Présentation de Raven

Allongée sur le lit de ma cabine, fixant le plafond de bois tout en écoutant les vagues frappant sur la coque du navire, je pousse un profond soupir, exténuée de ma journée.
Exténuée, et pourtant, le sommeil ne vient pas, mon esprit tournant en boucle sur les doutes qui m'envahissent à chaque fois qu'une telle affaire se termine... Est ce que ça en vaut vraiment la peine ? Sommes nous dans le vrai ? N'y a t'il pas d'autres moyens ?
Levant alors mon bras gauche vers le ciel, je laisse ma prothèse de main s'ouvrir pour laisser apparaitre l'alliance que je cache au monde mais que je n'ai jamais pu me résoudre à enlever. Et la simple vu de ce bijou me rappelle alors le pourquoi. Pourquoi nous avons décidé de faire tout cela.

- Ce serait quand même plus simple si nous pouvions être ensemble comme nous nous le sommes jurés...
- Tu me manques aussi.

La voix provient de l'escargophone que j'ai posé sur le lit, à côté de ma tête. Dire que j'étais septique sur le bien fondée de cet achat lorsqu'il me l'a proposé à l'époque. Mais très vite c'est devenu un rituel : chaque jour, nous nous appelons même si c'est pour ne rien dire. Et pourtant, c'est un risque énorme que nous prenons en les possédant, surtout moi. Si par malheur on devait me le voler, cela mettrait en péril sa vie. Et beaucoup trop de gens dépendent de lui, de nous. Nous qui avons créé l'Armée Révolutionnaire et lui qui en est le guide.
Lui qui est ma principale raison de vivre. Lui et la cause, bien entendu. Je ne me pardonnerai jamais si l'un des deux devaient souffrir par ma faute...

- Tu penses que tu seras sur Jaya ?
- Ce serait problématique si j'y suis envoyé...
- Oui. Moi je pense y aller si ça te va. On pourra se voir où tu sais tant que je serais dans le coin.

Parler toujours en sous entendu, sans jamais révéler d'information qui pourrait aiguiller une interception de communication même si nous prenons toujours soin de lié un denden blanc à nos vital denden. C'est une des conditions que j'ai imposé pour m'assurer sa sécurité. Ça et la promesse qu'il ne cherchera pas à intervenir si il voit l'escargophone qui m'est lié dépérir. Promesse qu'il a faite, mais que je crains qu'il ne tienne pas. Moi en tout cas je ne la tiendrai pas. Sauf que moi je ne peux pas me déplacer comme lui grâce à son fruit du démon.

Et puis, comme il me l'a si bien dit, la cause pourrait elle avancer si elle perdait son guide et un des membres du conseil des dragons dans le même temps ? Mais moi, si je le perds, réussirai-je encore à avancer sans être totalement envahie par la haine ? Déjà qu'actuellement, les souvenirs qui remontent parfois dans mes rêves me mettent dans une colère si noire que même mes amis les plus proches ne me reconnaissent pas. Dans ces moments, il n'y a que Sa voix qui sait trouver les mots pour me faire reprendre pieds. Sans elle, je serais prête à escalader Redline à main nue pour aller tuer ces cinq salopards qui jouent aux dieux, ainsi que toute cette engeance arrogante que sont les dragons célestes, les plaies de ce monde. Dans une moindre mesure, il m'arrive de faire des choix parfois bien radicaux quand cela arrive...

- Je ne sais pas si c'est une bataille qu'on peut gagner.
- Si Adela meurt, ça sera une victoire.
- Une victoire qui risque d'être trop couteuse...
- Dans ce cas nous devrions profiter de cette attaque pour faire un autre coup qui nous serait facilement favorable... Nous pourrions tuer deux dieux en même temps...
- Tu sais que je te fais confiance.
- Oui.

Je m'assoie sur le lit alors que déjà dans ma tête les rouages de nos forces et des plans que nous pourrions avoir se mettent en place, pesant le pour et le contre, les avantages qu'on y gagneraient et les pertes engendrés... Car tout n'est que calculs et dosages. Je reste là un long moment sans bouger, sous le regard des nombreux dendens entreposés dans ma cabine et mangeant nonchalamment des feuilles de salades mises à leurs dispositions. Une collection qui peut surprendre quand on ne me connait pas, moi et ma lubie pour ces petites créatures si utiles et pourtant si incomprises, bien trop souvent traitées comme de simples machines...
Ils ne sont pas si différents des esclaves quand on y réfléchit un peu. Mais eux sont si mignons...

Ce ne sont pas mes petits protégés qui me sortent finalement de ma réflexion qui pourrait bien durée des heures sans même que je m'en rende compte. Non, ce n'est rien d'autre que mon reflet dans le miroir face au lit, au côté de celui du denden relié à mon mari.

Dire que j'ai eu la chance d'être choisie par un tel homme...

Ce reflet que je vois en face de moi... Il a tellement changé depuis le jour béni de notre rencontre. Je m'en souviens comme si c'était hier et malgré tout ce qui a pu se passer après, cela restera à jamais un souvenir heureux.
J'étais jeune à l'époque, je devais avoir tout juste 18 ans. Ma peau de nacre et mes cheveux d'ébènes n'avait encore jamais réellement pris le soleil, alors que j'évoluais dans la mer. Oh bien sûr j'étais allée plusieurs fois à la surface, mais je n'y restais jamais assez longtemps pour que ma peau brunisse. Et puis j'ai posé mes yeux gris sur toi et tout a changé. Pour la première fois de ma vie, j'ai voulu être plus qu'une guerrière sirène en quête de justice. J'ai soudainement pris conscience de mes formes, de mes cheveux lisses que je devais coiffés, de ma poitrine pouvant être mieux mise en valeurs, des reflets de mes écailles sous la lumière du soleil...

Cela remonte à si loin... Et maintenant, que me reste t-il de cette époque ?

- Au fait... Je me suis fait changer mes yeux...
- Hm...
- C'est mieux ainsi. Pour la cause. Et puis ça se voit à peine.
- ...
- Sauf quand je les active... Ils deviennent bleus lumineux.

Il garde le silence, augmentant un peu plus ma culpabilité vis à vis de lui mais... je devais le faire. Même si je l'ai fait sur un coup de tête, cette idée me trottait depuis bien trop longtemps. Je sais qu'il n'apprécie pas que je me cybernétise plus que "l'accident" m'y a obligée, transformant alors ma queue de sirène en jambes d'aciers et prenant en même temps mon bras gauche, amputé juste au dessus du coude et remplacé par une prothèse.

- Désolé, je devais le faire.
- Je sais.

Si au départ ce nouveau corps a été très dur à m'approprier, il a finalement été d'une certaine délivrance sur mon passé. Tout comme la décision de couper mes cheveux en un carré court. Grâce à ces prothèses assez discrètes malgré quelques jointures apparentes et la froideur de leur métal, j'ai pu enterrer mes anciens rêves de sirène Malapterurus electricus pour devenir la révolutionnaire cyborg que je suis.

- En plus, je suis sûre que tu ne remarqueras rien quand tu me verras, alors que moi je vois très bien cette barbe depuis 11 ans !
- Ça te plait pas ? Elle est pourtant si douce.

Sa voix soudainement allégée par l'humour me rend mon sourire, devenue assez rare ces fameuses onze années que nous avons passé séparé l'un de l'autre, à nous voir que quelques jours par ans... Une séparation bien pesante mais nécessaire quand on lutte contre un ennemi comme le notre.

- Ça veut dire que tu l'entretiens alors ?
- ... Non mais j'ai le poils naturellement doux...
- Je vois que tu as toujours une bonne Excuse...
- C'est surement parce que tes Renseignements manquent de précision.
- Oui... C'est évidement.

Parfois, je regrette que ce soit nous qui devions changer le monde. Mais ce reflet dans cette glace, ces prothèses et maintenant mes yeux artificiels me rappellent pourquoi ce doit être nous.
Nous avons vécu la pourriture du gouvernement mondial, et nous avons la force de faire changer les choses. Il n'y a pas de doute à avoir, nous faisons ce qui est juste, ce qu'il faut.
Ce que nous devons faire.

De nouveau allongée sur le lit, les pieds posés sur le mur du côté de la tête de lit, je laisse mes pensées vagabonder dans mes souvenirs.

- C'est quand même fou ce qu'on est devenu... Dire que quand j'étais jeune, je voulais juste construire une ville sur une île déserte où les hommes poissons et les sirènes pourraient vivre en harmonie avec les humains, comme le voulait la reine Otohime que mon père admire tant.
- Tu oublies aussi le duel contre un roi des mers non ? Héhé.
- Raah tu devais oublier cette épisode là toi ! Et puis c'était juste un stupide pari avec un petit merdeux d'homme poisson dont je me souviens même plus le nom qui affirmait que les sirènes ne pouvaient pas être aussi fortes que les hommes poissons. Fallait bien que je le contredise !
- En tuant un roi des mers ?
- Oui bah... J'étais jeune... Et puis, tu te moques mais si j'avais pas essayé d'en battre un, je me serais pas retrouvée blessée sur ce rocher au milieu de nulle part où tu m'as trouvée !
- Mais je ne me moque pas ! J'ai toujours trouvé cela impressionnant, c'est bien pour ça que je m'en souviens.
- Tu mens ! Je suis sûre que tu mens !
- Pas du tout ! Et tu avais ces petites joues toutes roses avec ton air faussement contrariée...
- Tu vois que tu te moques !
- Jamais. Sinon je n'aurai pas accepté de te garder.

Je me tais un instant, souriant en repensant à ce moment où, sur un coup de tête, j'ai décidé de le suivre avec uniquement mon sabre et mon tshirt. C'est d'ailleurs grâce à cela que je suis devenue médecin pour la marine... Parce qu'au début, malgré ce qu'il peut dire, monsieur avait dit non à ma requête de rester avec lui. Je me souviens encore avoir simulée sur le fait que j'avais encore trop mal pour nager afin de rester quelques jours de plus avec lui et son équipage de marines. Jusqu'à ce qu'il me voit entrain de me grandir au maximum sur ma nageoire censément douloureuse pour attraper un livre en hauteur et que cela confirme ses doutes sur mes mensonges. Il a bien essayé de me dissuader de mon choix : entrer dans la marine, comme lui, afin d'aider les plus faibles et trouver l'île idéale pour mon grand rêve... J'avais un tas d'argument qui même s'ils étaient tous vrai, n'était pas la principale raison : j'étais amoureuse, tout simplement.

- Tu dis ça alors que tu voulais pas de moi à la base !
- Je ne voulais pas que tu finisses comme moi...
- Contre Amiral ?
- Désabusé.

Je laisse retomber mes pieds sur le matelas tandis que mon sourire s'efface. Désabusé oui, c'est le mot. On a pourtant réellement essayé de faire le bien et la justice dans la marine. Lui est même devenu amiral en 1615, juste après notre mariage la même année que nous avons célébré sur l'île des Hommes Poissons, en présence de mon père, Tobio Loskitu. Et moi, j'avais brillement réussi à intégrer toutes les notions de médecine classique que je pouvais, devenant médecin général des armées, réussissant même à rejoindre son équipage après plusieurs demandes d'affectation.

Pendant deux ans, nous avons vraiment été heureux en naviguant ensemble. Assez heureux pour fermer les yeux sur les injustices que le gouvernement mondial cautionnait malgré le léger pincement au cœur que cela nous provoquait. Mais notre vie était trop belle pour qu'on se la laisse salir par quelques exactions. Du moins, jusqu'à ce que celles ci nous frappent de plein fouet.

- Tu sais... Parfois je me demande si je n'aurai pas du insister pour que tu repartes... Peut être que... Si je t'avais dit à quoi t'attendre à l'époque...
- Je t'aurai alors dit que nous ne serons pas trop de deux pour changer les choses. Chasse ce doute mon amour, à l'époque c'est toi que je voulais et rien ne m'aurait fait reculer. Sauf si tu m'avais détesté mais en aurais-tu seulement été capable ?
- Hmf, non.
- Alors ne regrettes rien. Moi, je ne regrette pas. Enfin, pas ça en tout cas.
- Je sais à quoi tu penses et arrête, tu sais très bien que tu n'es pas responsable...
- J'aurai du me planter une balle dans la nageoire ce jour là...
- Tu sais très bien que ça n'aurai rien changé.
- Alors dans sa tête.
- Tu étais bien trop intègre pour en avoir simplement l'idée.
- Ouais... Jeune, sirène et naïve... Mes trois défauts de l'époque.

Oui, être une sirène dans la marine, même dans la scientifique, c'est vraiment un défaut. Déjà à cause des vieilles légendes pour enfants avec lesquels les marins ont grandi : la sirène si belle et séduisante qui chante d'une douce voix cristalline... Personnellement, j'ai jamais su chanter et étant amoureuse de celui qui est devenu mon mari, les gros lourds de marines me gonflaient. Et puis une sirène qui a moins de trente ans, ça n'a pas de jambes... Du coup j'ai eu le droit à un équipement technologique pour me permettre de marcher : un genre de robot que je pouvais directement brancher dans ma moelle épinière pour le contrôler comme des jambes. Pratique mais encombrant... Enfin ça encore c'était gérable.
Ce qui l'a moins été et qui nous a entrainé sur la voie de la révolution, c'est ce bâtard céleste devenu vice amiral parce que papa l'a demandé aux cinq étoiles. Et forcément, le petit dragon voulait une sirène dans son équipage. C'est ainsi qu'on m'a arrachée à l'équipage de mon époux pour me mettre dans les pattes de ce dragonneau de pacotille. Ça a été une année terrible pour moi, à plusieurs reprises j'ai du m'enfuir pour ne pas être abusée. Et je ne compte pas le nombre de châtaignes que je lui ai mis... Cela a duré un an, pas plus. Pourquoi ? Parce que le gouvernement a soudainement décidé de se débarrasser de lui.

Comment je le sais ? J'étais avec le dragon quand il est mort. J'ai vu de mes yeux l'empereur Ravrak le pourfendre... Et j'ai entendu les paroles que le pirate lui a dit avant de le tuer. "Tes dieux ne te sauverons pas puisque ce sont eux qui m'ont permis de te tuer..."

Paralysée par mes blessures, passant pour morte, je ne pu rien faire pour les arrêter. Et en entendant ces mots, je compris alors, pour avoir vécu avec cet équipage de marine, que les déboires du vice amiral avait finalement fait réagir le gouvernement mondial. Une réaction que nous attention tous impatiemment de la part des étoiles, et qui finalement, signa l'arrêt de mort de tous ces honnêtes marines qui avaient été livrés en pâture à un idiot de dragon céleste. Sans renier cette horrible décision qui semait le chaos et le déshonneur dans la marine, les vénérables avaient fomenter un piège avec Ravrak pour se débarrasser de leur épine dans le pied sans avoir à remettre en question le statut des descendant des créateurs du Gouvernement Mondial, quitte à supprimer des centaines de vie en même temps.

Tous moururent ce jour là. Tous, sauf moi.

Coincée sous mon prototype de marche, j'attendais la mort depuis deux jours quand mon homme m'a trouvée et où, malgré ma faiblesse, je lui expliquais, le suppliant de ne pas me ramener là bas. Il m'a alors conduite sur le nouveau monde, sur l'île céleste de Paradiso qui exècre le gouvernement mondial. C'est là bas qu'ils m'ont construit mes prothèses pour remplacer mes membres manquant... Ma queue de sirène ayant été sectionnée dans la confrontation, ils la remplacèrent par des jambes cyborgs tandis que mon bras trop endommagé pour être soignée du être coupée et lui aussi remplacé par de la technologie.
D'un commun accord, nous avons décidé qu'il valait mieux qu'Ellen Fuuryuko soit considérée comme morte avec tous les autres membres d'équipages du Vice Amiral céleste...

Cela m'a pris plusieurs mois pour l'accepter et finalement renaître sous le pseudonyme de Raven, en référence à la couleur de mes cheveux, une idée de mon homme. Et même si aujourd'hui la douleur de cet événement est partie, il me reste encore une amertume qui ne passera probablement jamais. Du moins, pas tant que les dragons célestes et le Gouvernement Mondial existera. Car en plus de me voler mes membres, le gouvernement nous pris notre rêve de construire une famille du fait de mes blessures...

Voilà pourquoi un an après cet événement, nous avons créé le conseil des dragons et l'armée révolutionnaire. C'était en 1618.

- Dire que ça fait déjà plus de 10 ans...
- ...
- Ne te méprends pas... Simplement je me demande si nous aurons l'occasion de vivre à nouveau ensemble avant de mourir...
- Dès que ma couverture sera grillée.
- Ou dès qu'on aura réussi...
- Oui.
- Bon. Comme il est pas question que tu te fasses prendre, je vais retourner bosser.
- N'oublie pas de dormir un peu quand même.
- Tu me connais.
- C'est pour ça que je dis ça...

Lui souriant au travers de l'escargophone, je coupe alors la conversation avant de me faire sermonner plus que cela et range l'animal dans l'espace de ma jambe cyborg qui lui est dédié. Faisant disparaitre mon alliance dans ma main cybernétique, je me relève alors pour retourner sur le pont de mon navire et organiser nos prochaines manœuvres avec mon équipage.

Dix ans. Cela fait dix ans maintenant que je parcours le monde, récoltant des informations dans les îles les plus susceptibles de rallier la révolution, démarchant certains souverains et généraux, convaincant des officiers que je connaissais de nous rejoindre, libérant des esclaves et prisonniers injustement enfermés... Dix ans... Ça peut paraitre une éternité, mais ce n'était qu'un commencement.

Il est temps d'accélérer le mouvement pour changer le Monde.