Back to US ... East Blue !

C’est comme se réveiller d’un rêve. Un rêve interminable que l’on ne peut ni veut quitter. Tout est si paisible, en ordre. Pourquoi cesser subitement d’être soi et de voguer parmi ceux qu’on a chéri ? Quitter la chaleur d’un foyer si ardemment désiré pour ne plus revenir. Un geste inconcevable, préjudice. Tout est si clair en ces lieux, tout semble si simple. Ce n’est pourtant qu’un mirage, un reflet bref de notre subconscient. Un dernier soubresaut de notre âme, une dernière larme envers un passé qui n’a jamais existé et un avenir qui jamais ne sera. Voilà tout ce à quoi nous aurions pu aboutir, si cette voie funeste ne ruisselait pas sous nos pas. Qu’est ce qui peut donc nous pousser à se rallier à un dessein aussi suicidaire, à une cause tant meurtrière. Car c’est un rêve. Un rêve qui vaut la peine d’être sacrifié. Un endroit que d’autres désireraient arpenter, mais qui ne le peuvent que dans leurs songes. Un territoire vierge et qui ne demande qu’à être créé. Un pays qui ne cherche qu’à être. C’est une cause pour laquelle il n’y a pas de fin, c’est un combat interminable où la mort moissonne toujours en pleine saison. Peu importe les sages et les ignorants, les forts et les faibles. Tous sont égaux et leurs cadavres fourmillent sous les dalles instables de nos idéaux. Seule la tête reste. Elle domine, façonne et se maquille. Nous ne sommes rien face à ce qui nous surplombe. Pourtant, ce sont les pions qui font le monde. Paradoxe. C’est un rêve. Un rêve pour lequel mourir n’est pas exclu. Il faudra payer le prix du sang, revendre ce que nous avons pris. Ne pas rechigner à la tâche, ne pas faiblir. Nous sommes humains, nous sommes imparfaits et belliqueux. Ceci n’est qu’une utopie, mais n’en arracher qu’un seul bout à la gueule de la dictature nous fait l’effet d’une libération, de la fin d’un calvaire. Nous souffrons et endurons en silence. Tous autant que nous sommes. Nous sommes marqués par le fer de la tourmente, mais nul n’a encore courbé l’échine. Nous vivons pour notre salut et pour celui des autres, et jamais ce fardeau ne pourra être déchargé. Toute époque à connu ses bouleversements, mais là n’est pas notre but. Nous ne cherchons qu’une seule chose, rendre ce rêve véritable.

Le ressac de la mer était entêtant. Il allait et venait, tantôt léchant les pieds, tantôt cherchant à l’emporter. C’était un étau frigorifiant qui agitait sans cesse la plage et apportait son lot d’étrangetés. Certains voyaient là des trésors, qui n’étaient qu’immondices pour d’autres. Mais même dans cette décharge, il y avait des choses inhabituelles qui transparaissaient. Des choses d’une vie, des choses effrayantes. L’air était chargé des embruns de la mer, et empestait le poisson pourri à des lieues à la ronde. La crique était le résultat de faux courants qui enfermaient là une quantité incroyable de composants et empêchait les espèces maritimes de regagner leur habitat. Certaines y subsistaient tant bien que mal, mais d’autres se voyaient forcées d’y dépérir par la faim ou la sécheresse. Une légère baie ensablée s’étalait au fond et on pouvait y distinguer quelques matériaux qui sortaient de l’ordinaire. Une ancre rongée par la rouille, un crâne simiesque. Et ce n’étaient pas les reliquats les plus mirobolants de l’endroit. Certains s’y seraient amusés à chercher des richesses ou autres, mais cette place était connue depuis des lustres par les naufrageurs et ils avaient plaisir à venir récupérer là les fortunes des navires écrasés contre les récifs. Et les survivants qui échouaient là … devenaient rapidement un moyen simple de subsistance pour les espèces affamée de la crique. On la nommait la Crique du Grand-Croque. Pourquoi ? Certains avançaient l’hypothèse qu’on l’eut dite faite de main de diable, ou encore que vu de haut, elle ressemblait à une figure maléfique. Mais bien peu connaissaient la véritable histoire, tant les hypothèses fourmillaient sur cet endroit incongru. Son nom n’avait pourtant rien d’intéressant, mais les histoires qui couraient sur cet endroit étaient toutes fascinantes et égayaient les soirées arrosées des tavernes des environs. Beaucoup se targuaient d’y avoir assisté, mais en réalité, il s’agissait souvent de la même histoire racontée avec des intervenants différents. À qui mieux-mieux serait le naufrageur qui avait entendu parler de l’homme qui avait connu l’homme qui avait retrouvé là, un jour, un fragment du fameux One Piece. Ou encore, un étrange fruit qui aurait possédé des propriétés mystiques ! Fait cocasse, cette histoire était véridique, et nous ramenait donc directement à notre homme. Homme, qui par ailleurs, avait ingéré ledit fruit quelques jours plus tôt. Fait qui expliquait, entre autre, l’état dans lequel il se trouvait actuellement, c'est-à-dire endormi au milieu de cette fameuse crique. Mais nous y reviendrons.

Après avoir essuyé une douloureuse rencontre avec son frère, notre homme s’était retrouvé déporté malgré lui par les courants aériens et avait fini par perdre connaissance alors qu’il dévalait à une vitesse ahurissante les airs. Cette rencontre fatidique avait sonné le gong pour son mental douloureusement affecté par la mort supposée de son jumeau. Qu’il ne l’eût jamais cru mort relevait du miracle, mais cette flamme avait animé son cœur et motivé ses convictions quant à entreprendre une quête désespérée pour le sauver. Mais il subsistait une seule variante non négligeable à ce qu’il recherchait, lui-même. Il avait été impuissant à aider son frère lorsque la Marine était apparue. Comment-donc parvenir à juguler ce manque et détruire tous ceux qui avaient osé toucher à sa famille, une fois de plus ? La réponse était simple, par le pouvoir. Qui n’avait pas entendu parler de ces fruits mythiques qui donnaient des pouvoirs démesurés à leurs détenteurs en échange d’une faiblesse au Granit Marin et à l’eau de mer ? Mais il se berça d’illusions en pensant en trouver si facilement, et fut rapidement découragé dans sa quête jusqu’à ce qu’il apprenne l’existence d’un fruit des plus puissants. Une simple rumeur qui le fit néanmoins prendre la mer et finalement arriver après des mois de navigations et des expériences incroyables sur une île éloignée de tout et parcourue par une organisation sans foi ni loi qui faisait sa loi. Ne faisant cure de ces informations, il poursuivit le dernier détenteur du fruit avec un sang-froid implacable et finit par le pousser à la mort à force de menaces. C’est là un autre fait qui le marqua, mais pas sur l’heure. Il avait sacrifié beaucoup dans sa quête et le côté sombre de lui-même, qui le guettait tant, a failli prendre le dessus. Cela aurait été un tournant funeste pour bien des personnes, mais nous y reviendrons aussi. Bref. Il avait fini par remonter le long d’une troupe de bandits qui s’étaient accaparés le fruit et par un concours de circonstances et de batailles, il s’était finalement emparé du fruit tant recherché. Il comprit alors qu’il avait acquis la capacité de se changer, de générer et de contrôler la fumée. Chose inhabituelle car elle l’éveillait à de nouveaux sens qu’il ne comprenait pas encore. Cependant, par le plus grand des hasards, la troupe de bandits qu’il avait combattus n’était autre qu’une branche éloignée de la famille qui avait pourchassé les assassins à travers le monde entier. Les Borgia qui avaient donc anéanti une grande partie des aïeux de Rafaelo. Et alors que celui-ci se faisait le serment de tous les éradiquer, aveuglé par la colère, il fit la rencontre d’un homme à la sinistre renommée, un chien du gouvernement nommé Hakumen. Cependant, celui-ci perdit son masque après quelques échanges de coups, ce qui révéla le visage du jumeau de Rafaelo. Perdant toute constance, celui-ci relâcha la puissance de son fruit sans en maîtriser une seule once et à moitié en état de choc, il s’était fait happer par le vent qui balayait le sommet de la tour dans laquelle il se trouvait. Son frère semblait amnésique mais il alternait entre états de chocs, violence et réactions positives, ce qui ébranla fortement l’assassin qui jura de le retrouver et de l’aider, comme de juste. Et en même temps que sa conscience l’abandonnait, il se fit le serment de ne jamais finir ainsi, et de toujours garder sa volonté intacte, mais ce détail importe peu pour l’instant. Dérivant parmi les courants aériens, l’assassin se retrouva trainé sur des lieues et des lieues par-dessus les montagnes et parfois même les nuages, tel un nuage qui jonglait avec les éléments. Puis, après plusieurs heures dans cet état second, son corps dériva lentement vers la terre alors qu’il se reformait et fini par s’écraser au milieu des flots. Sa nouvelle faiblesse le tortura longuement, mais la clémence des courants côtiers le ramenèrent vers la côte, l’empêchant de se noyer. Il ne savait plus nager, certes, et voyait sa force diminuer dans les proportions exactes de son immersion. La Crique du Grand-Croque l’accueillit donc en son sein et le tortura durant une journée entière avant qu’il n’ait la force d’exécuter le moindre geste.

Se portant sur ses bras, l’assassin réussit à se relever et dégagea légèrement la tête du sable humide pour aspirer une goulée d’air frais. Il relâcha un nuage de fumée et toussota avant de s’effondrer de nouveau. À bout de forces, mais conscient. Il remarqua alors qu’il était presque nu. Seules lui restaient sa tunique, son pantalon et quelques morceaux de sa capuche. Sa rapière était solidement fixée à sa hanche, comme toujours, mais une de ses bottes avait disparu dans les profondeurs océaniques. Ainsi que le reste de son attirail. Il entreprit donc de se débarrasser des restes de vêtements qui l’encombraient et les glissa mollement vers l’eau. Il dut s’y reprendre à trois fois avant de pouvoir retirer la dernière botte qui lui restait. Il en chassa aussi les quelques algues et autres indésirables qui s’y étaient logées puis la considéra avec dédain et la jeta avec le reste de ses affaires abîmées. Plus les secondes passaient et plus il reprenait des forces. Il se recula dans le fond de la crique et croisa les bras, grelottant. Il prit soudain conscience qu’il mourrait de faim et qu’il était transi jusqu’aux os. Il ôta donc sa tunique aussi et l’étendit comme il put sur le sable humide. C’était peine perdue, le Soleil ne passait pratiquement jamais ici. Il soupira et se passa une main lasse sur le visage. Il remarqua alors que sa peau était comme bouffie au niveau de son menton et se rappela soudain le coup de pied de son frère. La plaie partait de sa lèvre inférieure et battait tout le bas de sa mâchoire. Le sel avait rongé la plaie et il en garderait une marque indélébile. Lui qui était autrefois si soucieux de son apparence ne s’en formalisa pas. Il n’avait pas besoin d’avoir une gueule d’ange pour être assassin. Prenant son temps, il se redressa, sans tenir compte des protestations de ses articulations. Il se sentait étiré de toutes parts, comme si il avait été soumis à cette torture. Celle où l’on vous attachait les membres et on vous écartelait petit à petit en tournant une roue. Il n’était pas improbable qu’il tombe malade aussi, à être resté tremper dans cette flotte tout ce temps. Il farfouilla un peu dans les lieux lorsque, soudain, une corde tomba du haut de la crique. Rafaelo s’en écarta précipitamment et se recula dans l’ombre, observant la silhouette d’un homme qui descendait vers lui. Instinctivement, il exécuta le geste propice à dégainer sa lame secrète et fut presque surpris d’en entendre le chuintement. Il regarda son bras gauche et s’aperçut que ce n’était là que le mécanisme qui s’était déclenché, mais que la lame avait disparu de belle lurette, tout comme la majorité des composants de ce savant rouage. Un étrange cliquetis retentit alors que l’ensemble se désagrégeait. Il ferma les yeux, refoulant une vague de tristesse à voir ainsi son héritage partir en miettes puis ôta le bracelet et le posa doucement à terre, jugeant qu’il ne ferait que l’encombrer. L’inconnu posa alors pied à terre.

« Qui êtes-vous ? » questionna Rafaelo, encore masqué par l’ombre de la crique.

L’homme sursauta devant cette question venue du néant, puis il tira un couteau à viande de son ceinturon et sonda les ténèbres de son œil valide. Il était couturé de cicatrices et avait les mains rêches d’un pêcheur. Il renâcla puis souffla bruyamment et l’assassin compris qu’il ne pouvait plus parler. Il se déplaça doucement, du moins autant qu’il le pouvait, dans l’angle mort de cet homme et tenta d’en apprendre plus sur lui par sa simple allure. Grand mal lui en fit car dès l’instant où il commit l’imprudence de s’aventurer dans un endroit un peu moins obscur, le naufrageur se rua sur lui et tenta de lui planter son couteau dans le flanc. Laissant parler son corps, l’assassin crocheta son arme et la retourna contre lui sans mal. La lame rouillée s’enfonça dans la gorge sale de l’homme. Il n’eut pour râle d’agonie qu’un gargouillis ensanglanté et un léger cri aigu. Il se relâcha alors et l’odeur âcre de l’urine envahit la crique, tandis que Rafaelo déposait le corps sans vie à terre. Il le fouilla rapidement et s’empara de quelques berrys ainsi que d’une outre à Rhum largement entamée. Il se saisit de ses bottes et les enfila. Trop petites. Mais cela importait peu pour l’instant. Il n’était certainement pas seul. Ainsi, l’assassin rusa et secoua la corde deux fois. Une tête se pencha alors au-dessus du gouffre et sonda les ténèbres de la crique avant de hurler des mots dans un patois incompréhensible. Rafaelo soupesa le couteau à viande et le fit jouer dans sa main avant de bander tous les muscles de son bras directeur. Il envoya l’arme filer dans les airs et fit mouche. Comme toujours, non pas vraiment. Le couteau était vraiment rudimentaire mais restait régulier, ce qui était en soi une chance. Il s’enfonça dans un des orbites du second homme qui s’écroula et bascula dans le vide sans un bruit. L’assassin amortit la chute autant qu’il put et entreprit de le fouiller lui aussi. Il dégota une paire de bottes à sa taille, ainsi qu’une clef, certainement celle de sa mansarde, et quelques rations séchées de viande. Il les dévora tout en continuant la fouille. Il possédait aussi quelques berrys mais ça s’arrêtait là. L’assassin ôta le couteau de sa gorge et l’essuya dans l’eau de mer avant de secouer à nouveau la corde, vérifiant cette fois qu’elle était bien attachée. Personne ne vint. Peu de probabilité que ce soit un piège, ils avaient l’air bien trop pauvres et trop peu civilisés pour en avoir l’audace. Il rangea donc le couteau dans un repli de sa tunique, puis il entreprit de grimper à la force de ses bras. Les pierres étaient glissantes et chaque contact le déséquilibrait plus qu’autre chose. Il atteignit cependant le haut de la crique sans trop de mal, mais néanmoins essoufflé. La lumière l’éblouit quelques secondes et il papillonna des paupières avant de pouvoir distinguer quoi que ce soit. Un filet grossier traînait là, ainsi que quelques ustensiles, certainement ceux des deux hommes qu’il avait croisés en bas. Certainement des naufrageurs. Mais peu lui importait. Il soupira et pour la première fois depuis longtemps, sourit. Enfin libre. Et il n’avait plus le fardeau du danger que courait Césare à présent. Ils lui avaient tourné la tête, et son cœur lui criait vengeance, mais il savait qu’ils ne le tueraient pas. Ils avaient voulu le garder et cela jouerait en faveur de Rafaelo. Il le retrouverait et briserait leur sortilège. Il n’était pas apaisé, mais ce combat et l’acquisition de son nouveau pouvoir lui permettait de s’affranchir. Il était à présent bien plus fort que son frère. Et cela lui redonnait confiance.

« Ohé, qui va là ? »
tonna une voix, derrière lui.

L’assassin se retourna et avisa un homme dans la force de l’âge et aux tempes grisonnantes. Il était vêtu d’une vareuse grise et portait un pantalon en cuir noir terne et deux bottes de bonne facture. Il pointait sur Rafaelo un fusil et visait droit son cœur. N’ayant d’autres choix, il leva doucement les mains.

« Un simple naufragé. Je ne vous veux pas de mal. »
répondit-il, hésitant sur la conduite à tenir.

L’homme plissa les yeux et finit par baisser son fusil. Il se gratta le menton et parcouru le camp des naufrageurs d’un œil suspicieux avant de revenir à l’assassin.

« Un simple naufragé. Roumpf. Un simple naufragé n’aurait pas tué deux naufrageurs. Un simple naufragé aurait donné son nom, mais t’as pas l’air de quelqu’un de mauvais, alors ça ira. » trancha-t-il en rangeant son arme.

Rafaelo leva un sourcil, étonné, puis inspecta mieux cet homme qui lui accordait si facilement crédit. Il voulut dire quelque chose, protester mais rien ne lui vint à l’esprit et il resta interdit pendant que l’homme commençait à s’affairer dans le campement à retourner un peu tout.

« Reste pas là, l’affreux. Tiens. J’t’appelle Dastan, ça te va, Dastan ? Moi ça sera Tom. Bon, tu t’bouges et tu viens m’aider à balancer tout ça en bas ou tu vas rester à me regarder avec cet air de mouette ? »

L’homme déblayait les restes épars de morceaux d’épaves remontés avec une fougue incroyable. Il levait des monceaux de bois d’une seule main, tandis que Rafaelo restait là à l’observer malgré lui. Il lui fallut quelques secondes pour qu’il daigne lui prêter main forte mais jamais il ne le quitta du regard. Son esprit était pris dans un brouillard impénétrable et il sentait encore cette douleur sourde au fond de sa poitrine, cette trahison indicible. L’assassin ne comprenait pas réellement ce qu’il se passait sous ses yeux, mais l’inconnu n’était pas n’importe qui, ça il aurait pu le jurer. Il se déplaçait trop vite, et était trop agile. Il n’était pas tombé sur le premier imbécile venu, mais il était sur Grand Line, après tout. Comment croire qu’on pouvait survivre en un tel endroit sans devenir un minimum fort. Traînant les restes d’une caisse éventrée et remplie d’aliments visiblement avariés, l’assassin la fit lourdement glisser dans le trou et aperçu dans un mince rai de lumière les restes de son équipement brisé qui disparaissait sous les vagues. Une époque s’achevait là, alors qu’il enterrait les attributs qu’il avait tant arboré aux côtés de son frère durant ce presque quart de siècle. Son passé d’assassin populaire, d’homme irresponsable, terminé. Autrefois ils étaient deux pour penser, deux pour se venger. Aujourd’hui il était désespérément seul et il ne pourrait compter que sur ses propres choix pour avancer. Un tournant fatidique de sa destinée, une avancée phénoménale dans son combat. Il était devenu le détenteur d’un pouvoir recherché de tous et il ne se ferrait pas la honte de le gâcher. Dès qu’il avait croqué dans ce fruit il s’était fait une dette envers ce pourquoi il se battait. Il n’existait plus d’Auditore à présent, mais une quête et un but qui passait avant tout cela. Il serait Il Assassino avant tout, dès à présent, et nul ne prendrait plus son passé pour terrain de jeu. Il se savait traqué par des hommes dont il ignorait tout, il se savait seul. Tout cela n’importait que peu, au final. Il n’avait plus besoin de carcan pour se livrer à son combat. Il était libre d’aller où bon lui semblerait et retrouverait Césare et comprendrait pourquoi il s’était agenouillé face à l’oppresseur. Il comprendrait pourquoi il ne se rappelait plus de lui et pourquoi il leur était un si fidèle serviteur. Mais il ne devait pas sombrer dans les affres de la vengeance simple. Non, il devait se servir de cette force, de ce moteur vindicatif pour auréoler son combat d’une gloire sans précédent. Et ainsi, seulement, il saisirait le cœur des populations. Dès aujourd’hui, il se faisait le serment de ne se livrer qu’à des actes à la hauteur de ses prétentions. Fini les assassinats de bas étage où on ôtait la vie à tel ou tel mauvais homme. Il ferait choir dès à présent les têtes hautes et aidé par son pouvoir inestimable, il raserait toutes les places fortes de la Marine.

« Tu tires une drôle de tête, mon gars. » lui fit Tom, qui le dévisageait alors des pieds à la tête.

L’assassin émergea brusquement de ses pensées et remarqua qu’un léger filet de fumée s’échappait de ses mains. Il jugula aussitôt ses émotions vengeresses puis lui rendit un sourire quelque peu forcé avant de se remettre au travail. Ce type ne le lâchait pas du regard, c’était étrange. Tout autant que sa manière de l’accueillir. Rafaelo s’arrêta quelques secondes pour souffler et se frotta vigoureusement les mains. Sa tête lui tournait, et il se sentait étrangement faible. Voilà plusieurs jours qu’il n’avait pas mangé, et son corps commençait à le lui reprocher. Il s’assit par terre et réprima un frisson, tandis qu’un voile noir fugace passa devant ses yeux. Il surprit le regard intéressé de Tom.

« Je suis à bout de forces. Désolé. » conclut-il, simplement.

Le vieux briscard hocha de la tête puis se retourna brusquement, lâchant malgré lui un petit sourire en coin. Le croyait-il ? Peu importait. Rafaelo n’aspirait qu’à fausser la compagnie à ce désagréable personnage. Il n’aimait pas être aidé par une tierce personne car alors il ne savait plus comment agir. La tuer, la conserver ou tout simplement l’ignorer. Ces questions passaient sans arrêt dans sa tête et seul le fait qu’il pensait que cet homme lui cachait quelque chose l’empêchait de se décider. Il l’observa donc discrètement pendant quelques secondes, tâchant d’étudier le comportement de cet étrange personnage. Il mettait une énergie toute relative à effacer les traces de ce camp. À tel point que l’assassin se demandait ce qu’il cherchait réellement à faire là. Etait-il mêlé à tout cela ? Ou aidait-il réellement Rafaelo ? Quoi qu’il en soit, il lui en était reconnaissant. Un ennemi supplémentaire aurait été difficile à encaisser, mais fort heureusement, la chance finissait par lui sourire. Après quelques minutes, Tom eut fini de nettoyer l’endroit et de faire disparaître toute trace des naufrageurs. Rafaelo se leva doucement et marcha vers son nouvel allié. Il écarta du pieds deux ou trois boutes qui restaient là puis soupira. Dans le feu de l’action, il ne s’était pas rendu compte à quel point il était fatigué. Mâché de partout, et chaque cellule de son organisme le tiraillait. Etait-ce le contact avec ses vêtements humides qui exagérait cette douleur ? Ils étaient lourds du sel et de l’eau de la mer, et avec ses nouvelles capacités, l’assassin y était en quelque sorte allergique.

« Bon, j’vais te ramener chez moi pour que tu te reposes un peu, mon gars. On va t’préparer à grailler aussi, j’vois que la lutte a été dure. » marmonna-t-il, en désignant la rapière de l’assassin.

L’arme était maculée de sang et l’eau salée avait commencé à en attaquer le cuir, si ce n’était les derniers combats. Rafaelo releva la tête et ne sut réellement que répondre à cet homme qui lui venait en aide. Un détail étrange attira cependant son attention. Peut être impossible à déceler par un profane, mais l’assassin était physionomiste et il voyait clairement que son interlocuteur était apaisé. Il semblait enragé quelques secondes plus tôt, mais à présent dans ses pupilles luisait une étrange satiété, comme si d’avoir mis ce camp à ras avait suffit à le complaire. Interloqué, Rafaelo marqua un temps d’arrêt. Et si tout cela était lié, et si tout cela avait un sens ? Sa confiance trop rapide, sa hargne à tout mettre en bas …

« Tom … que vous avaient donc fait ces hommes pour mériter votre courroux ? »
murmura l’assassin, en se rapprochant dudit personnage.

Le vieil homme se retourna lentement vers lui et sembla chercher quoi répondre, puis, comme si un de ses arguments l’avait emporté sur l’autre, il se décida à ouvrir la bouche.

« Ces … hommes … étaient des meurtriers. Ils m’avaient ôté un des êtres les plus chers à mon existence et s’étaient honteusement repus de sa chair. » cracha-t-il, une violente bouffée de colère emportant sa voix.

« Consuela … Reine parmi les Reines … »
murmura-t-il, les larmes aux yeux.

L’assassin leva un sourcil, interloqué. Ces naufrageurs étaient des monstres ! Ingérer de la chair humaine, c’était un crime …

« Ignoble ! Ma meilleure coureuse, élevée depuis l’œuf jusqu’à la plus haute des sphères de la victoire … Oh, Consuela ! »
se lamenta-t-il, ne pouvant retenir une larme.

De nouveau, Rafaelo fut pris de court par la réaction de son nouvel allié. Il le considéra de haut en bas, sentant qu’il y avait là anguille sous roche. Il posa une main affectueuse sur son épaule, ne sachant pas réellement comment réagir mais il sentit que son geste apaisa Tom. Ainsi, il lui avait si facilement accordé crédit car il avait mis à mort les deux meurtriers de Consuela ? Il l’avait fait sans savoir, mais en d’autres circonstances, il aurait agi de même. Ce genre de méfait se devait d’être puni copieusement, et même la mort ne suffisait pas à racheter un tel péché.

« Oh, Faviola, ma belle, ma douce ! » murmura soudain Tom.

L’assassin releva alors les yeux et aperçu un immense silhouette se dirigeant vers eux. Il recula d’un pas, terrifié par la chose de plus de deux mètres qui s’avançait vers lui, et un cri guttural accueilli son geste. La bête ouvrit grand la bouche et s’interposa entre Tom et Rafaelo, levant les bras et agitant ses immenses plumes. Plumes ? Un coup de bec bien placé vint perforer la chemise de l’Auditore, le propulsant à terre, et une patte massive le plaqua au sol. Avant qu’il n’ait pu réagir, un souffle glacé vint lui caresser la gorge, à quelques centimètres à peine de sa jugulaire, promesse d’un tourment insoutenable. L’air sembla s’assécher autour de l’assassin, tandis que la pression sur sa poitrine se renforçait de secondes en secondes. Il voulut se dégager, mais c’était peine perdue. Il ne dut son salut qu’à l’intervention propice de Tom qui, caressant le cou de sa créature, lui murmura de doux mots à l’oreille et la calma aussitôt. La bête ôta sa patte de la poitrine de Rafaelo, et celui-ci en profita pour se relever précipitamment. Il se maintint les côtes, douloureusement amoché par la créature et reprit son souffle, tâchant de calmer son palpitant qui s’était mis en branle. Il tenta de se redresse au mieux, mais c’était peine perdue, l’incroyable créature le dominait et il se sentait à la fois perturbé par la lueur mortellement inintelligente de son regard et la grâce tudesque de ses proportions. Jamais il n’avait vu de telle bête par chez lui, jamais il n’avait eu à se confronter à cette chose incroyable et pourtant si familière. Jamais l’assassin n’avait tenu tête à une autruche.

« Il y a un mois à présent, que le drame s’est produit. Ces satanés naufrageurs se sont introduis dans mon ranch et on attaqué Consuela pour s’en repaître. Et depuis lors, sa douce jumelle d’œuf, Faviola est devenue impossible à vivre. Je n’ai eu de cesse que de traquer ces vils malfrats, mais tu as agis avant moi et pour cela je t’en suis reconnaissant. Savoir que leur vie entière repose dans ce trou d’eau m’apaise plutôt, mais il semble que ma douce Faviola soit marquée à vie par ce triste destin. Je te demanderais donc de ne pas tenir compte de son geste, Dastan. Désolé pour tout ce dérangement, mais je te suis redevable au final. Je me nomme en réalité Tom Booker, mais tu dois me connaître, non ? L’homme qui murmure à l’oreille des autruches … » se présenta l’homme, après moult excuses.

D’un œil sagace, Rafaelo jaugea les deux opposants qui se tenaient face à lui et hésitait quant à la conduite à tenir. D’un côté, la bête odieuse, et de l’autre l’homme qui lui semblait redevable. Mais dans quoi s’était-il embarqué. Il se tenait toujours les côtes, à bout de force et blessé, qui plus est. Il ne cherchait même pas à savoir dans quoi il était tombé, trop exténué pour chercher midi à quatorze heures. Il baissa les bras et soupira bruyamment. Faviola semblait le considérer d’un œil plus amical depuis que Tom s’était approché d’elle et lui avait glissé quelques mots à l’oreille. Elle semblait toujours aussi peu encline à la paix, mais au moins elle ne l’attaquait pas. L’assassin finit par s’incliner, de mauvaise grâce.

« Ouch … Elle n’y est pas allée de main morte, Tom. Je ne serais pas contre un peu de repos, et un peu de nourriture, sans abuser de votre hospitalité. Mais si vous dites m’être redevable … alors j’aurais l’audace de vous demander un autre service. Comme vous le savez, je me suis échoué ici, alors que je cherchais un moyen de rentrer chez moi, loin dans les blues, de l’autre côté de Reverse Mountain … » répliqua-t-il, tentant le tout pour le tout.

Le vieil homme s’arrêta un instant, et fit glisser son fusil sur son épaule, grattant discrètement le cou de Faviola de son autre main. L’animal émit un étrange bruit guttural et sembla se complaire de la marque d’affection. Tom sembla réfléchir puis se raviser quatre fois avant de finalement ouvrir la bouche.

« Oui. Je connais un moyen. » répondit-il.

Un poids s’envola soudain des épaules de Rafaelo et un soulagement sans borne l’envahit. Il était réputé difficile de quitter cette zone lorsqu’on n’était pas un Marine, ainsi il était inquiet quant à ce sujet, mais Tom venait de raviver le peu d’espoir qu’il avait en lui. Lui, et cette colossale créature. L’assassin resta cependant de marbre et attendit la suite. Quelque chose lui disait que ce serait tout sauf facile.

« Chaque année, nous organisons ce que nous appelons ici le ‘Ostrich Race’, qui se tiendra dans un mois, jour pour jour. Une grande course pour laquelle tous les éleveurs de Grand Line sont en compétition. Or, après dix ans d’absence, suite à un traumatisme malheureux qui priva la mère de Consuela et Faviola de ses pattes, j’étais enfin de retour pour gagner cette fatidique course, avec la nouvelle génération d’autruches. Je n’étais, autrefois, qu’un simple dresseur mais aujourd’hui ma vocation exige que je remporte cette course en la mémoire de mes deux autruches disparues … or moi-même, je ne peux chevaucher Faviola, à présent. » commença-t-il, son regard se perdant dans les méandres d’un temps oublié.

« Et le grand prix de l’Ostrich Race … est une croisière dans les blues ! »
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Faviola avait le tempérament d’une Reine. La chevaucher n’avait rien d’une partie de plaisir. Sitôt qu’on grimpait dessus, elle se démenait comme un beau diable pour chasser cet intrus et aucun homme n’avait réussi à y rester plus de quelques secondes. Mais tous n’étaient pas des Auditore. Bien assez vite, l’assassin avait compris que ce n’était pas une relation dominante qu’il fallait établir avec la belle, mais un échange insatiable. Une danse sensuelle aux allures de ballet qui envoûtait chacune des parties. Tom Booker était un maître exceptionnel, mais il ne cessait de répéter à l’assassin que celui-ci avait l’autruchetation dans le sang. Il était vrai que logé sur le dos de la créature, le monde s’ouvrait dans un autre perspective, et bien qu’il en eut récolté d’innombrables bleus ou autres écorchures, Rafaelo se tenait fièrement sur Faviola, logé au creux de ses ailes. Un monde de découverte et de sensations inexplorées s’ouvrait à lui. Sentir cette musculature si puissante s’animer sous lui et le porter à une vitesse inimaginable … il n’aurait jamais cru pouvoir aussi vite se lier à elle, et avait peu à peu appris à admirer ses courbes et ses aptitudes incroyables. Selon Tom, l’autruche avait compris qu’il avait vengé sa jumelle et elle s’offrait à lui si facilement pour cette raison, mais Rafaelo avait sa propre hypothèse, car lui aussi avait perdu un être cher il y avait peu. Son frère l’avait quitté, il le sentait au plus profond de lui et cela lui brisait le cœur, et il savait que la belle partageait cette douleur.

« Suffit de rêvasser, Dastan, on pique à droite et on bat à gauche, allez ! » hurla l’homme qui murmurait à l’oreille des autruches.

L’assassin fit doucement glisser sa jambe gauche le long du flanc de la créature et releva sa pointe de pied à droite. La réponse fut immédiate : Faviole allongea une patte à droite et se rassembla pour exécuter un bond prodigieux, portant le couple à plus de trois mètres de haut. C’était là le miracle de cette association, car ils ne pouvaient prétendre à de telles prouesses qu’à deux. Rafaelo reproduisit la figure trois fois, avant que Booker ne s’estime satisfait. Il se laissa alors glisser aux côtés de la douce, qui le gratifia d’un coup de tête affectueux. D’un geste souple, l’assassin lui offrit une poignée de récompense que celle-ci ingurgita d’un coup, avant de s’éloigner en battant des ailes, vers le point d’eau le plus proche.

« Bon travail, mon gars. Quand je t’ai vu la première fois, j’aurais jamais pensé que tu puisses ainsi arriver à chevaucher Faviola ainsi, mais y’a un truc assez unique entre vous deux. Comme si vous partagiez quelque chose que nul autre ne pourrait, je n’avais jamais vu une autruche développer un tel lien avec son autruchier, pour sûr ! Mais à présent, va te reposer, il est tard. Je vais m’occuper de Faviola, la course est demain … » le congédia-t-il d’une tape amicale sur l’épaule.

Le jeune homme opina du chef, puis s’engouffra à l’intérieur de la large bâtisse qui les abritait, Tom et lui. Malgré que ce ne soit pour lui qu’une formalité à accomplir, la course lui nouait les tripes comme jamais. On avait jamais vu autruche avec un potentiel aussi grand que celui de Faviola, mais il portait, en plus de la pression d’un possible retour aux blues, le sentiment de devoir absolument gagner pour Tom. Cet homme avait tant fait pour lui ces derniers jours qu’il en était presque venu à partager ses rêves et à nourrir les mêmes espoirs que lui concernant Faviola. C’était un comble que l’assassin se soit réellement pris au jeu, mais ainsi il oubliait toutes les contraintes du monde qui pesaient sur lui et se sentait presque libéré de tout cela. Au moins, s’il remportait la victoire, il pourrait voyager au calme … et dans le cas contraire, il trouverait toujours un moyen de rentrer chez lui. N’était-il pas un assassin, un professionnel de la filature et de la mise à mort ? Bien entendu. Il attrapa un bol en terre cuite et y versa ce qui semblait être un mélange pâteux de céréales, de banane et de jus d’orange. Un menu très certainement énergétique préparé par Booker. Il avala le tout sans broncher puis prépara les maigres affaires qu’il destinait à la course. Un pantalon en cuir renforcé pour éviter de se brûler la peau, des gants en cuir pour maintenir les rênes, et une chemise en lin, tressée. Il emportait aussi une paire de lunettes pour le protéger du sable et du Soleil du désert, ainsi qu’une large écharpe blanche souple et légère. Puis, s’affalant sur sa couche, il s’endormit comme une masse tant il était fatigué, jusqu’à …

« …debout, Dastan, debout ! Il est bientôt l’heure de se mettre en route ! »
le secoua Tom.

L’assassin se tourna dans son lit et se frotta les yeux. Déjà ? D’un geste, il envoya le drap au fond de sa couche, puis s’empara de ses affaires. Après une toilette sommaire, il les enfila et se rua dehors, un morceau de pain à la main pour aller sortir Faviola de son enclos. L’autruche attendait déjà harnaché au devant de la carriole, Tom s’était occupé de tout. Il avait du en voir d’autres, mais Rafaelo se sentait néanmoins gêné de ne pas avoir pu préparer lui-même Faviola. Il n’en dit rien et pris tout simplement place aux commandes. Booker ne mit que quelques secondes à le rejoindre, mais déjà l’aube pointait le bout de son nez.

« Allez, en avant ! » hurla-t-il, alors que Rafaelo faisait claquer ses guides sur le flanc de l’autruche.

~~~

L’ambiance était démentielle. Une foule d’une dizaine de milliers de personnes s’était rassemblée pour l’événement. Comment croire qu’une telle course puisse rallier autant de personnes ? Les derniers préparatifs étaient en train de se faire, et Rafaelo enfilait à la hâte le dernier sponsor que Tom venait de leur dégoter, une marque de boisson nommée Red Ostrich, figurant deux autruches en rouges se battant sur un cercle jaune par-dessus un bleu profond. Une marque de boisson énergisante à ce qu’il paraissait. Peut lui importait, mais cela rapporterait des berries supplémentaires, ainsi que des revenus un peu plus fixes. Enfin, il n’avait pas écouté grand-chose, mais il devait mettre la tenue. Il flatta l’encolure de Faviola, alors que tous les coureurs se déplaçaient vers la piste, où des placements étaient aménagés. Tout ceci était impressionnant, et cela rassemblait tant les experts que les derniers des imbéciles. L’assassin se sentait un peu à l’étroit, à être ainsi au centre de toute l’attention. C’était inhabituel pour lui, mais ce n’était pas le sujet qui occupait toutes ses pensées pour l’instant. Il avait une course à mener et une victoire à accomplir. Il ne pouvait échouer, pour la mémoire de Consuela et pour Tom. C’était pour cela qu’il s’était entraîné, dans le plus grand secret, sans relâche ce dernier mois. Il avait mis au point toute une série de tactiques, des plus incongrues au plus meurtrières. Puis vint le son du départ. Ou, du moins, des premières instances. Selon ce que lui avait dit Tom, il repèrerait sa place car elle serait indiquée par l’initiale de son autruche, ainsi que par le nombre de participation à cette course. Ainsi, il trouva rapidement la place de F1 qui lui était attribué, et s’y installe, flattant généreusement le cou de Faviola. L’heure était venue. L’heure de la revanche et de la victoire. D’un bras, l’assassin se hissa sur le dos de sa compagne, et sous le tonnerre d’applaudissement qui résonna, leva un bras lorsqu’on le présenta, parmi les vingt-sept autres candidats. Puis le gong retentit.

Ah, c’est un petit nouveau que voilà, n’est ce pas Jean-Michel ? Oui, tout droit sorti des écuries Booker. On me dit qu’il faut attendre beaucoup de ce petit nouveau, digne successeur de notre ancien favori. Son arrivée était tenu secrète jusqu’au aujourd’hui, un grand spectacle, je vous le garantie !Ah, ça commence, n’oubliez pas qu’à la course d’Autruche, tous les coups sont permis ! Aïe aïe, pauvre numéro seize, le numéro six, Mario, vient de lui lancer une caisse pleine de tortues, l’éliminant directement de la course ! Le championnat va être serré cette année !

Pivotant à droite, Rafaelo évita le corps sans vie de l’autruche qui se tenait juste devant lui quelques secondes auparavant, alors que l’autrucheur qui venait de lancer sa caisse de tortues le regardait d’un air mesquin, en lissant sa glorieuse moustache. L’assassin se baissa doucement, et murmura quelques mots au creux du coup de Faviola qui bondit soudain en avant, allongeant sans cesse ses foulées ! Serrant ses jambes, Rafaelo se cramponna lorsque celle-ci s’envola dans les airs, passant par-dessus le diabolique moustachu. Le petit personnage pesta, montrant le poing, mais l’assassin était déjà loin.

Quel beau coup, une figure difficile à exécuter ! Et bien, Mario est dans le vent, on peut dire que pour lui la partie est terminée ! Notre nouveau couple semble avancer à une allure plus que raisonnable, et le voilà qui double à nouveaux quelques concurrents, et esquive d’un pas souple une autre attaque. On a rarement vu autruche plus rapide, mais il se faufile à présent dans le peloton de tête, et c’est là que les choses vont se corser !

Tout à fait Thierry ! Gogosataur et Goldorak ne semblent pas apprécier que ce petit nouveau veuille leur rafler la mise, et ils tentent de l’écraser entre eux, mais encore une fois Faviola est trop rapide ! Une parfaite harmonie la lie avec son autrucheur, du jamais vu, Thierry ! Ah, ça y est, déjà un tour d’effectué, il n’en reste plus que deux !

Tom lui avait dit qu’aucune véritable règle ne liait cette course, et que le principal danger serait le tenant en titre, mais jamais l’assassin ne s’était attendu à ce que tous les coureurs soient aussi avides de violence. À tel point qu’il en avait presque peur pour Faviola, mais la dame savait y faire. Elle anticipait les attaques de ses comparses et ne prenait pas même le temps de rendre les coups : elle filait à une vitesse ahurissante, sans même montrer une once de fatigue. Tom avait raison lorsqu’il disait d’elle qu’elle était la meilleure parmi les meilleures, et Rafaelo avait du mal à croire que Consuela ait pu la surpasser. Etrangement, il retrouvait un peu là une sensation de déjà vécu. Etait-il possible qu’à travers cette course il vive son propre problème ? Le destin exigeait-il de lui qu’il adapte cette histoire d’autruches à sa propre vie pour en tirer un enseignement fondamental ? Peut-être, mais l’heure n’était pas à de pareilles digressions. Talonnant sa monture, l’assassin lui intima d’aller plus vite, et chose inattendue, elle s’exécuta, se rapprochant de plus en plus de l’ancien champion. Avec grâce, Faviola passa au dessus du corps meurtri d’un homme, qui avait certainement tenté de s’approcher trop près de Sebulba. Mais il en fallait plus pour lui faire peur. L’assassin laissa son autruche le mettre à portée de bras d’un des quatre tenants, et lorsque celui-ci tenta de placer littéralement un bâton dans les pattes de son autruche, il crocheta son bras, lui ravit son arme et lui administra un violent coup dans la gorge, l’envoyant voler à quelques mètres, vers une autre autruche. Rafaelo fit tourner le bâton autour de lui, dans un mouvement de grâce insoupçonné, et envoya l’arme s’abattre dans le dos du coureur qui lui faisait face, lui tirant une plainte sourde avant qu’il ne glisse de sa monture. L’assassin flatta une nouvelle fois le cou de Faviola, puis la talonna de nouveau. À présent, seuls Sebulba et son autruche se dressaient face à lui.

Jean-Michel, mais regardez moi ça ! Le coureur aux couleurs de Red Ostrich se fait une trouée fantastique dans les rangs à présent clairsemés des autruches de tête, et il arrive à la hauteur de Sebulba !

Tout à fait Thierry, mais la véritable course ne fait que commencer ! Savez-vous pourquoi ?

Et oui, Jean-Michel ! Années après années, Sebulba s’est imposé en tant que maître incontesté de cette course et a tué chacun de ses opposants, ce qui fait que plus personne n’ose l’approcher à présent, et qu’il reste le dernier véritable vrai coureur de cette course. Notre jeune recrue doit être inconsciente pour se frotter ainsi à lui !

La vitesse, le sable qui s’immisçait partout. Et cette odeur de sang et de sueur. Le vent sifflait aux oreilles de Rafaelo, et il n’entendait plus les cris de la foule. Il était à présent seul dans sa bulle, avec Faviola, et ne voyait plus que cette sombre silhouette qui se dessinait face à lui. Un homme qui prenait plaisir à éradiquer ses adversaire au biais d’artifices toujours divers. Rafaelo tira de sa ceinture sa rapière puis poussa Faviola vers lui. Un mois qu’il s’entrainait, un mois qui lui avait permis de développer ce lien si particulier avec Faviola. Il ne pouvait pas échouer ! D’autant plus qu’il avait aussi appris à masquer son pouvoir, à ne pas l’utiliser et à conserver tout ce qui faisait de lui un assassin auparavant. Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai : une seule chose avait changé. Et c’est avec un sourire qu’il vit Sebulba pointer vers lui le canon d’une arme à feu. Rafaelo se redressa alors et inspira profondément. L’agitation de la course ne le gênait pas, Faviola était aussi confortable qu’un siège. Et le coup partit, et il percuta Rafaelo de plein fouet, au milieu de la poitrine. Puis il se perdit derrière lui, avec une trainée de fumée. Le meneur ouvrit des yeux grands comme une soucoupe, puis tira à nouveau, trois fois. L’assassin ne lui laissa pas le temps de le toucher et alors, que Sebulba armait son fusil, il talonna Faviola. Toute la foule retint alors son souffle, ne comprenant pas comment Rafaelo avait fait pour éviter ce coup ! Et pourtant, son autruche se déporta sur la droite, et vint se placer à hauteur de son adversaire. L’assassin lui ôta son arme des mains d’un coup de rapière, puis chercha à percer sa tunique, mais un crissement métallique lui répondit. Quelque peu surpris, Sebulba dégaina malgré tout une épée courte et offrit un sourire malsain à Rafaelo. Il arracha sa tunique de son autre main et révéla une côte de maille en parfait état : sa dernière défense. Le jeune Auditore soupira en secouant la tête et administra, presque négligemment, un coup à son opposant. Celui-ci le para gauchement, et il s’ensuivit alors quelques brefs échanges de coups, jusqu’à ce que Rafaelo parvienne finalement à faire voler l’épée de Sebulba. Celui-ci n’eut pas le temps de parler que la rapière de l’assassin s’enfonçait dans sa gorge et le passait de vie à trépas. Le corps de l’ancien champion s’écrasa mollement et rebondit plusieurs fois à terre lorsqu’une violente douleur transperça le mollet du jeune homme.

Ah ! Encore un qui a cru que Sebulba n’était que l’autrucheur ! Et non, le voilà face à l’autruche la plus machiavélique que ce monde ait pu porter … l’autruche qui, autrefois, sectionna les pattes de l’autruche favorite de Booker pour s’assurer la victoire.

Tout à fait Thierry ! Et certains disent même qu’elle serait à la tête d’un réseau de naufrageurs, mais ce n’est bien sûr qu’une rumeur !



Ce fut soudain le corps entier de Faviola qui s’ébranla. L’autruche s’arrêta soudain, et sa patte droite balaya le sol alors que Rafaelo se vit éjecté du dos de son autruche, et roula à terre sur plusieurs mètres. Les deux coureuses s’arrêtèrent alors et commencèrent à se dévisager curieusement, tournant l’une autour de l’autre. Une tension était palpable entre les deux autruches, comme si Faviola savait à présent parfaitement à qui elle avait affaire, la créature qui était à l’origine de tout ceci. Comme si Tom Booker avait fait exprès de les envoyer ici, pour cette seule raison ! L’assassin se savait exclu de ce combat, mais il lui restait toujours quelque chose à faire : s’assurer que Faviola ne meure pas. Il se rapprocha donc de la scène, et se prépara à intervenir à n’importe quel moment.

« Hyaaaar hi hi hihyaaaar hiagh ! » cria Faviola.

« Hugiiiiiiah hyarhyarhyar highyaahahahah ! » ricana Sebulba, avec un fort accent slave.

Puis, sans crier gare, elle se rua à l’assaut, exécutant un parfait mawashigeri. Faviola esquiva sans mal et répliqua par un coup de pied latéral renversé, atteignant Sebulba à la poitrine. L’autruche se rattrapa par un saut périlleux parfaitement exécuté, puis exécuta la Mortelle danse du bec dont elle avait le secret, frappant aux niveaux des articulations, cherchant à paralyser son adversaire. Faviola esquiva parfaitement, comme si la rage qui lui coulait dans les veines lui donnait des ailes, enfin, façon de parler pour une autruche. Elle réplique par un coup du talon ravageur, qui résulte par un sinistre craquement au niveau de l’aile de son adversaire qui chancelle un instant avant de fouiller sous son aile et t’en tirer un protège bec en acier trempé, et aiguisé qui plus est ! Mais il en fallait plus pour faire reculer Faviola. Simulant un pas sur le côté, celle-ci décocha un coup de bec ravageur dans l’œil droit de Sebulba, générant un geyser de sang rougeâtre. Avec autant de dégoût qu’un faciès autrichien pouvait l’exprimer, elle recracha le globe oculaire aux pieds de Sebulba qui eut alors un mouvement de recul. Mais il était trop tard. Le vengeance appelait l’âme de Faviole, et elle s’envola soudain dans les airs, enserrant le long cou de son adversaire entre ses pattes puissantes. Puis elle s’écroula sur elle, la maintenant dans une fameuse prise martiale connue sous le nom de Rira bien qui rira le dernier. Et d’une simple torsion de son corps, elle rompit la nuque à celle qui l’avait tant faite souffrir. Avec un regard détaché, elle se releva et écarta du bout de la patte le corps sans vie de sa concurrente. Sa vengeance était consommée, elle revenait à présent vers Rafaelo. Elle saignait au niveau du poitrail, mais ne laissa pas l’assassin y toucher. Elle regarda dans le lointain, d’un air signifiant ‘on a pas une course à gagner ?’

~~~




« Je ne t’oublierai jamais, Faviola. Ces moments furent pour moi exceptionnels, et je suis heureux de t’avoir aidé à mener à terme ta vengeance. Puisse Consuela reposer en paix, à présent. » murmura l’assassin à l’oreille de la douce.

Celle-ci se frotta doucement contre lui, puis recula d’un pas, laissant la place à Tom Booker. L’homme prit l’assassin dans les bras et rompit cette brutale étreinte aussi rapidement qu’elle avait commencé. On voyait qu’il avait le cœur gros de le voir ainsi partir, mais il le savait depuis le début, après tout. Le passage de Rafaelo avait marqué de nombreuses vies en ces lieux, mais tout ceci n’aurait pas été possible sans l’aide de Faviola ou encore l’entraînement incroyable de Tom Booker. Le cor qui résonna dans le port écourta cependant leurs adieux déchirants lorsque Tom tendit un paquet à Rafaelo.

« Tiens, je sais que c’est peu mais je suis retourné dans la crique et j’ai retrouvé quelques uns de tes objets, peu après que nous soyons vus la première fois. Je crois savoir que ces bracelets t’étaient chers, tout comme cette armure. Puisses-tu continuer à t’en servir avec droiture, Dastan. Tu as apporté beaucoup de bonheur à un vieil homme comme moi, et a tant aidé Faviola. Tout ce que je pourrais t’offrir ne sera jamais assez. » geignit-il, au bord des larmes.

L’assassin posa une main qui se voulait apaisante sur son épaule. Il lui offrit un sourire amical. Lui-même n’aurait pas cru qu’il fût aussi difficile de quitter les lieux. Voilà une semaine qu’il avait remporté cette course grâce à l’aide de Faviola, et il n’avait pas vu le temps passer depuis. Mais il était au moins certain d’une chose.

« N’ayez crainte, un jour je reviendrais. C’est à moi de vous remercier, Tom et Faviola. Sans vous, qu’aurait-il pu bien advenir de moi, hein ? Puisse notre prochaine rencontre se dérouler sous un jour meilleur ! »
fit-il, avant de se reculer d’un pas.

Loin derrière, une voix appelait les retardataires. L’assassin sortit de sa poche son billet d’or, n’existant qu’en quatre exemplaires à travers le monde, et se rua vers la passerelle sensée le mener vers le bateau de croisière rempli de Marines. Pour une fois qu’il voyagerait avec eux en toute légalité … Il tendit son billet au contrôleur puis, adressant un dernier signe de la main à ses amis, il s’engagea sur le pont et disparu à leur vue. Peut être qu’un jour leur routes se croiseraient à nouveau, et alors Rafaelo espérait lui aussi avoir accompli sa vengeance. Mais pas seulement, son but dépassait tout cela, raison pour la quelle il se devait absolument de rentrer dans les blues et parvenir enfin à reprendre la Confrérie en main et devenir un des leaders de l’Union Révolutionnaire. Et alors que la passerelle était rabattue sur le pont, un lointain cri résonna dans le port. Un cri d’au revoir qui ne pouvait qu’émaner de Faviola. Un sourire béat se dessina sur la face de l’assassin. À présent, l’expression faire l’autruche prendrait un tout autre sens pour lui.

Barba non facit philosophum.
[fin de l'arc Grand Line]
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