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Entre la vie et la morgue

    Quelques nuits après Little Garden, sur le pont du Léviathan

    Sur le pont d'avant, les trois hommes de quart se serrent frileusement autour du brasero. Ils savent que dans quelques minutes ils vont devoir s'éloigner du feu pour reprendre leur ronde, alors ils cherchent à emporter le plus de chaleur possible avec eux.

    -N’empêche, je suis sur qu'il a triché !
    Ça c'est Félix, dit Tabouret a cause de sa petite taille et d'un sommet de crane aussi plat que chauve. Un petit type jovial et un peu magouilleur, toujours prêt à rendre service ou à pousser la chansonnette pour encourager ses collègues... Mais pour l'instant Tabouret fait la gueule, s'il est de garde cette nuit c'est qu'il a joué son tour de garde et qu'il a perdu.

    -Pff, pas besoin de tricher pour te lessiver, dés que tu bluffes tu te mets à triturer le porte bonheur que tu as dans ta poche comme si tu étais pris de tremblote...Tout le monde le sait.
    Ptit Louis, qu'on n'appelle comme ça que parce que son corps d'adolescent en pleine croissance donne toujours l'impression qu'il déborde de ses vêtements trop petits, se marre à voix basse en rapprochant ses mains du feu. Même s'il n'est soldat que depuis peu, les événements tragiques de Little Garden lui ont appris à savourer chaque moment de calme. Même ceux des gardes de nuit...

    -Moi je suis sur qu'il a triché...

    -Allez les gars, c'est l'heure...
    Une voix grave et rauque, celle du sergent Rolph, un géant parmi les hommes, tellement fort, barbu et poilu qu'on le dit cousin avec les ours. Mais toujours sur le ton de la plaisanterie car Rolph est un brave homme et un brave marin. Et qu'il n'a pas son pareil pour prendre soin de ces hommes...


    Laissant le brasero les trois hommes empoignent leurs armes et partent faire leur tour. D'abord le gaillard d'avant, puis l'entrepont, ses canons de poursuites et ses sabords pour l'instant soigneusement fermés. Puis la soute avant ou logent les gabiers, juste à coté des réserves de tissus et de cordes nécessaires aux réparations de matures. Juste à coté aussi de l'endroit ou on a logé le civil que le Capitaine a ramené sur le bateau...

    Une ronde sans surprises, une de plus...


    [...]


    L'assassin n'a eu aucun mal à se glisser à bord. C'est un expert, un spécialiste qui a soigneusement étudié les plans du Léviathan et les procédures en vigueur à bord avant de passer à l'action. Il est tellement discret qu'il en est presque intangible et n'en a pas vraiment besoin. Mais quand on est membre de l'Umbra on apprend à ne rien laisser au hasard, pas même le plus infime ou le plus insignifiant des détails. Et ce quelle que soit l'importance de la mission...

    Et celle de ce soir est de loin la plus importante que l'assassin ait jamais exécuté. Il est l'un des meilleures parmi ses frères et cette nuit est la consécration de sa carrière. L'occasion de graver son nom à jamais dans l'histoire ou de mourir et de sombrer dans l'oubli... Mais l'assassin ne pense pas à ça. Il sait que penser à autre chose qu'a l'instant présent ne peut que le conduire à la mort. Il connait sa cible et sait très bien qu'il n'aura pour frapper qu'une seule occasion...

    Devant lui les trois hommes s’arrêtent. L'un d'eux sent quelque chose, une menace ? Un bruit ? Mais les deux autres le rassurent. Et l'assassin sourit. L'instinct est une chose merveilleuse, d'une précision inouïe, et pourtant les hommes ne l'écoutent jamais... Non que dans ce cas précis cela serve à grand chose pour les soldats. Ils ont beau marcher et parler, ils sont déjà morts...

    Et alors qu'ils se remettent en marche l'assassin frappe. Aussi implacable que la mort en personne il se glisse au coté de ptit Louis et lui tient la tête une seconde, juste le temps de lui enfoncer dans l’œil une longue aiguille et de le laisser cloué au mur pour éviter qu'il ne fasse du bruit en tombant. Les soldats n'ont pas le temps de respirer que c'est au tour de Rolph de rencontrer son destin. Une main se plaque sur sa bouche et une lame lui ouvre la gorge d'une oreille à l'autre. Lui aussi est mort avant de toucher le sol. Et quand Tabouret se retourne il n'a pas le temps de voir l'assassin que celui l'a déjà frappé à trois reprises, toutes mortelles, et le soldat bascule dans le trépas sans même comprendre ce qui vient de lui arriver...

    Et l'assassin se remet en marche en rangeant ses armes, droit vers la cabine ou il sait trouver sa cible...


    [...]


    L'assassin est arrivé il y a déjà des heures. Des heures passés immobiles, à faire corps avec le bateau. Des heures à attendre, tous les sens aux aguets. A attendre l'autre, l'autre qui doit venir... De façon aussi immuable que la lune ou les mouvements des astres... L'autre qui était son frère et qu'il va devoir affronter.

    Alors il attend. Et aussi soudainement que s'il avait toujours été la, soudain l'assassin n'est plus seul. L'autre aussi est présent. Et c'est comme se regarder dans un miroir. Un miroir curieusement pourvu de libre arbitre...Mêmes tenues, mêmes techniques, même façon de bouger en restant constamment aux aguets, prêt à réagir instantanément à toute menace...

    Mais l'assassin à sur son double l'avantage de la surprise, et celui de le connaitre aussi parfaitement qu'il se connait lui même. Et quand son doigt déclenche le leurre il voit réagir son frère de la même façon qu'il aurait lui même réagit. Et il frappe à son tour aussi vite et précisément que le tueur un instant plus tôt. Et dans les couloirs du Léviathan, sans que nul ne s'en doute, l'assassin tue l'assassin...


    [...]


    -CAPITAINE ! Venez vite Capitaine !

    Le type qui fait irruption dans la cabine de Salem manque à tout les usages, il est débraillé, hors d'haleine, et n'a respecté aucun des protocoles habituels d’accès à une chambre de gradé. L'heure doit être grave...

    -Capitaine, il s'est passé quelque chose cette nuit, on a perdu trois hommes, et il y a un autre type mort que personne ne connait... Le Colonel Ketsuno a dit que vous deviez venir tout de suite !

    Et effectivement sur le pont c'est la crise. On a aligné sur une table les corps des trois hommes de l’équipe de garde du pont avant. Trois braves marins fauchés sans même avoir pu se défendre. Et autour les hommes contemplent les cadavres d'un air choqués. Si on n'est même plus en sécurité à bord...
    Un peu plus loin Ketsuno analyse une autre scéne de crime. Encore plus étrange celle la. Au grand mat du léviathan est cloué un homme. Une lame dans chaque oeil. Un homme vêtu d'une tunique grise à cagoule que tout ceux ayant déjà eu affaire à la confrérie peuvent reconnaitre immédiatement. L'homme est un des assassins de L'Umbra. L'une des confréries de tueur les plus redoutés des blues.
    Mais ce n'est pas le plus étrange. Non, le plus étrange c'est le symbole qu'on lui a gravé dans la paume de la main. Celui que l'Umbra laisse en guise de message sur ses victimes... Un homme de la confrérie, tué par la confrérie ?

    -Salem, il avait ça avec lui...

    De sa veste, Ketsuno sort un étrange couteau, un simple poinçon, une pointe dépourvue de tranchants mais assez acérée pour traverser aisément mailles et armures. Une arme d'assassin... Une arme dont la couleur évoque immédiatement quelque chose dans l'esprit de tout les marins présents. Une arme en Granit Marin...

    Et quand on connait le granit marin, on sait aussi qu'il ne sert qu'a une seule chose. Tuer des possesseurs de fruits du démons. Et on ne peut s’empêcher de se poser une question. A qui l'assassin destinait'il son arme ?


    -Commandant Double Face? Vous vous sentez bien?

    -…

    -Euh…Commandant vous…

    -Oui…oui j’vais bien t’inquiètes.

    Le jeune mousse avait dût s’inquiéter pour moi, car, malgré mon teint bigarré plus ou moins difficile à définir, j’avais blêmit. Même moi pouvait le savoir, des sueurs froides parcouraient ma colonne vertébrale, laissant un incurable malaise assaisonné d’une stricte amertume sur mon esprit. Je connaissais le matériau que la Colonel Ketsuno transportait dans ses mains. En tant que charpentier du navire, j’avais longtemps contrôlé le recouvrement de la coque par cette matière. J’étais au courant de son effet sur les mangeurs de fruit du démon, mais jamais ne l’avait expérimenté. Le granit marin.

    Mais jamais, non jamais, je n’avais pu en observer sous cette forme, une dague, une dague ayant pour but d’assassiner un mangeur maudit. Moi. Quelqu’un avait tenté de m’assassiner, quelqu’un avait tenté, au sein de ce navire, d’attenter à mon existence. Même après tous ces évènements sur Little Garden?

    « Putain, Os’ faudrait que tu continues d’me faire confiance. Faut croire que malgré Little Garden, y a toujours des malades qui te veulent pas à bord. »

    ***

    Le matin même, j’avais découvert les cadavres. En effet, je m’étais réveillé plus tôt qu’à mon habitude, la couverture de ma couchette complètement déchiquetée. À croire que je ne métrisais toujours pas à la perfection mes nouveaux pouvoirs, au point de les laisser aller durant mon sommeil. Revêtant des vêtements confortables, j’avais fait un tour à la salle d’entraînement déserte pour m’échauffer en vue de la journée monotone qui devait suivre le Léviathan à travers Grand Line, toujours en route vers le royaume de Sakura.

    Il me faudrait probablement durant la journée me rendre dans les calles et les niveaux inférieurs du monstrueux navire pour coordonner les activités de réparations toujours plus effectives du Léviathan. Depuis Little Garden, le navire reprenait chaque jour un peu plus de santé, les trous dans sa carapace, sa coque et ses bureaux se faisant toujours plus rares.

    Mais avant tout, profitant du presque levé du jour, je décidai de m’aventurer sur le pont, histoire de relayer les hommes qui devaient être de garde depuis un moment, leur permettant ainsi d’aller se coucher plus tôt pour mieux entamer le reste de leur journée à venir. Mais jamais je n’eu à remplacer qui que ce soit, au contraire. Lorsque je trouvai les cadavres, je ne pu que sonner l’alarme, toujours sonné par l’étrange et triste découverte que j’avais effectué.

    ***

    Jusqu’à présent, j’avais fait de mon mieux pour réconforter les hommes qui observaient avec déconfiture P’tit Louis, Tabouret et le Sergent Rolph. Mais désormais, j’avais plus de difficulté que jamais à comprendre cette situation qui me tuait de l’intérieur. Après avoir gagné la confiance de chacun de ces hommes durant la Bataille de Little Garden, je croyais le dernier pas fait, la glace brisée entre eux et moi, je croyais qu’enfin Double Face pourrait faire partie d’un groupe l’acceptant, d’une famille. Mais par cette dague, on me prouvait une nouvelle fois que je n’étais pas le bienvenu sur ce navire, que Double Face restait un fléau dont il fallait se débarrasser.

    Fuyant le regard d’incompréhension des hommes qui avaient entraperçu l’arme du crime, je laissai de côté la scène du meurtre, pour me retrouver seul avec moi-même. Ce n’était un secret pour personne que je connaissais le secret pour faire de mon corps une armure tranchante m’immunisant contre la plupart des armes, quelqu’un semblait vouloir pallier à ce problème.

    Je m’accrochai à la rambarde, le cœur lourd, pour aussitôt en retirer mes mains, un sentiment désagréable les saisissant, me vidant momentanément de mes forces. Je rageais intérieurement.

    -Dark, explique-moi comment, comment je peux devenir un héros, comment je peux obtenir le respect et la fierté de tous, si on continu toujours à vouloir se débarrasser de moi?

    « Les hommes sont une bande de connards Os’, arrête de perdre ton temps avec eux, c’qu’une perte d’énergie et une souffrance émotionnelle que tu t’imposes en restant à leur côté. »

    Je me rapprochai à nouveau du crime, là où le Contre-Amiral et la Colonel attendaient toujours. Je posais un regard à la fois choqué, triste et incompris vers eux.

    Quelle explication pouvait être fournie par une telle situation?
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    • https://www.onepiece-requiem.net/t3227-oswald-double-face-jenkins-t-as-un-probleme-avec-lui
    Une nuit noire, bercée par les flots et le tangage incessant du navire. Affilié à une pathétique cabine dans les méandres du navire, le dénommé Gabriel Belmont dormait d'un sommeil agité. Ses nuits n'étaient que rarement paisibles, enveloppées d'illusions paranoïaques et de pressentiments faussés. Le métier de mort exigeait une attention à toute épreuve, un mental trempé dans les plus solides matériaux de ce monde. Pouvait-on prétendre à ces qualités lorsqu'on avait vu son monde s'effondrer, lorsqu'on avait perdu la seule chose qui valait la peine de survivre ? Nuit après nuit, ses chimères le débordaient et puisaient dans ses forces, luttant sans cesse, le tirant vers la démence. Mais il ne cèderait pas. Il en avait fait le serment. Peu importait combien la nuit était noire, les heures avant l'aube l'étaient toujours davantage. Contraint à se terrer parmi les rats, la rumeur de la survie d'Il Assassino étaient maigres. Et lorsqu'on affrontait des ennemis plus grands que soi-même, il ne fallait pas laisser son ego nous mener à notre perte. Se dissimuler dans les foules était l'un des plus grands talents des assassins. La plus grande malice du Diable n'était-elle pas de faire croire qu'il n'existait pas ? Il était temps de mettre à bas les mythes et de rivaliser avec la malignité du maître des vices. Mais combien de temps un pauvre mortel pouvait se targuer de braver son destin ? Et un mortel doté des pouvoirs du démon ?

    Rafael se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Sa main crispée sur son cœur, il était essoufflé comme jamais. Sa chambre baignait dans un brouillard diffus, aux teintes cendrées. Une douleur sourde lui lançait son palpitant, comme une écharde plantée en son sein, tiraillant ses chairs à chaque battement. Son visage à moitié découvert par l'agitation de ses quelques heures de sommeil, il apparaissait abasourdi, sous le choc d'un songe qui s'étiolait déjà hors de son esprit. La sensation d'une menace grandissante, de la mort qui se gaussait de lui, le toisant de ses dents jaunâtres. L'assassin expira bruyamment, contemplant son moignon avec mélancolie. D'un geste du bras, il collecta la fumée qui l'entourait et la rassembla en une main de cendres, aux contours flous. Il plia les doigts, et tenta de se gratter sa paume fantôme qui le démangeait, comme si elle était toujours là. Secouant la tête, il chassa de son esprit cette impression désagréable et s'empara de la bandelette sensée masquer son handicape, qui reposait à ses pieds. Dès qu'il sombrait dans le sommeil, il perdait le contrôle et pour peu que ses rêves soient agités, cela tournait mal. Il masqua son membre de fumée, puis glissa sa main dans la gantelet aux teintes cuivrées. Le métal crissa sous le contact de la main intangible, puis se plia à son contact, comme il l'aurait fait avec une chair palpable. Mais la sensation de malaise persistait, comme un ombre sinistre planant au dessus de sa tête. Rajustant son étole carmine, l'assassin bascula ses deux jambes par dessus sa couche étriquée, puis il se prit la tête entre les mains. Devenait-il fou ?

    Des bruits de pas le tirèrent de ces sombres pensées. Sous la porte, il distinguait l'ombre de passants. Un pas léger, trop rapide pour l'heure. Quelqu'un courait, sans soucis de discrétion. Rafael s'empara de sa ceinture où reposaient encore sa rapière et sa dague. Il tira de sous son oreille sa lame, puis défit le piège installé sur sa porte, visant à le prévenir de toute intrusion. D'autres personnes passèrent alors devant sa porte, à une allure pressée. Il distinguait quelques voix paniquées, mais l'épaisseur du bois l'empêchait d'en savoir plus. L'assassin ne prit pas la peine d'allumer sa chandelle, quelque chose d'anormal se tramait dehors. Il sangla sa ceinture et passa sa veste en cuir. Il ne perdit pas de temps à enfiler ses sandales et ouvrit la porte, juste à temps pour voir un contingent de Marine se diriger vers le pont supérieur. Que se passait-il ? Un lien avec ce mauvais pressentiment qui le taraudait tant ? De nouveau son cœur s'emballa. Il fit taire ses doutes et avança d'un pas rapide et léger. Il déboucha rapidement à l'air libre, suivant de peu Aheïri et ses sbires. Et sous les lueurs naissantes du matin, un spectacle à glacer le sang ébranla Rafael. Une image d'un autre temps, un passé qui aurait du rester sur les blues, attendant sagement le retour de l'assassin. D'habitude si doué à masquer ses émotions, la surprise et la puissance de la scène firent blêmir le jeune homme. Sa bouche s'entrouvrit, cherchant à aspirer l'air qu'il lui manquait, et il dut s'appuyer contre le mur pour conserver la tête froide. Si son masque cachait sa réaction, la maîtrise de son pouvoir était traître. Faisant appel à tout son sang-froid, Rafael rappela à lui ses réflexes de tueur implacable et se glissa de nouveau dans la peau de l'homme qu'il était sensé incarner ici bas. La stupeur passée, il s'avança au milieu de ses
    'frères' et arriva au niveau de Ketsuno.

    Jetant un regard par dessus son épaule, il faillit perdre de nouveau le contrôle. Une écharde grise à la texture si familière reposait au creux de la main de la jeune femme, comme un offense directe à l'attention de Rafael. Son regard s'attarda malgré lui sur cet objet, et un frisson lui parcourut l'échine. Une frayeur à en devenir cinglé, quelque chose ne tournait pas rond, quelque chose de terrible. Il avait envie de hurler, de frapper, de saigner à blanc tout ce qui se trouvait dans son champ de vision. Il ne comprenait pas, il ne maîtrisait pas. C'était son monde, son jeu. Personne n'avait le droit de venir sur son terrain, personne n'en était capable ! Non. C'était ... impossible. Une convulsion agita son bras ganté. Il porta sa main à sa rapière, résista à l'envie de la tirer. Là. Ils le regardaient tous, non ? Ils savaient, ce n'était pas possible autrement ! Ils complotaient, oui, c'était ça. L'assassin se raidit, refoula ces pensées absurdes. Les hommes de Fenyang ne pouvaient savoir. Non, ils regardaient simplement autour d'eux, rien de grave, hein ? Ils étaient perdus. Oui, c'était ça : perdus. Rafael se sentait comme un loup parmi les moutons, mais à ceci près que les moutons semblaient s'être attribué la place de prédateur en cet instant. Son esprit luttait pour ne pas basculer, pour ne pas céder à ces sentiments qui mettaient à mal sa santé mentale. QU'EST-CE QUE SIGNIFIAIT TOUT ÇA ??! Bordel. Bordel. BORDEL !!

    Ils ne savaient pas eux, mais lui si. Il n'osa pas aller étudier le cadavre, de peur de ... tout. Il apprit que personne ne le connaissait. Ici depuis peu. Il apprit qu'il était de l'Umbra. Probable, lui même ne pouvait prétendre à les connaître tous. Il apprit qu'il avait été tué par l'Umbra. Il apprit qu'il avait la marque dans sa paume. Il comprit qu'il était sa cible. Il comprit qu'un autre l'avait tué. Il comprit qu'il y avait un autre assassin sur le navire. Il comprit que c'était un avertissement. Il comprit qu'il n'était plus maître de la situation. Il comprit qu'il était seul. Il comprit que la fin était proche. Il sut qu'il ne se laisserait pas faire. Le jeu débutait.

    Un sourire noir se peignit sur ses traits, empreint de mépris et de haine. Il resta en retrait de la Marine. Il ne pouvait se livrer à la traque seul. Il se ferait découvrir. Mais il lui fallait découvrir pourquoi on avait supprimé ce type, pourquoi il portait SA tunique et pourquoi il avait SON symbole au creux de la main. Il devait devancer, prendre une longueur d'avance, aller là où on ne l'y attendrait pas. Faire chose que les Auditore n'avaient jamais fait. Leur montrer pourquoi IL était le maître assassin, pourquoi IL dominait. Il jugula une fois de plus ses instincts meurtriers et lâcha sa rapière. Il ... ne ... devait ... pas ... perdre. Il n'en avait pas le droit.

    "Un assassin tué par un assassin." grogna-t-il, à portée d'oreille de Ketsuno.

    "Deux assassins sur le Léviathan, donc." conclut-il, jetant un regard noir à la dague de granit marin qu'elle tenait entre ses mains.

    Il était comme sorti de nulle part, là où on ne l'attendait pas. Personne n'était venu le prévenir, il n'appartenait pas à ce navire après tout. Il était un électron libre, soupçonnable au possible, donc la position venait d'être fortement compromise. Quelque chose qu'il détestait au plus haut point. Cette mise en scène, ce sens du coup d'éclat. La mise en scène et la duperie étaient des armes puissantes. Et tout était fait pour que Rafael se mette à paniquer, à perdre le contrôle et commette une erreur. Mais était-ce là le dessein de ce meurtrier ? Un nom vint chatouiller ses réflexions, un nom qu'il craignait encore. Il n'était pas encore venu le temps de se livrer à de pareilles spéculations, mais pour agir ainsi, il fallait avoir été à la même école que l'Auditore. Et il n'y avait qu'une seule personne qui avait juré sa mort en ce bas monde, et ce à tout prix. C'était bien plus agréable à croire que de penser que la Confrérie l'avait abandonné.

    "L'un est mort, l'autre rode toujours." poursuivit Rafael, levant les yeux vers le mât.

    Et il compromet ma couverture, pensa-t-il. Illustrant ses propos par le geste, il tira au clair sa rapière, dans un chuintement à glacer le sang. Les hommes de Fenyang reculèrent d'un pas, ne sachant comment réagir. L'effet n'était qu'à moitié calculé, mais la fureur qui habitait Rafael était quasi palpable.

    "Et qui qu'il soit, il reste un danger pour nous tous. Nous devons le débusquer, le capturer et le faire parler." continua l'assassin, jouant de sa lame.

    Il devrait trouver cet enfoiré avant les autres. Ils n'avaient pas son talent pour remonter les pistes et faire parler ses proies. Il ne faisait qu'apporter la conclusion logique à cette situation plus rapidement que les Marines ne l'auraient fait. Il espérait que cela suffirait à détourner leur attention du nouvel arrivant qu'il était. Et puis, s'il était réellement soupçonnable, il ne proposerait pas de capturer l'assassin, mais de le tuer ? Que de paroles. Il fallait juste espérer que personne ne demande à le voir en privé avant tout cela. Il devait posséder son champ libre, et rien de mieux pour se libérer les mains que de donner un coup de pied dans la fourmilière. Le Léviathan grouillerait alors des Marines prêts à tout pour débusquer ce cancrelat et lui n'aurait plus qu'à tendre la main pour lui planter sa lame en travers du ventre. Ou a remonter la piste sanglante des cadavres que sa cible laisserait. Il restait une troisième option, de loin sa préférée, mais il devait avant ça se libérer de tous soupçons.

    "Alheïri ? J'attends tes ordres."
    termina l'assassin, plantant son regard océan dans les yeux du Contre-Amiral, "Mon épée est à ton service."

    Du moins, puisses-tu continuer de le croire ...
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      Ne suis-je donc pas assez laxiste pour qu’on vienne m’faire encore chier ? Apparemment pas. Lorsque le type qui déboula dans ma cabine comme une furie finit de parler, j’eus un soupir. Un soupir assez lourd qui traduisait à la fois mon ennui et ma profonde paresse. Que pouvait-il y avoir de si grave encore, alors que nous venions à peine d’en finir avec Morvak, hein ? J’me le demandais bien sur le coup. Le valeureux soldat était haletant. Haletant, mais toujours en attente d’un fameux ordre. D’ailleurs, ce n’est que quelques secondes plus tard, qu’il constata qu’il avait manqué au protocole. De ce fait, le pauvre fit vite de s’excuser, avant d’adopter une posture on ne peut plus respectable et militaire. Sur le moment même, c’est sans doute la seule chose qui me fit sourire, avant que je n’acquiesce enfin d’un signe de tête. Si Ketsuno envoyait quelqu’un d’autre me chercher, c’est qu’il y avait effectivement un problème. Problème qui ne manquerait certainement pas de me faire chier dans tous les sens du terme. Par finir, j’avais fermé le bouquin que j’étais en train de dévorer, avant de me lever laborieusement. J’étais encore en convalescence, et le plâtre sur mon bras gauche attestait le fait que je ne m’étais pas encore complètement rétabli. Morvak n’y était pas allé de mains mortes…

      Le jeune avait fini par venir m’aider à enfiler un manteau ample pour résister au froid ne serait-ce qu’un instant ; car je ne partais au pont pour durer, oh que non ! Après quoi nous sommes sortis de ma cabine, pour nous diriger vers le pont. C’est quelques minutes plus tard que je fis enfin mon apparition sur le pont où il y avait presque tout l’équipage. Tout ce monde m’interpella, et c’est à cet instant là qu’un horrible frisson me parcourut l’échine. Rien à voir avec le froid environnant ou la brise fraiche qui soufflait sur les berges de Little Garden. L’affaire que je minimisais, semblait un peu plus grave que je ne le pensais. En me voyant, les hommes commencèrent à s’écarter doucement de mon chemin. Les mines étaient tristes, et quelques-uns avaient du mal à contenir leurs larmes. Que diable se passait-il ? Nous n’allions pas tarder à le savoir ! Plus qu’inquiet, j’avais commencé à presser le pas en me frayant un chemin de force dans la foule… Jusqu’à atterrir devant la scène d’horreur… Après les pertes de Little Garden… Trois hommes venaient de mourir, une nouvelle fois. Comme si l’ombre de la mort planait sur ce navire. Devant cette image accablante, j’étais sans voix, l’air interdit. Ketsuno me montra alors l’arme du crime, avant que je n’écarquille les yeux…

      - Bordel…


      Du granit marin ? C’était vraiment fourbe ! Et c’est à ce moment-là que j’eus un regard peiné envers le pauvre Oswald. J’avais eu l’écho qu’il avait avalé un fruit du démon. Cet assassinat le visait-il ? Mystère et boule de gomme. Une chose était sure cependant. Mon équipage était clairement infiltré. Mais sur le moment, aucun visage ne m’inspirait la méfiance. Avais-je loupé quelque chose ? C’était plus que probable. Le plus étrange restait indéniablement l’assassin lui-même, qui avait subi une mort, plus qu’atroce. En le voyant, j’étais à moitié soulagé. A moitié seulement. Car un ennemi rodait toujours comme le disait Gabriel. Et sa réaction prouvait à quel point il se sentait impliqué dans la vie de l’équipage. Dans mon état, inutile de vous dire que je ne pouvais rien encore faire, si ce n’est superviser. Et c’est ce constat qui me fit rager pendant un moment, devant tout le monde. Devant des morts, j’étais malheureusement impuissant, une nouvelle fois encore. J’finis par demander à ce qu’on range les corps de nos pairs et qu’on se débarrasse tout simplement de celui de l’assassin. Ketsuno contesta néanmoins mon dernier ordre. Elle voulait procéder à une autopsie plus approfondie avec les toubibs du Lev. Je ne pus qu’acquiescer, avant de me retourner vers Gabriel. Vu l’état d’âme d’Oswald, le mystérieux combattant restait mon dernier atout dans cette histoire…

      - Tu as fait tes preuves en me délivrant des griffes de Morvak. Je ne doute pas une seconde que tu pourras une nouvelle fois nous être d’une aide précieuse. Mon état ne me permet pas quelconque enquête, alors je te délègue cette affaire. Ketsuno t’aidera une fois l’autopsie terminée. Préviens-moi à toute heure, si tu trouves du nouveau.

      Après quoi, je m’étais attelé à réconforter le reste de l’équipage, par un discours improvisé et des gestes de sympathie, comme tout bon capitaine qui se respecte. L'enquête promettait d'être longue…
      L'assassin acquiesça, non sans un sourire en coin. Ce détail n'était pas perceptible, mais il ne soulignait qu'à peine le soulagement qu'il éprouvait. Les choses revenait sous sa main, sous son contrôle. Fenyang était un homme qui accordait rapidement sa confiance, trop même. Cela jouait, pour cette fois, à son avantage. Un immense fardeau commença à s'enlever de ses épaules. Bien que ses craintes ne soient pas aussi faciles à dissiper. Si un assassin. Non, deux assassins. Si deux assassin avaient pu oeuvrer ainsi sans qu'il ne s'en aperçoive, cela signifiait bien qu'ils le connaissaient mieux que personne. C'était un risque, d'entraîner des hommes à étudier les faiblesses de leurs semblables. Il n'échappait pas au lot. Pour les trouver, il devrait les surprendre, changer radicalement pour les doubler. Mais s'ils avaient réussi à le retrouver, alors ils étaient bien doués. Cela ne pouvait être que la crème de la Confrérie, des hommes de talents. Son champ de probabilité se réduisait, de ce fait, à douze personnes. Non, onze si on enlevait celui qui était encore crucifié là-haut. Ah oui, l'autopsie. Il était médecin de bord, après tout. Il jeta un regard perplexe à l'homme bigarré. Il semblait troublé, et tout indiquait que cette affaire le mettait mal à l'aise. Rafael savait qu'il avait ingéré un fruit du démon, des ragots perçus au sein du navire. Pensait-il que le meurtre le visait ? Parfait. Un moyen de gagner sa confiance en leur laissant croire qu'il désirait les protéger, tous. L'assassin s'approcha des trois Marines tués.

      "Kesuno. Puis-je vous assister durant cette autopsie ? Ou plutôt, montrez moi la scène, je m'efforcerai de reconstruire ce qu'il s'est passé." demanda poliment Rafael.

      La jeune femme soupira, mais lui indiqua l'endroit de la main. L'assassin la remercia d'un hochement de tête puis s'en alla. En voyant les cadavres, il était évident de savoir comment ils étaient morts, mais ce n'était pas ce que Rafael recherchait. Le sang parlait toujours, et révélait toujours la vérité. Personne ne rôdait près de là, parfait. Etudiant le bois, les tracés du sang, l'Auditore se fit rapidement une idée de ce qu'il s'était passé un peu plus tôt. Trois coups, trois morts. Seule la flaque de sang imprégnait encore le bois du navire. Certainement à jamais. Le bois en garderait la mémoire, en un sombre hommage au talent de ce mystérieux tueur. L'idée lui tira une grimace. Le type possédait vraisemblablement deux lames secrètes. La première giclée de sang avait séché contre un pan de bois, trahissant la taille du meurtrier. Pas trop grand, avait tapé avec une très grande précision. Debout, Rafael refit les mouvements de l'assassin, dans les airs, essayant de mimer ce que lui-même aurait fait, sous les quelques regards incrédules de Marines qui l'avaient suivi. Il prit quelques secondes pour leur expliquer ce qu'il faisait.


      "Le sang. Le sang me permet de reconstituer la scène. Regardez, vous voyez cette trainée, là ? Cela signifie que la lame s'est enfoncée dans la carotide, de manière oblique. Le sang descend, ce qui signifie une blessure du bas vers le haut. L'agresseur était plus petit que ... sa victime. Là, c'est le mouvement -il mima l'action de retirer la lame de la gorge d'un homme- qu'il a fait en retirant son arme." fit l'assassin, montrant une autre trainée de sang.

      Et il continua ainsi, pendant quelques minutes, leur reconstituant la scène. Certains avaient leur visage fermé, les yeux jetant des éclairs, les autres affichaient un bien triste mine. Rafael leur expliqua que c'était ainsi qu'il pourrait remonter la piste du tueur, mais pour cela il devait se mettre à sa place. En quelques minutes, bon nombre d'homme se prêtèrent à son jeu, l'observant. Il se dirigea ensuite à nouveau vers l'endroit où les corps étaient exposés, de manière à confirmer ses dires. Puis il s'attela au corps de l'assassin. La capuche avait été basculée en arrière révélant son visage, familier. Rafael le connaissait, ce qui le mettait encore plus en rogne. Depuis quand ses frères avaient abandonné la raison pour la folie ? Depuis quand osaient-ils attaquer leur mentore ? Il était certain que Yusuf était derrière tout ça, mais comment le prouver ? Il vérifia les poignets de l'assassin, actionna ses dagues secrètes, encore empreintes du sang des trois malheureux matelots. Bien, c'était lui qui les avait tués. En alliant les quelques traces de sang plus anciennes que le sien propre sur ses vêtements et les informations récoltées sur la scène du meurtre, cela devenait évident.


      "Ketsuno, pourriez-vous demander une analyse des produits qu'aurait pu ingurgiter cet homme avant de mourir ? J'ai cru voir que votre matériel était adapté à cela, à bord. C'est peu ragoûtant, mais nous ne devons négliger aucune piste. Il s'agit d'un assassin, et pas des moindre. Vu les blessures qu'il leur a fait, il savait se battre. Je veux juste déterminer comment il a été tué. Si c'est par la blessure qu'il a à la poitrine, ou s'il a été empoisonné. Ou autre. Il ne faut négliger aucune piste." demanda à nouveau l'assassin, se gratta nonchalamment le crâne.

      La vérité était qu'il désirait savoir si l'homme avait été drogué ou pas. Il lui semblait évident qu'une dague plantée dans son coeur avait mis fin à ses jours. Son adversaire l'avait pris de face et l'avait surclassé. Ou était très doué en dissimulation. Cela réduisait la liste des suspects à cinq. Ce qui était encore trop grand, sans compter le fait que Rafael pouvait faire fausse route : une aide extérieure était toujours probable. Une aide, ou ... pire. Restait à présent la traque. La partie la plus ardue du travail. Il savait que ses assassins étaient autant doués que lui pour masquer leurs traces, bien qu'il les surclassât grâce à ses pouvoirs démoniaques. Ils en étaient presque invisibles, et le Léviathan était ... gigantesque. Mais ce qui inquiétait d'autant plus Rafael, c'était le fait que Drum n'était plus qu'à trois jours de voyage. Tout cela sentait rudement mauvais. Trois jours pour trouver sa cible, trois jours où sa vie serait en suspend.

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