps, à entraîner son physique. Tout le monde aurait pu comprendre que ce style de combat ne fonctionnait pas avec lui. Il lui fallut plusieurs mois de douleur, encore, avant que son père ne lui offre sa première arme. Peu fortuné, son paternel n'avait guère les moyens de lui donner quelque chose de luxueux, il était pourtant parvenu à trouver une poivrière, arme certes peu précise, mais à distance proche, elle faisait un travail conséquent.

À l'âge de douze ans, il put être considéré comme un meurtrier. Ce jour-là, il avait le regard du démon. Alors que son instructeur le fracassait de coups, Basile recula, sortit son arme et fit feu. Ce jour-ci, il tua un membre de la secte. Un cousin ? Un oncle ? Il n'en savait rien, ne s'était jamais penché sur la généalogie des siens, si ce n'étaient ses ascendants directs.

Basile fut pardonné pour ce "crime". Le Saint Zeno le regarda avec admiration. Le soir même, sa soeur fit une nouvelle remarque, emprunte de réalité. "Si ça avait été moi, Basile... Si je l'avais fait, tu sais ce qui me serait arrivé... Et il en avait conscience. Il le savait. Il ne fit qu'acquiescer et ne comprit pas tout de suite.

Après l'événement, Basile débuta un nouvel entraînement basé sur les armes à feu. Il reçut son propre mousquet, qui allait devenir son arme fétiche. Sa haine continua de grandir face au système de l'île. Jamais personne n'avait mis son nez dans les affaires de la secte. Les clans étaient bien trop occupés à perpétuer leur système malsain. La misère se répandait dans le Roc et ses alentours. Et surtout, la secte offrait quasiment chaque année des recrues pour les Énigmatiques, permettant que les yeux ne se tournent pas sur eux...

Probablement, aussi, que l'éducation enclavée au sein de la secte, plus vraisemblablement la manipulation qui s'y jouait, empêchait les révoltes.

Année 1621 (13 ans) — Ce fut la première réunion entre Basile, ses parents et le Saint Zeno. Son père y était convié et fut particulièrement véhément. Le Saint de la Secte requérait que Basile fasse son entrée au sein des Énigmatiques tandis que ses parents semblaient contre l'idée, car les membres de la secte n'étaient pas réellement bien préparés et que la majorité mourraient lors des entraînements pour entrer chez ces assassins.

Il donna un délai. En effet, la secte possédait un contrat avec le clan Avast et envoyait régulièrement ses jeunes dans ce corps d'assassins. Au début de sa seizième année, il devait être pleinement intégré là-bas, au risque de sanctions.

Année 1621 (13 ans) — Basile prit l'habitude de se rendre seul aux ports, tantôt l'un, tantôt l'autre, afin d'y entendre les histoires des marins. C'est cette année qu'il entendit pour la première fois des histoires au sujet des marines, qui répandaient soit disant la justice du gouvernement mondial. Des histoires qui emplirent son esprit de rêves...

Année 1623 (15 ans) — Ces années ne furent pas plus compliquées que les précédentes : Basile continua son entraînement, n'ayant d'autres choix que de se plier aux ordres. Cependant, l'heure, les jours et les années se succédaient, approchant de son futur anniversaire.

Il ne voulait pas.
Elle voulait.

Deux différences majeures.

"Si ça avait été moi, Basile... Si je l'avais fait, tu sais ce qui me serait arrivée... avait-elle dit, trois ans auparavant. La solution était là.

Ce fut une année compliquée pour Mary, qui allait devoir redoubler d'entraînement et se faire passer pour son frère. Leurs physiques androgynes aidaient grandement, ils pouvaient aisément partager leurs vêtements. Mary allait devoir cacher au mieux sa poitrine, notamment avec des bandes, mais elle était prête à ce sacrifice.

Le garçon se mit à voler régulièrement de l'argent dans les coffres de la secte. Les membres qui gagnaient leur vie avaient pour ordre de mettre en commun leur salaire, qui était sous clé, protégé par le Saint Zeno. Basile connaissait cependant l'homme et ses cachettes. Il n'eut aucun mal, plusieurs semaines d'affilées, à voler de petites sommes pour amasser suffisamment de berrys.

Le plan se mettait en place. Les jumeaux étaient prêts à se quitter. Sa soeur, ayant toujours vécu dans son ombre, avait hâte d'avoir enfin une place de premier plan. Et elle ne voulait pas abandonner leur mère, ni leur père. Et surtout, elle n'avait pas le courage de quitter l'île.

Année 1624 (16 ans) — Le jour de leur anniversaire, Mary et Basile se rendirent au port 3 de Palafitte. Tout avait été prévu et la personne en charge du transport était consciente de cette aventure. Les jumeaux avaient échangé leurs vêtements, Mary revêtit le demi-masque de Basile et son long manteau. À partir de ce jour, ils échangèrent de rôle aux yeux de la secte, s'échangeant leurs dernières paroles.

"Je te fais la promesse de revenir, Mary. Je vais revenir et tous les détruire. Détruire ce système et ces bons à rien qui ne pensent qu'à manipuler. Ces individus dont le seul objectif est d'asservir et de mépriser autrui. Ces individus qui se battent pour un contrôle éphémère, qui ont fait de nous les pauvres de leur univers. Je veux leur apporter la justice... Non, ma justice divine." prononça Basile et ce furent ses dernières paroles à sa soeur et surtout son futur credo. La justice divine qu'il mentionnait et qu'il nommait parfois justice unique était la volonté d'unir les recoins de Carcinomia pour partager les ressources et la volonté d'avoir un seul gouvernement sur l'île...

Et ainsi, les jumeaux se séparèrent. Basile quitta l'île et ne retrouva son identité que plusieurs îles plus loin.
Aux yeux de la secte, ce jour-ci, Mary (sous l'identité de Basile), exploita un simple mensonge qui semblait cohérent, aux yeux de tous. Elle aurait été kidnappée et enlevée par un sous-marin et Basile n'aurait rien pu faire, trop faible pour les confronter. Le Saint Zeno ne sembla que peu contrarié... Ce qui n'était guère le cas des parents.

Année 1627 (19 ans) — Il passa trois années en mer, suivant le capitaine qui lui avait permis de fuir l'île de Carcinomia. Il avait payé son premier voyage et avait créé un lien avec ledit capitaine, lui permettant de profiter du trajet contre une rétribution simple : aider dans le navire, aider au port de marchandises et autres tâches simples qui permettaient au capitaine de ne pas payer quelqu'un pour cela. Cependant, au bout des trois années de service (et d'entraînements !) de Basile, le capitaine prit la décision de faire un détour par Carcinomia. Le jeune garçon, devenu adulte, ne souhaitait pas y retourner.

Il prit donc un chemin différent ce jour-là. Après trois années d'entraînements, n'était-il pas temps de se prendre en main ? Après trois années à s’adapter à autrui, à partager son temps avec d’autres marins et à broyer du noir dans la solitude de sa cabine, il allait devoir explorer de nouvelles pistes d’évolutions…

Année 1628 (20 ans) — Il vécut une année assez mouvementée. Partagé entre l'idée de rejoindre la marine et la volonté d'accroître sa force, ne se sentant pas apte d'être dans les rangs de ces soldats expérimentés... À ses yeux, les marines étaient forcément puissants et compétents. Lui, pourtant si confiant, se sentait peu enclin à être confronté au regard d'autrui et à son piètre mousquet, qui ne ferait probablement pas le poids face à d'autres techniques de combat.

Il s'entraîna donc. Beaucoup. Il vécut une une vie de misère, pourtant, cela ne le dérangeait pas, car la vie dans une secte était déjà fortement austère. Puis il prit son courage à deux mains. Le BAN, centre de formation de la marine d'élite. Il s'y rendit et débuta une nouvelle année de calvaire... Pire que la secte ? Finalement, peut-être pas. Extrêmement difficile, ceci dit, puisque malgré ce qu’il avait vécu par le passé, rien n’égalait cet entraînement si féroce. La seule différence entre lui et les autres recrues, était cette force à cacher et à refouler ce qu’il ressentait.

Année 1629 (21 ans) — Finalement, au bout d'une année éprouvante et face à des résultats surprenants pour sa taille et sa corpulence, Basile put officiellement rejoindre le corps de la marine d’élite, de nouvelles techniques de combat prêtes à être exploitées.

Enfin, le chemin vers un nouveau destin s’ouvrait.