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Le courrier fait rarement plaisir

Dans l'infirmerie de la base du G-5, Ada se redressait sur son lit. Elle s'était sentie vaseuse pendant deux jours après qu'elle ait usé du sérum pour se soigner du poison nécrotique qu'elle s'était injectée. Sa stupidité l'aurait fait rougir si elle s'était retrouvée face à son père. Et lui, il aurait probablement été déçu par l'attitude négligente de sa fille. La confiance l'avait gagnée, et la haine l'incitant à sous-estimer les marines lui avait fait croire qu'elle pourrait facilement lutter contre le venin nécrotique de la commodore. Mais il n'en fut rien. Tenace, perfide et virulent. Elle n'avait pas l'habitude d'attribuer des traits humains aux objets ou aux substances, pourtant ici, il était clair que le venin du Oroshi était au moins aussi combatif et puissant qu'un commandant de la marine. Et si elle s'était fatiguée à lutter contre lui, le sérum en suivant avait probablement sauvé sa main en induisant des effets secondaires prévisibles. Utiliser une substance d'un corps animal, bien loin de la physionomie humaine, pourrait marcher correctement sur un mink s'en rapprochant mais pas sur un être humain. Tout du moins, pas sans entraîner de la fièvre, des migraines et de la fatigue. Ce qu'avait subi Ada pendant un temps et qui l'avait contrainte à tenir le lit pendant que les quelques infirmiers de la scientifique se chargeaient de soigner les nécrose de sa main pour permettre à son corps d'user de sa capacité de soin naturelle pour restaurer sa chair et sa peau.

Maintenant, elle se tenait sur le bord de son lit, requinquée et prête à repartir en mission. Elle serrait ses doigts, tirant sur ses muscles et ses tendons encore un peu douloureux mais parfaitement utilisables. Elle était satisfaite de sa condition. Puis, entendant un ricanement reconnaissable, elle leva la tête pour voir entrer dans la pièce l'Agent Ibis, imprévisible membre du Cipher Pol 4. Ada commençait à déprécier ses visites. Car jusqu'ici, la majorité s'accompagnait surtout de ragots sur les marines de la base, des potins inutiles ou futiles au possible.

- "Oh Agent Viper ! Vous ne devinerez jamais ! Marie a embrassé James ! Je vais devenir riche !"

Elle tapotait dans ses mains, fêtant cette victoire comme si elle avait obtenu une information capitale pour l'avenir du gouvernement. Et si avec les autres agents, le grand sourire de l'Ibis était communicatif, ici il laissait Ada de marbre. Cette dernière fouillait dans ses souvenirs flou que son esprit avait essayé d'effacer, faute d'utilité.

- "C'est super." Répondit-elle d'un ton sec.
- "Un jour, douze heures et soixante minutes ! Je suis la plus proche ! Je vais empocher le pactole !"

L'agent Ibis avait parié auprès de plusieurs marines de la présumé attirance d'une lieutenant pour un commandant. Ils avaient même tous proposé un temps au bout duquel ils estimaient que les bouches des deux intéressés finiraient par se rencontrer. De toute évidence, l'agent Ibis était doué pour ce genre de jeu, car à chaque fois, elle semblait gagner.

- "C'était tout à l'heure, à la cafétéria !"
- "Je m'en moque."


Ada n'en avait que faire de ces histoires puériles d'adolescent. Elle souhaitait maintenant repartir en mission avec la commodore, comme elle l'avait convenu. Cependant, lorsqu'elle se leva de son lit, l'agent Ibis la retenue en posant sa main sur son épaule.

- "Laissez-moi y aller."

Ada força pour avancer. Elle fit un pas mais malgré l'énergie qu'elle mettait pour lutter contre la main de son interlocutrice, elle ne parvenait pas à la faire flancher. Doucement, l'agent Ibis la repoussait sur le lit avant de lui tendre deux enveloppes. Une brune avec simplement son nom d'agent inscrit ainsi que le caché du gouvernement au dos. L'autre, blanche de pureté, avec son nom et prénom écrit à la main avec délicatesse. Ada restait méfiante, il n'était jamais de bonne augure de recevoir un quelconque courrier lorsque l'on était agent du Cipher Pol. Et encore plus quand celui-ci était remis par l'Ibis. Elle tendit cependant la main vers l'enveloppe brune en premier alors que l'autre jeune femme redressait la main, l'empêchant de se saisir de l'objet convoité.

- "Vous devriez lire l'autre en premier." Ajouta l'agent Ibis en secouant légèrement l'enveloppe désignée.

Ada grogna alors, ayant deviné ce qui se cachait derrière ce second courrier. En attrapant l'objet, elle reconnut l'écriture de son frère. Il avait toujours était plus délicat et adroit qu'elle. Il était de la marine, suivant les traces de leur père avec la même rigueur et intransigeance dont faisait preuve Tetsuda. Cependant, s'il avait hérité des bons aspects de son père, il avait été préservé des mauvais. Il était généralement calme et réfléchi, là où Ada était bien plus impatiente. Et si parfois, on les comparait au feu et à la glace, ils s'étaient toujours plus reconnu dans la terre et les plantes. Ils s'aimaient, s'appréciaient, se soutenaient et collaboraient bien plus qu'on aurait pu le croire au premier abord. Et si Ada avait bien confiance dans un marine, c'était bien dans son frère, le commodore Kindachi.

- "Bien. Vous allez me regarder les lire ?"
- "Bien-sûr, je ne manquerais ça pour rien au monde. La lettre du petit frère inquiet pour sa grande sœur partie bien loin dans le nouveau monde. C'est tellement mignon."

L'agent Viper en avait assez de réagir aux surinterprétations de l'agent Ibis et préféra alors laisser couler cette fois, ouvrant l'enveloppe avec délicatesse pour en sortir la lettre de son frère.
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En dépliant le courrier, elle commença par le retourner pour l’observer dans son intégralité. Il n’y avait qu’une page, un verso écrit à la main, signé et paraphé par son frère. Ce dernier, comme sa mère et son défunt père étaient au courant de son statut d’agent du cipher pol. Et bien qu’ils utilisaient extrêmement rarement cette méthode pour communiquer avec Ada, elle était souvent synonyme d’urgence familiale. Cependant, avant même de lire les premières lignes, le regard d’Ada restait fixé sur la date à laquelle son petit frère avait signé ses mots.

- “Ce courrier date de plus de trois semaines.” Dit-elle en relevant la tête, plissant les yeux avec un air méfiant et agacé.
- “Il est possible que j’ai oublié de vous la donner plutôt. Mais vous aviez l’air de tellement vous amuser au cours des dernières missions. Je ne voulais pas vous déranger pour si peu. Ahah.”

Le sourire se dessinant sur le visage de l’agent n’aidait pas la Kindachi à se relâcher. Elle fronça le nez, exprimant une certaine colère et frustration de ne pouvoir s’opposer davantage à cette agente qui se pensait tout permis. Même lire son courrier personnel. Car si elle avait soigneusement replié la lettre dans une enveloppe propre avant d’imiter l’écriture de son frère sur la face avant, Ada savait reconnaître les imitations. Cependant, cela était à prévoir. Il était clair que du courrier pour une agent était toujours contrôlé. Les nombreux traîtres des dernières années n’avaient fait que renforcer la méfiance du Cipher Pol à l’encontre de ses propres hommes. Et de toute évidence, il avait dû être récupéré directement auprès de son frère, lui promettant de transmettre l’information. Et lui aussi savait qu' entre sa sœur et lui, le contenu de ses écrits seraient lu, relu et rerelu, décodé, déchiffré, passé au peigne fin. Mais tous avaient accepté cela.

« Cher soeur,

Je suis rentré au manoir. Mère m’y attendait mais pas toi. Elle m’a dit que tu étais venu te recueillir sur la tombe de père. Je ne pensais pas que tu trouverais le temps de le faire. Son départ a créé un si grand vide dans notre famille. Il était en père, comme en amiral, cruel mais juste. Et il me manque, à moi, à mère et à toi j’en suis sûr ... »


Ada releva la tête, sentant un regard pesant sur elle pendant qu’elle lisait en silence. Lorsqu’elle croisa les yeux de l’agent Ibis, cette dernière tourna la tête en sifflotant. Elle était probablement en train de lire elle aussi par dessus l’épaule d’Ada, suivait les écrits et cherchait à déchiffrer les émotions de l’agent Viper. Le Cipher Pol ne prenait jamais de pause, n’est-ce pas ?

« … Mère m’a dit que tu avais quitté le domicile dans la nuit et que depuis, le chien avait arrêté de hurler … Même si tu ne voulais pas rester à la maison, je tenais quand même à t’annoncer mon retour. Je compte rester à Goa quelques temps, mon vice-amiral s’est montré compréhensif et m’a accordé une permission longue. J’espère te revoir bientôt. Mère a taillé les rosiers, ils sont magnifiques.

Zayn Kindachi »


Ada aurait aimé lui répondre, mais elle ne pouvait décemment pas le faire sans que son courrier soit inspecté par le Cipher Pol. Alors elle préférait laisser tout cela en suspens. Elle aurait bien le temps de s’excuser auprès de Zayn lorsqu’elle rentrerait à Marie-Joie.

Elle replia alors la lettre, renflouant toutes les émotions qu’elle avait pu lui entraîner parce qu’elle savait que l’agent Ibis n’attendait que ça pour l’évaluer. Elle rangea le papier dans l’enveloppe avant de la poser sur le côté du lit et de tendre l’autre mais :

- “Je peux lire celle-là maintenant ?”

L’hésitation se lisait sur le visage de l’Agent Ibis avant qu’elle ne finisse par tendre l’enveloppe brunit à Ada. Celle-ci, elle n’avait pas été violée. Personne ne l’avait lu, même pas l’agent Ibis qui avait dû être chargé de faire la coursière. Celle-ci était du gouvernement mondial, sûrement d’un coordinateur du Cipher Pol 5.
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Ada ouvrit sans grande impatience le courrier du Cipher Pol. Connaissant leur méthode, il devait s’agir d’une mission. Une suffisamment importante pour que peu soit mit au courant et suffisamment secrète pour que les communications par escargophone soient proscrites. La seule personne qui avait dû mettre la main sur ce papier scellé était l’Agent Ibis et le coordinateur responsable. Et au vu du professionnalisme et de l’intégrité parfaite de l’enveloppe, sa camarade ne l’avait pas ouverte.

Lorsqu’Ada déplia les papiers, l’agent Ibis détourna directement le regard. Son approche était complètement différente. Elle n’avait aucun remord à fouiller dans la vie privée des autres membres du CP mais se refusait à déroger aux règles donnés par le coordinateur. Et maintenant qu’elle y réfléchissait bien, cela devait en être un du Cipher Pol 4 plutôt que celui dont elle était affiliée pour que ce soit l’Agent Ibis qui fasse la messagère.

Après avoir détaillé avec attention le comportement de sa consoeur et attendu qu’elle tourne complètement le dos, Ada baissa les yeux pour commencer à lire le papier.

« Agent Viper,

Si on vous a remis cette lettre c’est que la Commodore Pandore vous a choisi pour l’accompagner dans une prochaine expédition.

Nous savons que vous ne dépendez pas de notre pôle, en revanche, votre proximité avec l’ancienne amirauté nous a convaincu que vous étiez l’agent parfait pour cette mission.

Au cours de nos enquêtes sur la Commodore Pandore, marine influente et prometteuse, nous avons découvert que son passé semble incohérent, voire factice. Ses origines sont alors inconnues et nous savons bien que l’on ne cache rien, s’il n'y a rien à cacher. Craignant pour l’avenir de notre gouvernement mondial, nous souhaitons que vous mettiez tout cela au clair. Vos méthodes seront les nôtres mais veilliez à ne pas trop l'abîmer. La marine a besoin d’hommes et de femmes compétents.

Vous connaissez l’adage de votre défunt père : l’échec n’est pas toléré.

PS: une fois lu, remettez la lettre dans l’enveloppe et confiez- la à l’Agent Ibis. Elle sera quoi en faire.»


Aucune signature. Seulement un tampon noir avec le logo du Cipher Pol 4. C’était une affaire délicate. En fonction de ce qui serait trouvé, cela pourrait mener à la disparition d’un des éléments les plus prometteurs de la marine actuelle et une perte immense pour le gouvernement mondial. Ajoutant, à leur déjà trop longue liste, une traîtresse de plus. Mais Ada s’interrogeait déjà sur la méthode qu’elle devrait employer. Comment connaître le véritable passé de quelqu’un ? La suivre au cours de la prochaine mission lui permettra sûrement de se rapprocher de la commodore. Eurk, jouer la comédie … le pire boulot du Cipher Pol. L’Agent Viper replia alors sa lettre, la rangea dans l’enveloppe avant de la tendre à sa consoeur qui s’empressa de la saisir.

- “De quoi ça parle ?” Demanda-t-elle en tournant l’objet dans tous les sens, espérant voir au travers.
- “Je ne peux rien vous dire.”
- “Bonne réponse !”


Le visage de l’Agent Ibis s’illuminait alors. On aurait dit qu’elle avait tendu un vrai piège compliqué à Ada alors que celui-ci était enfantin. Le Cipher Pol c’était ça, que des manigances, des tests, des faux semblants. Ada sentait que l’Agent Ibis était en colère de n’avoir servi que de messager. Alors même que la jeune femme ne laissait rien paraitre. Mentir, c’était le propre du CP.

Une journée remplie de nouvelles se finissait et Ada retournait à ses appartements alors même qu’un marine vint la prévenir d’un départ imminent. C’était maintenant, la mission sous les directives de la commodore Pandore. Une mission dans la pire prison qui soit : Miles High Purgatory.
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