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Tirer n'est pas tuer


Tirer n'est pas tuer


1622
Péninsule des Tigres
Village de Hei, province de Huian


Trente-trois ans d’existence depuis peu… Un chiffre ambivalent selon la numérologie kanokunienne. Affalé dans son fauteuil, Feng se massait distraitement les tempes en respirant une douce odeur d’encens provenant du bâtonnet qui finissait de se consommer sur son bureau. A peine son anniversaire terminé qu’il rempilait sur une intense semaine de travail. D’un air lassé, il observait avec une tendre appréhension la pile de dossiers administratifs qui lui restait à traiter. Il supervisait la bourgade de Hei depuis près de six mois et il avait l’impression de mourir à petit feu. Le passage par un poste de supervision était cependant nécessaire pour cimenter son ascension dans le Parti de la Tradition. Le gouverneur le lui avait bien fait comprendre malgré ses protestations pour rester auprès de son sifu. Un an pas plus lui avait-il dit. La moitié de la peine effectuée, le Han comptait déjà les jours.

D’un mouvement de poignet, il agita la clochette qui lui servait de signal pour convoquer Peng, son majordome. Il opina du chef en direction d’un joli tas de documents et le vieil homme se chargea de récupérer la liasse fiscale destinée aux percepteurs régionaux de l’Empire. Voir la pile fondre un peu constituait déjà une petite victoire en soi. Il fallait capitaliser sur ces petites victoires s’il voulait avoir l’impression d’avancer dans ses tâches. Mais rofl… Que c’était rasant. Écouter et résoudre des histoires de vieillards qui s’écharpent pour des mesures cadastrales ou des guéguerres de clochers commençait à lui taper sur le système. Il se rappela un instant les moments où il avait dû se salir réellement les mains pour paver le chemin de la carrière du gouverneur et sourit. Au moins c’était du vrai boulot. Les choses avançaient.

Le destin fit mentir Feng car sa journée ne faisait que commencer. Et il ne pouvait pas se douter qu’il devrait reporter l’imputation de toute cette paperasse à minima au lendemain. Enfin… Quand la porte de son office s’ouvrit en trombe pour laisser apparaître un villageois du nom de Dang Jones, il vit au visage de ce dernier que quelque chose se passait dans le bourg. Tout pantelant, le pauvre homme était un cantonnier en charge de la voirie. Forçant un peu trop sur la bouteille, il avait eu affaire à Feng quelques mois plus tôt mais ce n’était pas un mauvais bougre.

« Tribun Han, vous devriez venir voir dans la grand-rue. Il y a du grabuge et ça risque de mal tourner. »

Le ton avec lequel il avait dit cela ne goûtait guère à Feng qui se redressa de tout son long. Il fit signe à Peng de s’occuper de recevoir les gens en son absence. Le vieux majordome opina calmement du chef et s’éclipsa tandis que le Han empoignait d’une main la guandao posée sur un présentoir derrière lui. Déjà revêtu de l’armure officielle de l’Empire et de la livrée rouge correspondante de l’armée, il avait fière allure quand il sortit en trombe de son bureau à la tête d’une dizaine de miliciens. Cela dit, jamais n’aurait-il pu prédire ce qu’il allait rencontrer…


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Tirer n'est pas tuer

With Feng Han


Si dans ce pays les histoires mentionnèrent les dragons, ces impressionnantes créatures légendaires comme un symbole d’énergie et signe de bon augure, dans d’autres îles ces bestioles ne furent pas très bien accueillis. Chez Jaina Rosenberg, les Chapeautés citèrent rarement ces monstres mythologiques. Là-bas, dans sa contrée de Far-West, les bovidés dont les bisons et les vaches représentèrent sa bonne vieille Hat Island. Alors, sur le dos de son cheval, les mains sur la corne de sa selle, la cow-girl fut assez surprise de ne pas rencontrer ce genre d’animal à Kanokuni.

Néanmoins, l’ambiance exotique charmait l’albinos qui était curieuse de se rendre dans les diverses boutiques pour découvrir les produits de ce pays. Malheureusement, son compte en banque frôlait la pauvreté, le moindre Berrys était très important pour le bien-être de Jaina. Difficile tout de même de ne pas résister à la tentation d’acheter de la nourriture locale en guise de gourmandise, surtout lorsque des vendeurs se comportant comme des hyènes tentèrent de barrer la route à Rosenberg. Leur but ? La faire céder à vider son portefeuille pour des babioles inutiles, mais très attirante pour les touristes. Plus d’une fois la célèbre Louve Blanche força le passage en manquant d’écraser par les sabots de sa jument les enquiquineurs.

Pourquoi la pistolera se trouva si loin de chez elle ? Pour découvrir le monde dans un premier temps, puis chercher des proies afin d’être la superprédatrice des tireurs. La carnivore aurait entendu dire que l’île regorgerait de succulents gibiers. De personnes se prétendant être très adroit avec une arme à feu. Désireuse de les chercher, de les trouver puis de les tuer, Jaina ne perdit pas de temps pour s’aventurer à Kanokuni. Elle débuta sa traque dans la Péninsule des Tigres plus exactement dans le village de Hei. L’endroit fut fort accueillant et Rosenberg ne manqua pas d’admirer de charmantes louves habitants les lieux. Heureusement que ses iris d’un rouge flamboyant se cachèrent sous les verres de ses lunettes de soleil, car la hors-la-loi pourrait s’attirer la foudre des maris des jolies dames.

Repérant une étable, la cow-girl s’empressa d’acheter une chambre entre guillemets pour sa meilleure amie. Elle paya en prime le propriétaire des lieux pour qu’Orphée puisse profiter d’un bon entretien. Brossage, changement des fers, hydratation des sabots et tous les autres services qu’exerçait le gérant.

Désormais sur le plancher des vaches ou plutôt des tigres, la cow-girl resserra son ceinturon, étira son dos puis sortit une clope de sa boite métallique. Elle alluma la tête de sa cibiche avec son briquet à l’éffigie du grand Sogeking. Savourant sa drogue, Jaina reprit sa chasse en s’aventurant dans la grande-rue. Sa traque ne dura pas longtemps lorsqu’un honnête citoyen se vanta auprès d’une demoiselle ses talents de fins tireurs. Mentait-il ? Disait-il la vérité ? Si la donzelle était totalement charmée, l’appétit vorace de la Louve Blanche se réveilla aussitôt.

« Tu te vantes d’être extrêmement rapide au tir ? » questionna l’albinos qui reçut aussitôt des menaces, des injures à son encontre, car Jaina gâchait les tentatives de séduction du dragueur. Aussitôt, elle balança un de ses deux revolvers aux pieds du bougre. « Je te défie en duel. » dit-elle avant de tirer près du soulier droit de l’homme à cause d’une autre insulte à son égard.

Allait-il jouer le jeu ? Défier Rosenberg dans un combat singulier ? Absolument pas. Il se défila, la queue entre les jambes. Un menteur, une fois de plus, comme son ex-compagnon qui s’était enfuit en apprenant que sa louve était enceinte d’un louveteau. Ramassant son pistolet qui devait servir à son adversaire, la dame qui préférait ne pas abattre sa cible dans le dos, tira à côté. L’ogive fila dans les airs, dépassant le fuyard dans une ligne droite puis retomba dans un arc de cercle. La balle ricocha sur le sol et se logea dans la jambe du beau séducteur.

Allongé sur le sol, hurlant à la mort et implorant le pardon, la fille de l’Homme à l’Harmonica attrapa son instrument à elle et commença à jouer une douce mélodie. Elle réduisit lentement l’espace qui la sépara de sa proie. Son pouce valide poussa le chien de son revolver, son index caressa le pontet de l’arme. De sa santiag, elle fit rouler sa proie sur le dos. Elle posa son pied sur le ventre du désespéré et s’apprêta…à l’exécuter…



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Les miliciens et le lanceur d’alerte prirent la route bon train pour se rendre dans la grand-rue au plus vite. Le lieu n’était pas loin du tout, quelques centaines de mètres tout au plus, et le Han avait d’abord pensé y aller à pied. C’est alors que la détonation avait claqué, résonnant dans l’air comme un appel à l’aide. Pour que quelque chose fasse ce bruit ici, il y avait deux possibilités. Soit l’année du Tigre venait de commencer plus tôt que prévu, soit un individu mal intentionné avait en tête d’oublier les nombreuses règles et lois qui caractérisaient l’Etat de droit dans l’Empire. Etant donné que l’année du Tigre n’arrivait que dans plusieurs mois, la seconde option était la seule envisageable.

D'un sifflement sec, Feng fit jaillir de derrière le bâtiment administratif duquel il sortait sa monture. Xiǎo Léi était la rejetonne d’un de ces magnifiques chevaux de guerre qui s’échangeaient entre les soldats de tout le pays à prix d’or. Âgée de sept ans, elle détonnait dans son caparaçon rouge et or aux couleurs de l’Empire et portait fièrement le casque doré traditionnel à tête de dragon dont étaient affublées les montures des dignitaires impériaux. La laissant passer à côté de lui, Feng l’empoigna au passage et se hissa sur son dos à cru avant de laisser sa guandao flotter le long de l’encolure de l’animal.

En un instant, il venait de dépasser sa troupe d’hommes armés d’une quinzaine de mètres. Le temps pressait et la vie de quelqu’un était en danger, il ne pouvait pas se permettre d’attendre. Sur les quelques pâtés de maison qui l’amenaient à la grande rue, il en apprit plus sur la situation en saisissant des bribes de discussion d’individus loquaces et peu intéressés à rester non loin du lieu d’où était parti le coup de feu. Des gens sages en somme. Apparemment, une étrangère avait voulu défier quelqu’un en duel. Défier quelqu’un en duel ? Cette simple idée semblait des plus saugrenus pour le tribun impérial. Kanokuni était-elle devenue une de ces nombreuses îles de non-droit comme il y en avait une multitude à travers les Blues et la Route de tous les Périls ? Le Han avait-il consommé des produits opiacés sans s’en rendre compte et venait-il de se réveiller d’un long coma ? Certainement pas. Ce duel ne se produirait pas. Pas tant que Feng Han était vivant. Pas tant que l’Empire existait. Entendre la raison qui avait produit le spectacle qui se jouait devant le Han lui avait hérissé le poil jusqu’au plus profond de son être et, sans doute, sa monture l’avait ressenti car ses foulées se firent encore plus rapide. Déboulant à toute allure dans la grande rue par un des axes parallèles, il eut quelques secondes pour observer et jauger la scène qui se déroulait ici sous ses yeux. Devant lui, un homme, dont le pantalon était maculé de sang, se retrouvait dos contre terre, écrasé sous la botte d’une jeune femme aux cheveux blancs. Quelles que soient les raisons des deux individus pour s’être retrouvés ici, il allait porter assistance au plus mal en point. Et cela passait aussi par un petit rappel à la loi pour la jeune femme au colt fumant. Ne laissant pas le temps de réagir à quiconque, Feng profita de l’élan donné par sa monture pour se projeter vers les deux protagonistes de la scène, fendant l’air dans un grand mouvement circulaire de guandao. Celle-ci décrivit un croissant de lune avant de se retrouver sous la gorge du pistolero.

« Si j’étais vous, j’éviterais de prendre une mauvaise décision, avisa Feng à la jeune femme. »



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With Feng Han


Il fallut que les gardes se mêlèrent à la confrontation naissante. Eh dire que l’albinos espérait détendre ces nerfs contre ce faible au foie blanc. Désormais, elle n’eut plus le loisir de l’effectuer lorsque qu’une sorte de lance s’arrêta au creux de son cou. Un centimètre de plus et la lame affutée arriverait à découper une couche de peau de l’albinos. Levant un de ses sourcils, ne répondant pas à celui qui la menaçait avec une arme blanche, la desperada caressa la détente de son revolver. Allait-elle pouvoir esquiver la décapitation si l’envie lui prenait de tuer sa proie ? Prenant une bonne respiration pour réfléchir, pour s’imaginer la scène, elle termina par une deuxième bouffée d’oxygène pour se rendre compte que Jaina n’avait pas le choix que de coopérer.

D’un mouvement nonchalant, Rosenberg balança son flingue sur le sol en se fichant royalement d’endommager son outil de travail. Elle n’avait aucun sentiment pour ces babioles qui finiront un jour par mourir à cause de la rouille. Lentement Jaina leva ses mains en guises de reddition bien que son regard carmin fixa continuellement les pauvres cristaux de sa victime. Ses yeux du diable entrèrent en action. La peur rongea le pauvre homme qui se vantait d’être un excellent tireur. Plus il fixait la louve et plus la terreur le paralysait. Une aura violette malfaisante entourait la silhouette de Jaina, du moins d’après la vision du trouillard. Des yeux rouges, une peau pâle, il ne manquait plus que des dents pointues pour faire croire au malheureux qu’une vampiresse se dressait devant lui. Sous l’émotion de son effroi par les simples prunelles de Jaina, le pitoyable citoyen tomba dans les pommes. D’un sourire satisfait, la pirate ferma un instant ses paupières et soupira d’une manière lasse.

« Je crois ne pas avoir le choix que de me rendre. » exclama la Chapeauté d’Hat Island en découvrant la troupe d’hommes devant être les forces de sécurité du village. Pas d’étoile attachée sur leur uniforme, pas de Stetson et encore moins de pétards d’Hat Island. Elle se rendit compte que son pays lui manquait tant. « Le misérable menteur n’est pas mort. Je n’ai donc commis aucun délit. Je peux partir ? » fit-elle en tentant d’échapper une énième fois à une potentielle prison. Jaina détestait être enfermée, elle qui était amoureuse de la liberté.

N'ayant pas Orphée dans les parages, il fut difficile pour la pistolera de s’enfuir rapidement. Ne connaissant pas la force que cachait les autorités dont l’homme qui la menaçait avec sa lance bizarre, la cow-girl préféra ne pas tenter le diable, surtout lorsque sa vie ne tenait bizarrement qu’à un maigre fil.

« Tu vas encore brandir ton truc encore longtemps ? » ronchonna Jaina qui perdait patience. « J’aimerais me gratter la nuque sans perdre ma tête en retour ! Je peux ? »



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La jeune femme au pistolet ne sembla guère goûter à l’intervention du Han. Sans doute espérait-elle pouvoir truffer de plomb sa cible du jour et s’enorgueillir de son haut fait. Ce ne serait pas le cas. Pas aujourd’hui du moins. Coulant un regard étonné à Feng, celle-ci joua lentement du doigt sur la détente de son arme. Pas un muscle du Han n’oscilla à cette action. Cette femme était libre de ses choix. Elle pouvait décider de vivre ou de mourir. Et il semblait que la vie soit encore assez bien chevillée en elle pour la faire hésiter. Avec une démonstration d’arrogance à peine voilée, elle jeta son outil de travail au sol avec un mépris qui agaça le Han. Les armes étaient des outils qui devaient être respectés. Ils donnaient la mort en agissant selon la volonté de leur utilisateur. Ne pas les respecter revenait pour lui à ne pas respecter les vies prises avec celles-ci. Avec une lenteur étudiée, la Rosenberg leva les mains au ciel en guise de reddition mais, quelques instants après, elle prit un malin plaisir à couler un regard terrifiant au pauvre hère affalé au sol qui se liquéfia avant de s’évanouir. La main de Feng se raffermit sur la hampe de sa guandao comme vexée par la tournure que prenaient les évènements. Il aurait plus vite fait de l’exécuter là non ? Stupide main. Il était un serviteur de l’Empire, il agirait en tant que tel. Tandis que les troupes de Feng débarquaient sur les lieux en cernant l’albinos, celle-ci témoigna de sa volonté de se rendre. Avec une morgue qui faillit la faire transiter de vie à trépas en un souffle, elle osa demander à reprendre sa route. Un frisson nerveux parcourut la paupière de Feng tandis qu’il dégainait son plus beau sourire pincé. Restant immobile quelques instants, il se laissa invectiver par la diablesse et prit sur lui pour ne pas s’emporter. Dure était la vie de tribun. Mais nul doute que cette femme était une étrangère. Peut-être ne connaissait-elle pas leurs coutumes ? Il était de son devoir de lui apprendre.

« Si j’étais vous, je garderais les mains bien en évidence. Histoire de ne pas me voir raccourcir de vingt bons centimètres. Vous aurez tout le loisir de vous gratter dans nos geôles. »

D’un signe de tête, il fit entrer en scène ses acolytes qui, reprenant leur composition après avoir couru, s’avancèrent d’un air déterminé vers la jeune femme. La tête entre l’acier et le ciel, elle ne sembla pas offrir de résistance à son arrestation. Xiǎo Léi regardait la scène en renâclant avec ce fameux flegme propre aux équidés. Jugeant bon de rassurer la population, Feng s’assura de mettre un terme à l’incident en exposant les faits et le motif d’arrestation.

« Par le pouvoir qui m’est conféré par sa majesté impériale, je vous arrête pour trouble à l’ordre public. Votre durée d’emprisonnement vous sera communiquée suite au procès-verbal mené dans nos locaux. Soldats, emmenez-la ! »

La déclaration fut accueillie par de doux applaudissements qui se transformèrent en vivats dans la petite communauté qui gravitait autour d’eux. Ils n’avaient jusqu’ici pas vu leur tribun rendre d’action de justice et, réalisant de sa probité, semblaient témoigner de leur accord pour la réponse impériale offerte aux actions insensées de cette étrangère. Kanokuni n’avait pas de place pour les criminels et les meurtriers. Le pays avait d’autres chats à fouetter.

Une fois la prisonnière sécurisée, le Han entreprit de renfourcher sa monture et de prendre une mine sérieuse pour réhausser sa position dans le cœur des administrés. Ce n’était qu’un artifice purement théâtral mais le gouverneur lui avait dit que ce genre de détails pouvaient valoir l’amour du peuple et que le peuple était le véritable pouvoir de l’île. Il se conformait donc aux usages politiques de l’île en escortant la prisonnière jusqu’à la cellule qui lui serait attribuée. Elle marinerait quelques heures avant qu’il n’aille la voir. Le temps de s’occuper de son cheval en somme.


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With Feng Han


Pour sa demande de se soulager les démangeaisons de sa nuque, la réponse fut non. Jaina s’attendait à cette réfutation. Elle ne souhaita pas titiller les nerfs de l’officier, non désireuse de perdre sa tête de ses épaules. Il allait falloir trouver une solution pour s’échapper de ce sérieux problème. L’ennui, c’était que Jaina avait rameuté tous les bons toutous au service du gouvernement de cette île. Actuellement, la cow-girl ne se trouvait plus en position de force.

La queue entre les jambes, les oreilles plates, le regard moins agressif, la louve obtempéra pour ne pas raccourcir sa propre vie. Tôt ou tard, elle trouvera une échappatoire, mais pas dans l’immédiat…

Plus tard, couchée sur un banc tenu en équilibre par des chaînes de fer, Jaina se retrouvait une nouvelle fois dans la case prison. Tout ça pour avoir terrorisé un poltron, un lâche. Si jamais la louve retrouvait sa proie, il fut indéniable que sa petite vie prendrait fin. Rosenberg était rancunière, aimant toujours garder le dernier mot dans les conflits qu'elle engendrait.

Les mains derrière sa nuque, son Stetson sur son genou plié, l'albinos tuait le temps à observer la structure de sa cellule. Contrairement à son île natale, sa cage demeurait plus solide. Elle allait devoir creuser ses méninges pour sortir de son trou. Jaina envisagea de soudoyer le gardien, n'ayant pas un seul rond en poche, ses formes généreuses pourraient être une arme. Quel dommage que ce ne soit pas une femme qui gardait provisoirement les cellules.

Basculant son visage pour qu'il soit face au geôlier, la cow-girl tenta de trouver des failles en visualisant ses vêtements, sa posture et ses outils permettant de ce défendre. Conclusion ? Rosenberg ne décela aucun indice. Pas étonnant pour une femme n'ayant aucune affinité d'enquêtrice. Son intelligence tournait autour de ses magouilles, de son charme et de ses prodigieuses aptitudes au tir. Bien qu'elle soit née en tant que louve Alpha, Jaina avait toujours la fâcheuse manie de s'attirer des problèmes à cause de son impulsivité.

Soupirant de lassitude, elle se leva de son lit provisoire et se rapprocha du portail en fer. La prisonnière tira puis poussa un des barreaux pour jauger sa résistance. Aucune faille, pas de tremblement. Elle reçut en prime une tape sur ses doigts par la matraque du gardien. Ne lâchant pas de plainte, observant froidement l'homme, Jaina se jura de lui faire payer. Nom d’un cheval, Rosenberg envisagea de dresser une liste de toutes les personnes qu’elle allait devoir botter le cul. En premier, marqué d’une encre rouge, le citoyen poltron. En deuxième l’officier prétentieux et troisième le gardien. Kanokuni regorgeait de gibiers à abattre.

Les heures passèrent, l'albinos qui marchait en cercle venait d'arrêter de compter à partir de son six-cent-soixante-sixième tour. Assez énervée de poireauter, désireuse de s'en aller, Jaina frappa d'un coup sec sa santiag contre les barreaux de sa cellule. Sa force provoqua un léger tremblement de sa cage.

« Je veux parler au Juge de cette prison ! » ordonna la louve en pensant que le maître des lieux possédait le même titre, appellation que ceux de son île. « J'ai normalement le droit à un avocat. Je suis innocente !! » Fronçant ses sourcils, attrapant son menton, l’albinos trouva un mensonge pour essayer de sortir au plus vite de cette cage. « Mon père est handicapé, je dois être auprès de lui pour veiller sur sa santé. Seul c’est la mort qui l’attend au pied du lit !! »



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S'occuper de son cheval lui prit un peu plus de temps que prévu. La bête réclamait de l'attention. Une attention égale à sa qualité en réalité. Au plus ces chevaux étaient caractériels et au plus ils étaient rapides et puissants. Brossant le crin de l'animal pendant un bon quart d'heure, Feng se remémora la scène qu'il avait interrompu. Bon sang. Qui pouvait être assez idiot pour semer le trouble ici ? Dans sa juridiction en plus. Cela allait sans doute faire croître la pile sur son bureau une fois qu'il en aurait fini. La cellule qu'il avait fait affecter à la cow-girl était bien entendu la moins confortable qu'il pouvait lui offrir. S'assurant bien que sa ferraille soit sous clé dans un bureau à l'opposé du bâtiment, le Han avait ensuite ordonné à son garde le plus expérimenté d'aller surveiller la prisonnière et de ne surtout pas lui adresser la parole. Primo, cela le rassurait car celle-ci pourrait jouer la carte du charme et cela ne marcherait pas. Le vieux Heung n'était pas né de la dernière pluie. Secondo, cela lui ferait les pieds et remboursait à minima le temps qu'elle avait fait perdre au bureaucrate dans sa journée.

Remplissant l'abreuvoir de sa monture, Feng prit le temps de contempler le paysage avant de s'en retourner voir la prisonnière. Il flânait avec la candeur d'un jeune homme malgré les tâches à venir. Être responsable de cet endroit signifiait aussi devoir faire régner la justice. Généralement, la justice de l'Empire était plutôt expéditive. Surtout dans cette région. L'Empereur avait horreur du désordre et il était plus facile d'administrer des territoires calmes que séditieux. La moindre faction rebelle et hop, voilà que des têtes se retrouvaient au bout de cordes. Efficace à n'en pas douter. Exécuter la jeune femme aurait été une formalité et, sur un de ses mauvais jours, il n'aurait pas hésité à passer le pas. Il suffisait de lui coller quelques crimes pour lesquels on la suspectait sur le dos et pouf, direction la nuque raide et les relents nauséabonds en pied de bottes. Pas très règlementaire par rapport à la morale mais cela permettait de se débarrasser des gêneurs et de tenir la populace au calme. Cela dit, il n'avait fait cela qu'une fois et c'était un ancien légaliste qui s'amusait à jouer avec la limite. Depuis, personne ne voulait plus se risquer au jeu.

De retour dans le bâtiment, il vit Peng siroter un thé dans l'entrée, chose inhabituelle pour sa part. Il se cantonnait plus généralement sur l'arrière du site, occupé à jouer son rôle de factotum idéal avec une discrétion qui lui était chère. S'il était ici, c'était sans doute que... Oui. A peine la seconde porte du bâtiment poussée, il entendit beugler la prisonnière qui s'acharnait sans doute sur sa cage en acier. Quelle idiote. Parfois, il se demandait ce qui se passait dans la tête des gens qui commettaient de telles idioties. N'avaient-ils donc aucun sens de la mesure ? Pénétrant dans le couloir qui débouchait sur les geôles, il fit un signe au gardien en faction qui ne fut que trop heureux de laisser sa place tandis que la cow-girl tentait son va-tout avec l'histoire du père malade.

« Le pauvre homme doit être navré d'avoir une telle fille alors. Sans doute êtes-vous son plus gros handicap à l'heure actuelle, lâcha Feng d'un ton monocorde. Et je gage qu'un de mes concitoyens trouvera la mort avant si je vous laisse sortir maintenant. »

Il coula un regard de biais à la jeune femme qui semblait plus exaspérée qu'inquiète. De longs cheveux blancs, un chapeau, des bottes, un teint à faire pâlir un linge. Une étrangère albinos de surcroît. Le pompon. Malpolie. Rugueuse et un brin menteuse. De quelle île pouvait-elle donc venir ? Qu'il la raye de ses lieux de vacances potentiels. Sans doute avait-elle pu casser du bloc de guano à Whiperia dans sa jeunesse... Bref. Le problème sur les bras de Feng était là devant lui en chair et en os et force était de constater qu'il n'allait pas le faire disparaitre au bout d'une corde ou derrière des barreaux. Pas sans des blessés au vu de la carrure athlétique de la jeune femme. Et c'était ce qui le gênait le plus. Continuant de la dévisager sans la moindre gêne, il se reposa sur le banc en face de la geôle quelques instants. Dans les yeux de la Rose Noire, on pouvait sentir une forme de colère monter. Elle n'aimait pas sa situation. Qu'à cela ne tienne, il ne tenait qu'à elle d'y remédier.

Sans prendre de pinces, il comptait lui expliquer clairement ce qu'il attendait d'elle. Elle devait être du genre à apprécier la franchise au lieu des douces politesses que les citoyens de l'île avaient l'amabilité de servir à tout le monde. Soit. Ce n'était pas sans lui déplaire.

« Je vais vous demander de la fermer quelques instants et de m'écouter si c'est pas trop demander, reprit-il d'un ton désinvolte. Vos droits, le juge et tout le reste, je m'en tamponne. J'suis même prêt à parier une bonne somme que vous n'y connaissez foutrement rien aux lois du coin. Vu que la loi c'est moi en résumé. Alors les doux mensonges sur le papa malade et la cousine qui a la lèpre bon. Ca m'en touche une sans faire bouger l'autre. Je peux avoir quoi comme garanties que vous allez pas continuer à faire chier mon voisinage ou mes concitoyens ? Un truc solide hein. Qu'on se recroise pas demain sur la potence. »

Comment allait-elle accueillir sa déclaration ? L'avenir le dirait. Pour le moment, Feng avait juste l'impression de devoir prendre la température. Il ne pouvait pas se permettre de délibérer à froid sur la marche à suivre. Il trempait donc juste un orteil dans la marmite pour voir. Mais il allait falloir faire vite car, sans même le voir, il devinait que les deux plus grosses piles de documents de son bureau avaient copulé et qu'elles n'allaient pas tarder à faire des petits.


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Tirer n'est pas tuer

With Feng Han


Que ce fut regrettable que ce vieux gardien ne succombait pas au charme et aux mensonges de la Louve Blanche. Il semblerait que l'homme de tout à l'heure avait réussi à lire les manœuvres que prendraient Jaina pour tenter de s'enfuir. Elle se heurta à un prédateur assez malin. La demoiselle qui découvrit le fameux héros du peuple revenant après s'être occupé de son cheval, scruta les moindres détails de cette nuisance pour repérer un quelconque défaut pouvant être exploité. Difficile contre ce personnage aussi charismatique et redoutable. Jaina pesta dans sa barbe invisible pendant que ses griffes serrèrent fortement les barreaux de sa cage.

Lorsque son geôlier déclara que l'albinos était un handicap pour son père, il frappa sans le vouloir dans une corde sensible. Machinalement, son esprit lui remémora le fameux jour du bannissement. Où Lawrence Rosenberg congédia définitivement sa propre fille de son habitation. Pour lui, l'albinos ne faisait plus partie de la famille. Tout cela à cause de son caractère bordélique et de ses actions délictueuses voire criminelles. Jaina suivait les traces de son père contrairement à ses deux sœurs. Elle était une hors-la-loi.

Alors pourquoi l'avoir banni du ranch ? Par honte que sa fille lui ressemble tant ? En y repensant, ce fut un sacré foutage de gueule que son père lui avait pondu et cela gonfla énormément la louve en admettant la chose.

« Tu n'as pas tort le beau parleur. » avoua sans aucun scrupule la tueuse qui désirait retrouver le citoyen de tout à l'heure pour le trouer de balles. « Qui est ce louveteau mal léché qui ose mentir en prétendant être un as au tir ? N'a-t'il pas conscience qu'avec son bobard il peut être dévoré ? » Jaina cracha un mollard dans sa cellule, attitude typique des Chapeautés d'Hat Island. Ce n'était aucunement propre, mais les vieilles habitudes avaient la peau dure. Impossible pour la cow-girl de rectifier le tir sur ce défaut.

Soudainement, elle ferma son clapet sous la demande du maréchal. Autant l'écouter pour avoir potentiellement un chemin de sortie. Si Jaina continuait à être aussi insupportable, elle pouvait parier que la corde de la potence l'attendrait. Machinalement, l'albinos caressa son cou fragile en s'imaginant mourir pendu, comme les nombreuses crapules sur Hat Island. Inspirant et expirant grandement, elle frappa doucement son crâne contre deux barreaux de sa cellule.

Que pouvait-elle promettre pour ce shérif ? Cacher ses crocs et éviter de tout le temps retrousser ses babines ? La desperada devait faire attention à sa réponse, vu que l'homme de la loi n'avait pas l'air patient.

« Je peux tuer les criminels de vos quartiers. » proposa Jaina d'un ton lasse qui n'était pas accompagné de mensonge. Elle ressentit tout à coup -surtout au mauvais moment- son manque de tabac. Son organisme réclamait cette foutue drogue, sous peine de passer dans le premier stade de la folie. « Je peux avoir une de mes clopes ? Je ne tiens plus...promis je ne ferais rien de mal. Inutile d'aggraver mon cas. » Elle inspira profondément, tentant de chasser son mal. En vain, ce fut impossible pour une grosse consommatrice de tabac.  « Crois-moi beau parleur, quand je te dis que je peux tuer pour ta prétendue justice, c'est une putain de vérité. Les Juges qui représentent la loi dans mon pays peuvent se servir des merdeux pour éliminer la nuisance des lieux. Comme des voleurs de bétails et surtout des types sans chapeau. »

Affaiblit par son manque de nicotine, la prisonnière s'effondra sur ses genoux, son énergie devint amoindrie, presque inexistante. Ses mains se mirent à trembler et sa respiration devint saccadé. Allait-elle faire un malaise ? Probablement. Peut-être que c’était une ruse de sa part pour pouvoir s’enfuir, ou bien d’une simple vérité pour consommer une saloperie.



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Tirer n'est pas tuer


Les tirades de l'officiel semblèrent faire mouche. Du moins, l'agressivité de la jeune femme sembla s'étioler quelques instants. Un échange pouvait donc s'installer entre eux. Très bien. Par contre, la rugueuse prisonnière ne semblait pas avoir oublié l'individu avec lequel elle avait eu un différend. Et à cela, elle ajouta le glaviot propre aux gens de peu de manières, salissant encore plus le sol d'une cellule que Peng mettait un point d'honneur à rendre selon ses mots un minimum vivable. Décidemment, son attitude râpeuse ne cessait de doucement froisser le Han qui fit mine de ne pas en tenir compte.

Après quelques instants de silence, la jeune femme lui proposa de se débarrasser des criminels dans les quartiers de la zone. Feng lui coula un sourire mauvais. Se foutait-elle de lui ou son esprit était-il embrumé ? Proposer à un officiel de l'Empire de chasser les criminels ? Mais où se croyait-elle donc ? L'impérial n'eut le temps de lui répondre avant que celle-ci ne semble prise d'une crise de manque, lui demandant une cigarette par la même occasion. Quelle vulgarité. Malgré une répulsion profonde pour ce produit porteur de mort, il lui jeta le paquet et un paquet d'allumettes à travers les barreaux. Son mal-être apparent s'aggravait. Qu'elle s'évanouisse ici n'arrangerait guère la situation pour elle à moins qu'elle ne désire recevoir le contenu d'un baquet d'eau fraîche en plein visage. Aussi lui tint-il quelques propos pour entretenir.

« Vous ne manquez pas de cran pour tenir de tels propos, dit Feng d'une voix pleine de dépit. Sans même vous présenter ni même vous excuser pour contrevenir à la loi, vous me proposez maintenant de tuer les criminels du coin sans aucune légitimité. Au delà du fait que vous êtes une étrangère, vous semblez en plus de cela mépriser nos lois. »

Un long soupir sortit de la bouche du tribun tandis qu'il se dirigeait vers les barreaux. S'il n'avait pas fait face à une tête de mule de ce genre, il serait déjà retourné expédier de la paperasse depuis un moment. Ses mains saisirent les barreaux de la prison alors qu'il toisa une nouvelle fois la Rosenberg. Inspirant fortement, il chercha à se détendre un peu sans laisser d'ouverture à la jeune femme. Bon, ils allaient reprendre du début. Une seconde fois. Peut-être cela lui éviterait-il de demander à assembler la potence. Avec un peu plus de chaleur qu'auparavant, il reprit :

« Je m'appelle Feng. Feng Han. Comme vous l'avez deviné, je suis en charge de ce gourbi, le tribun comme on dit ici. Les gens, les bâtiments, les animaux, la loi. J'm'assure que tout ce qui doit respirer continue à le faire et que tout ce qui contrevient à nos belles lois soit remis dans le droit chemin, mis à l'amende ou au bout d'une corde de chanvre bien nouée. Il lui lança un regard plus froid quelques moments avant de repartir de plus belle. Maintenant est-ce que je peux savoir à qui j'ai affaire ? Et avoir si possible une garantie que vous ne reprendrez pas d'agissements contrevenant à l'intégrité physique des gens du coin ? »

Calme. Concentration. Equanimité. Voilà comment il ferait pour se sortir de la situation. Non pas qu'il adore devoir reprendre les bases de la politesse avec tous ses interlocuteurs mais assembler une potence prenait du temps, temps qu'il avait fort envie de consacrer à autre chose. Comme par enchantement, Peng apparut dans l'embrasure de la porte avec deux tasses de thé fumant qu'il posa sur le meuble en face de la cage. D'un geste, Feng fit glisser une tasse entre les barreaux et huma le sien. Oolong. Un choix parfait pour la situation. Sacré Peng.


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Tirer n'est pas tuer

With Feng Han


Comme un animal affamé se jetant sur la nourriture, Jaina fit la même chose lorsqu'un paquet de cigarette, le sien, ainsi qu'une boîte d'allumettes furent jetés dans sa cellule. Ouvrant avec hâte le récipient, tournant le dos à son geôlier, la louve attrapa une cigarette, la pinça entre ses lèvres envoûtantes et ne perdit pas de temps pour agresser d'un geste vif l'allumette pour la faire brûler. La tête de sa cibiche brûla, la cow-girl aspira une grande quantité de nicotine et son mal-être disparut aussitôt. Jaina était requinquée, ses idées se remirent en place et un sourire mauvais étira ses lippes porteuses d'un rouge rivalisant avec le sang. Fort heureusement, son expression faciale ne pouvait être vu par le prénommé Feng Han.

« Je porte bien des noms, des surnoms sur Hat Island. » répondit la criminelle qui referma le couvercle du paquet de cigarettes. Elle s'avança face à la fenêtre de sa cellule, curieuse de connaître l'agitation provenant de l'extérieur. « Les Chapeautés me nomment la Fille de l'Homme à l'harmonica. Les Drognars m'ont baptisé la Louve Blanche. Ma mère me surnommait Rose Blanche. Mon vieux préférait m'appeler Jane. »

Ses rubis visualisèrent l'étable non loin de sa position, là où elle avait laissé Orphée. Fronçant ses sourcils, serrant sa mâchoire inférieure contre la supérieure, l'albinos allait devoir agir vite à cause de l'autre enquiquineur qui se vantait de respecter la loi de ce pays.

« Je m'appelle Jaina. » Elle marqua une pause, récupéra une seconde allumette pour frotter sa tête contre le côté de la boîte où reposait ses autres sœurs. La flammèche naquit, créant de la chaleur au bout de l'index et du pouce qui pinçaient le petit morceau de bois. « Jaina Rosenberg, la future Reine des tireurs. » se présenta la renégate qui tenait un minuscule bâton de TNT, d'un diamètre suffisant pour l'insérer dans un paquet de clopes. « Merci de ne pas avoir vérifier à l'intérieur. » L'albinos jetta la dynamite à l'extérieur, par la petite fenêtre et se dépêcha de monter sur le lit à étage pour tenter de se protéger de la détonation.

Le choc beaucoup moins impressionnant qu'un bâton de TNT original endommagea fortement le mur de la cellule donnant sur l'extérieur. Il suffisait à présent de bouger les pierres pour écrouler le rempart. C'est ce qu'elle fit sans attendre par un violent coup de pied enflammé par son Fire Heart. Retrouvant le goût de la liberté, l'albinos siffla pour appeler sa jument qui se reposait dans l'étable. Orphée bondit hors de son enclo comme s'il s'agissait d'un vulgaire saut d'obstacles.

Malheureusement, le cheval de la race Morgan ne possédait aucune selle. Ce ne fut pas un réel problème pour l'albinos, du moins pas dans l'immédiat. Montant sur son destrier, s'agrippant aux cheveux ténébreux de sa fidèle alliée, la louve prit la fuite sans aucun de ses pétards. Un comble pour une adoratrice des armes à feu. Là, actuellement, son but fut de s’échapper de cet endroit, de cette ville bien que la police des lieux soit trop présente. Hélas, ce Feng Han ne tardera sans doute pas envoyer ses hommes pour la pourchasser... Espérons que ce dernier soit paralysé par l’évasion surprise de l’ancienne prisonnière…



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Dernière édition par Jaina Rosenberg le Mer 03 Avr 2024, 20:48, édité 1 fois
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Tirer n'est pas tuer


Sans doute le franc-parler de l'officiel n'eut-il que peu d'effet sur la farouche jeune femme car, aussitôt Peng eut-il servi le thé, celle-ci se décida à passer à l'acte. Dégainant ce qui, à la très grande surprise de Feng, semblait être un baton de dynamite aussi gros que le paquet de cigarette, celle-ci alluma ce dernier avec le feu à disposition et, d'un même mouvement, jeta le dit bâton sur le mur extérieur de la cellule en s'abritant sur un des lits. Aussitôt cette information enregistrée par le tribun, ses jambes se mirent en action elles aussi et le projetèrent sur son majordome pour le protéger de la situation. Sans doute fut-il surpris car le vieil homme avait lui aussi eu le même réflexe et ils s'écroulèrent tous les deux au moment où la détonation entama la chaux et la pierre du mur.

Dans le nuage de poussière qui fut soulevé, les deux hommes n'entendirent que le bris de la tasse de thé et un déchirement du mur qui les aveugla de lumière. Comment était-ce possible ? La jeune Rosenberg, prétentieuse Reine des tireurs, avait plus que probablement caché sa force car le mur, bien que donnant sur la rue, était épais et capable de bloquer une charge de taureau.

Feng se maudit donc de sa supposée légèreté en se relevant, laissant le soin à Peng de s'occuper du bris et de la casse sans qu'il ne faille le dire. Du regard, il suivit l'albinos qui siffla et enfourcha sa monture avant de prendre la fuite. Un bouillonnement de colère indicible s'empara de lui. Peut-être devait-il lancer l'arme d'un des gardes à proximité sur la monture de la jeune femme pour l'embrocher dans une des façades d'habitations attenantes ? Une fois la chute de la cible confirmée, il n'aurait qu'à traquer comme une bête sa proie et la mettre à mort. Oui, cette idée lui passa un instant par la tête puis il se ressaisit. Rien de tout cela n'avait de sens. Que le tribun se déplace personnellement pour arrêter une vulgaire criminelle était stupide. Qu'il empêche les gens de troubler l'ordre établi était une chose mais il ne pouvait pas s'occuper de toutes les affaires du village seul.

Expirant longuement tout en massant son épaule endolorie, il attendit qu'entrent dans la pièce le sergent de faction et les quelques hommes et femmes de garde à proximité. Au vu de leur temps de réaction, ils avaient sans doute attendu de savoir s'il y avait du mouvement ou d'autres explosions avant de se risquer à revenir dans la pièce. Leur mine hagarde agaça le Han. Ils n'avaient certes pas de formation comme la sienne mais sans doute auraient-ils pu mettre un peu d'ardeur et d'initiative dans leurs actions. Faisant vérifier que les armes de la criminelle établie soient toujours sous clé, Feng haussa soudainement le ton pour rompre la pitoyable scène qui se déroulait sous ses yeux.

« Sergent Jian ! J'ai une question et une seule à vous poser, tonna Feng d'une voix pleine de colère. Qui a vérifié les équipements de la fugitive ? »

L'homme, blême, tenta de bafouilla quelques mots avant que le Han ne vienne se camper de toute sa hauteur devant lui. Un nom il voulait. Un nom il obtint. Quinze coups de fouet, un retrait d'une semaine de solde et la reconstruction de cette geôle. Voilà la punition qui fut donnée. Etrangement, cela ne choquait pas le Han et il trouvait cela léger. Sans doute aurait-il accentué la peine si la lueur d'inquiétude dans le regard de ses soldats ne l'avait pas alertée.

Lançant dans la même foulée la poursuite de la fugitive avec l'ordre explicite de la ramener morte ou vive, il fit également dresser une affiche et rédiger une communication aux villages voisins. Jaina Rosenberg était désormais persona non grata dans l'intégralité de leur immense île. Reine des tireurs mon cul. Reine des idiotes oui. Maintenant cette posture d'intimidation jusqu'à ce que sa troupe décampe, Feng retourna ensuite dans son bureau. Il savait qu'il serait tranquille jusqu'au soir vu l'intensité de la colère manifestée. A peine y était-il entré qu'une tasse de thé fumant l'attendait. Peng, ce génie. Toujours un coup d'avance. Remerciant son discret majordome de la tête, il entreprit alors de terminer la documentation qui attendait bien sagement sur son bureau avec une ardeur renouvelée. Bien entendu, il ne manqua pas de noter bien soigneusement dans un carnet qu'il tenait dans son tiroir droit le nom de Jaina Rosenberg ainsi que les sobriquets par lesquels les gens l'appelaient. Un jour, il croiserait la route de cette femme et lui ferait payer la déconvenue qu'elle venait de leur infliger. Tout comme l'intégralité des gens dans ce carnet. Mais pour l'heure, il y avait fort à faire.

Lissant sa moustache et sortant la boule à thé de sa tasse, il en avala quelques gorgées avant de laisser choir ses épaules, les yeux perdus dans la montagne de papier devant lui. La nuit allait être longue.


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