En mer du Sud.
Sur un bout de terre servant plus au ravitaillement des bateaux de passage qu’à autre chose, on pouvait assister cette nuit-là à la seule distraction de la soirée. Elle avait lieu à la taverne et il est inutile de préciser le nom de la dite taverne puisqu’il n’en existe qu’une. A l’heure ou le soleil déclinait lentement à l’horizon, on pouvait entendre la cloche sonner la fin de la journée. Inutile ici de préciser de quelle cloche il s’agit, car comme vous l’aviez surement deviné, il n’y en avait qu’une là aussi. D’ailleurs, d’après son concepteur, elle était la réplique exacte d’Ox Bell : oui la célèbre cloche. Comme il n’y avait personne dans le coin qui avait vu l’original de près ou de loin, alors, on pouvait difficilement comparé, ce concepteur était un génie. Passons. Comme un seul homme, habitants de l’ile et homme de passage s’étaient réunis au chaud à l’intérieur du boui-boui du coin.
A l’intérieur, tout était sale et sobre. Ça puait le renfermé, les carreaux des fenêtres étaient soit cassés soit encrassés. Le den den mushi de service était mort de fatigue depuis longtemps et le plancher craquait sous le poids des clients. Il était collant et puait la pisse et la bière. Quelques lanternes éclairaient difficilement ce repère malfamé qui, malgré le standing peu ragoutant, attirait chaque soir son lot de fidèle. En même temps, c’était le seul rade du coin, pas difficile du coup de réunir la foule. Et cette foule parlons-en. Les mecs du coin travaillaient comme des forçats du soir au matin. Le teint buriné par mille soleils, il parlait un dialecte unique et surtout incompréhensible. Ils mangeaient un mot sur deux et se marraient à des blagues que personnes ne trouvaient drôle sauf eux. Remarque, personne sauf eux ne les comprenaient. Leurs odeurs n’avaient pas à envier leur humour, les deux étant plus que douteux. Toutefois, jamais personne n’avait quoi que ce soit à redire quant au travail qu’ils abattaient chaque jour. Dans un ballet mécanique ou chaque rouage était bien huilé, ils pouvaient se comprendre sans parler tout en déchargeant des cargaisons à vitesse grand V. L’inverse aussi était vrai.
Et c’était tout, il ne fallait pas leur en demander plus. Tout le salaire amassé le jour finissait au fond d’un verre de rhum à la nuit tombé. Loin de vouloir les approcher, les quelques personnes de passages préféraient les ignorer et avaler d’une traite la mixture qu’on leur servait dans ce taudis. Autant dire que le goût était à la hauteur des émanations qui s’en dégageaient. Mais après quelques verres, ça finissait par passé. Surement que le palet était à présent anesthésié.
Au milieu de ceux qui gerbaient, de ceux qui se battaient et de ceux qui déprimaient, un jeune homme avançait en jouant des épaules pour se frayer un passage jusqu’au fond. Derrière lui, il trainait une vieille guitare désaccordé dont la teinte du bois s’accordait parfaitement à celle du plancher. Et puis il attira les ivrognes avec quelques notes qui se changeaient peu à peu en un air triste sur lequel il se mit à chanter de l’Enka. Mais si vous connaissez forcément cet art ancestral. Là, il relatait les déboires d’un matelot en mer qui ne reverrait jamais sa femme et sa fille. Derrière lui, un gringalet était en charge de la mise en scène. Déambulait alors des décors pourris sur une plaque de bois censé imagé fidèlement les paroles. On pouvait dire ce qu’on voulait, le jeune homme se donnait à fond. Son visage se grimaçait de peine dans les moments forts et il arrivait même à continuer comme si de rien n’était lorsqu’un peu tout l’monde se foutait de sa gueule. La dernière note, la dernière parole et puis le voici qui retournait s’assoir à sa table, la tête basse encore ému de sa propre chanson. Après quelques parties de cartes, de jeux d’hasards et autres, la taverne commençait doucement à se vider. Quelques personnes balançaient des Berrys à la table d’Albafica en rigolant et en lui tapotant l’épaule. Lui pensait qu’on remerciait son talent, eux le remerciait de les avoir bien faire rire.
Et puis une serveuse aux boucles d’or vint s’assoir sur une chaise à ses côtés. Elle le dévisageait d’abord et lui souriait ensuite. Puis, alors qu’il se mit à mettre précieusement ses deniers de côtés, c’était à son tour de la dévisager. Elle venait de s’élancer dans une histoire abracadabrantesque. Après avoir joué le sceptique pour la décourager de continuer à lui parler davantage, il eut une idée : celle de faire le mec qui hoche et acquiesce à tous comme s’il avait tout compris et était convaincu. La serveuse avait des étoiles dans les yeux, elle venait enfin de trouver quelqu’un qui l’écoutait avec attention. Heureuse, elle s’appliquait davantage dans son récit. Si bien que ça avait même donné des idées au gringalet qui accompagnait Albafica. Il se plaça alors derrière elle pour rejouer les décors de fond, c’était pathétique. Se dépêchant de ramasser son dernier Berry qui trainait sur la table, il ne mit d’une fraction de seconde à nouer son baluchon et à porter sa guitare pour foutre le camp.
- Mais y a aussi des trésors !
Figé. Il était figé après avoir entendu les dernières paroles de la p’tite. S’il avait fait vite pour foutre le camp, il avait redoublé d’intensité pour revenir à sa place et s’installer plus confortablement à la lumière d’une lanterne. Malheureusement, les derniers mots de bouclette ont eu tôt fait d’alerter leur lot de sales gueules et parmi elles, une armure qui bouge et un type louche.
- Un trésor t’avais dit ?
Dernière édition par Albafica le Dim 22 Fév 2015 - 14:32, édité 1 fois