- Encore un nouveau navire. Encore un nouvel équipage. Encore une nouveau capitaine. Et pourtant, elle restait Bosco. Elle était de tous les fronts, une pièce rapportée qui servait à beaucoup trop de gens à son goût. Elle n'aurait pas tout simplement pu être assignée à un capitaine, colonel ou autre, de la marine ? Un qu'elle suivrait ? Un qu'elle pourrait appeler par son nom. Comme Salem. Un qui n'était pas alcoolique. Un dont la cargaison était autre chose que des tonneaux de vins d'East Blue. Un pour qui marchandises n'était pas synonyme de boisson. Et dont les passagers n'étaient pas relégués à fond de cale, fers aux poignets et chevilles.
Politiciens véreux, Crapules frauduleuses, Bandits de grands chemins, Gamin en Réclusion criminelle. Des civils en somme, tous étaient parqués dans une ou deux cages dans la cale. Un navire carcéral, parfait pour les transhumances de petites frapes dans le genre. Rachel l'avait découvert le deuxième jour de navigation, alors qu'elle allait chercher une bouteille d'alcool dans la cale à vivre, pour un matelot qui s'était presque « éventré avec le mât ». De ses propres dires. De ceux de Rachel, il s'était enfoncé une écharde dans l'estomac. Une écharde de la taille du poignet de la bosco. D'ailleurs, pour faire taire ses jérémiades, elle avait mimé la scène de son bras dans le ventre du blessé. Il avait tourné de l’œil. Pas bien gaillardes les recrues cette saison. Cela dit, j'en étais au moment où le Lieutenant était allé chercher ladite de bouteille pour la blessure du jeune homme en mal de patience à l'ouïr hurler ainsi sa douleur. Elle était alors tombée de haut en découvrant un vieil homme si bien conservé, aux traits de marbre taillé et au regard si dur. Il la fixait avec une intensité qui la fit frissonner, puis sourire -espérant un jour inspirer de telles émotions chez les autres- et finalement de dégoût. Un regard à la ronde lui avait appris qu'ils étaient une bonne vingtaine comme ceci. De toute âge, de tout genre, de toute race. Le Sergent ramassa la gourde d'eau de vie et remonta sur la tillace, enjambant l'escalier quatre à quatre. Pour aller gueuler sur une capitaine ivre mort, lui intimant l'ordre de baisser d'un ton, une main sur son crâne, l'autre sur un goulot vidé depuis la veille.
Rien n'y fit. Ce n'était que du transport de prisonniers. Qu'un simple déménagement de cellule après tout. Ce qui n'empêcha pas Rachel de malgré tout jouer avec sa dague, assise sur le bastingage, le regard perdu vers l'horizon. Maussade, elle l'était. Mais son visage était plutôt inexpressif. Plus effrayant en soi pour les membres d'équipages qui durent se gérer tout seul. Pendant les deux qui suivirent, elle ne donna pas un ordre aux matelots pour naviguer. Malgré les récriminations du second, qui lui aussi avait un verre de trop dans le nez. Elle l'avait ignoré magistralement, et il était reparti fier de lui comme s'il avait obtenu d'elle quelque chose qui lui tenait à cœur. Mais une fois le vent tourné, une fois que tout le monde eut compris qu'elle ne scanderait aucun nouvel ordre, une nouvelle mécanique se mit en place à bord, sans fonctionner au son d'un quelconque tambour. Les chants résonnèrent et, portés par le rythme, le navire prit de la vitesse et l'équipage de la bouteille. Au sens figuré, bien sûr. Le teint livide comme tous les autres jours, notre poupée de porcelaine fixait les vagues, l'horizon, l'écume, et savourait les embruns sur son visage candide. Pourquoi donc était-elle amère de cette manière ?
...Peut-être irait-elle manger une poire avec les prisonniers, un peu plus tard...