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Comédie de l'Art [PV en compagnie de Kant]

Du barouf, à Portgentil, il y en avait constamment. Plus que coutumier, c'était indispensable. Un chantier naval, jamais ça ne s'activait dans la tempérance et la discrétion ; alors du tapage, y'en avait, fatalement. Le son métallique, sourd et lourd, grinçant quand il ne cognait pas, s'acceptait dans le paysage auditif, sifflant comme une mélopée qu'on n'entendait plus à trop y avoir été exposé.
Mais ce jour-ci, à Portgentil, il y avait un grincement dissonant ; un qui venait de plus loin, un qu'on ne pouvait pas taire d'un coup de maillet, pas à moins d'entrer dans l'illégalité.

Alegsis Jubtion avait la tête de ses idées, c'était dire quel foutoir il avait entre les deux oreilles. Cependant, en dépit de ce à quoi il pouvait ressembler, et malgré ce qu'il pensait - ou plutôt ce qu'il ne pensait pas - l'homicide, le concernant, demeurait invariablement proscrit. Et c'était grand dommage, car ses contemporains auraient su quoi faire d'un maillet une fois présenté à un si vilain clou tordu.
Face à lui, nez à nez avec sa gueule plate, c'était un de ces débiteurs d'éthanol qui s'y était trouvé, pas un charpentier. Le tavernier, à trop écouter les jérémiades de ce client bien problématique, il se sentait de faire un usage second de son tire-bouchon ; à l'échauder à d'autres matières que le liège. Tout homme ayant conversé plus de cinq minutes avec le fils Jubtion était passé par là. Car de même qu'il existait des étapes dans le deuil, il en fallait tout autant si ce n'est plus pour se familiariser avec l'animal.

- « Alors c'est comme ça qu'on traite les héros par chez vous ? Sans gratitude ! »

Il en était, le bon Alegs, à se frotter les yeux de son avant bras, à essuyer des larmes imaginaires qu'il dissimulait derrière sa manche. Il était mauvais comédien mais spectaculaire dramaturge.

- « Héros de quoi ? » S'impatientait le tenancier les dents serrées.

- « Chasseur de Prime mon bon monsieur ! Parfaitement ! Asséna aussitôt Alegsis en frappant de son poing sur le comptoir, dévoilant alors ses yeux résolument secs. C'est grâce à moi si vous êtes tous en sécurité. Eh oui. »

Du fond de la salle, un ancien - un qui ne travaillait pas en journée - interrompit sa partie de carte, un bras élancé par-dessus le dossier de sa chaise.

- « Et comment t'expliques, « m'sieur le sauveteur », qu'on ait trois navires au chantier n'val qu'ont été percés par de la flibuste rien qu'cette semaine ? »

- « Oh... ça ?... Mais.... ça n'a rien à voir, voyons. C'est la marine qui fait pas son travail, voilà tout. Se ressaisissant aussitôt après s'être recroquevillé piteusement derrière une mauvaise foi légendaire, il frappa à nouveau du poing sur la table pour reporter son attention sur le distributeur de gnole. Il n'empêche que sans des gars comme moi, ça serait pire ! »

- « Je suis prêt à prendre le risque du pire. Et arrête de cogner sur mon comptoir. »

Tempêter et mentir ne lui avait pas été d'un grand secours, à Alegsis, aussi s'en retourna-t-il à un registre dramatique, s'affalant sur le comptoir pour se saisir du tenancier à la chemise, laissant perler larmes et salive dans une harangue criarde et désespérée.

- « Pitié !  Allez ! Rien qu'une bière ! »

- « Héros ou pas, tu raques ou tu suces les glaçons. Pas de consommation à l'œil. »

Car c'était de cette problématique qu'était né le présent le litige. Désargenté qu'il était, le modeste - pour ne pas dire «lamentable - chasseur de prime en était à mendier à boire. Les pirates, pour beaucoup, avaient le mauvais sens de se trouver en mer. Aussi, les courser avec un pédalo en haute-mer le menait le plus souvent à quelques sévères déconvenues professionnelles ; sa cagnotte, ainsi, se confondait avec le néant.

- « Mais qu'est-ce que c'est que cette île fous à la fin ?! Scanda le moche non sans postillonner profusément. Y'a personne de malhonnête à dix lieues à la ronde ; je fais comment pour gagner ma vie dans ces conditions ?! »

Il passa à nouveau des lamentations à la verve irascible, ses larmes de crocodile aussitôt ravalées, frappant une nouvelle fois le comptoir pour mieux assumer l'appui de la connerie qu'il s'apprêtait à professer la tête haute.

- « Alors que si vous aviez appelé la ville «Portméchant», je suis sûr que j'aurais eu qu'à me baisser pour ramasser les primes. C'est votre mauvais goût qui a fait ma ruine ! »

La stratégie du tavernier, consistant à laisser son client - qui n'en était d'ailleurs pas un - s'époumoner jusqu'à l'épuisement semblait infructueuse. C'était à croire que l'Épavien se galvanisait sous l'impulsion de ses propres inepties. Pourtant, cet homme-là, pour usant qu'il était, il fallait bien s'en débarrasser. On s'essaya à la manière douce.

- « Pourquoi t'irais pas plutôt nettoyer les chutes de bois au chantier naval avec ton balai ? »

Avec sa gueule d'ahuri, Alegs se sentit soudain interloqué ; en attestait ses yeux qui clignèrent par dix fois le temps de comprendre de quoi on lui parlait. Un temps qui, par ailleurs, ne parvînt jamais à terme, le conduisant tout naturellement à demander des précisions quant à ce qu'il venait d'entendre.

- « Mon balai ? »

- « Bah oui, le balai, là, que t'as dans le dos. Tu peux bien t'en servir pour nettoy... »

- « C'est pas un balai, crétin, c'est un pinceau, oh l'idiot. Le corrigea soudain le chasseur de prime en usant d'un mépris aussi altier que spontané pour se déformer la bouille et la voix, encourageant ainsi bien mieux le besoin instinctif de son interlocuteur à lui en coller une.

Homme de beaucoup de patience pour avoir traité avec les ivrognes une vie durant, le débiteur de boissons demeurait calme même si ses dents s'élimaient à force de trop les faire grincer. Bien que rationnel, il ne voyait de toute manière pas quel usage un chasseur de prime pouvait faire d'un balai, et encore moins d'un pinceau géant.

- « Eh bien t'as qu'à peindre et vendre tes croutes, comme l'autre là-bas. » Vitupéra-t-il enfin, un peu plus agacé, comme pour mieux envoyer chier l'indésirable après avoir indiqué un client en le pointant du menton.

Le prenant au mot - tout en en choisissant le sens - le sieur Jubtion agita aussitôt son pinceau avec promptitude et célérité sur un parchemin sorti de sous sa tunique. Le geste était précis et méthodique ; l'œuvre d'un professionnel à n'en point douter. Aussi, en deux instants qui parurent n'en durer qu'un, l'artiste acheva son œuvre avant de la tendre au sommelier d'orge. Celui-ci, exaspéré mais curieux, s'en saisit de ses deux mains pour poser ses yeux dessus. Son visage resta froid, résolu, implacable comme une statue de pierre. Il avait vu l'art en face et ne s'était pas préparé à une expérience si émotionnellement intense.

Spoiler:

- « C'est un lion enrhumé. » Précisa l'auteur avec une fierté assumée tandis qu'il brandissait le pouce d'une main. À bien y regarder, on put même apercevoir une étoile scintiller sans son sourire.

Conservant pour sa part un visage de marbre, dorénavant en sueur, commençant même à trembler dangereusement après avoir constaté de ses yeux ce qui le hanterait jusqu'à la fin de ses jours, le tavernier alla machinalement jeter le dessin à la poubelle à la grande stupéfaction de l'artiste contemplant son chef d'œuvre en péril. Un artiste qui, cependant, fut rétribué d'un pichet de bière entier placé sous son nez, là, sur ce comptoir qu'il avait tant martelé du poing.

- « P.... promets-moi que tu ne dessineras plus jamais rien dans mon établissement et... et la bière est offerte. »

- « Bah quoi, t'aurais préféré une girafe ? »

PROMETS-LE-MOI ! »

Tassé sur lui-même, se faisant soudain tout petit, écrasé qu'il était par une rage indescriptible qu'il avait suscitée du bout du pinceau seulement, Alegsis acquiesça vivement en prenant soin de ne pas enflammer davantage le courroux de son bienfaiteur. Bienfaiteur qu'il préféra fuir prudemment à l'autre bout du comptoir, au fond du troquet, allant se serrer tout contre un jeune soiffard qui y logeait à l'ultime extrémité.

- « Ils sont tout de même pas commodes les gens d'ici. Susurra encore terrifié le chasseur de prime qui porta le pichet à ses lèvres après s'en être saisi à deux mains. Ah euh.. se corrigea t-il après une première rasade alors qu'il calculait enfin son voisin de boisson. Santé, au fait. »


Dernière édition par Alegsis Jubtion le Jeu 23 Mar 2023 - 17:15, édité 1 fois
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    Kant était plongé dans un rêve intense et singulier : il lui semblait entendre sa propre voix résonnant dans les ruelles de Saint-Uréa, criant : Kaétra, Kaétra ! Mais au lieu de sa bien-aimée, c’étaient des dizaines de soldats qui le poursuivaient, l’immobilisaient et l’accusaient d’avoir esquinté les murailles. Soudain, de nombreux cris le réveillèrent. Il était allongé sur une rustre paillasse dans la cabine d’un navire marchand. Les cris redoublèrent et il perçut de nombreux bruits de pas s’agitant au-dessus de sa tête. Lorsqu’il mit le nez dehors, il s’aperçut que le bateau était amarré aux quais et que marchands et marins s’affairaient sur le pont. Tout d’un coup, un homme l’accosta.

« Hop ! Allez gamin, la balade est terminée ! Prends tes clics et tes clacs, et file ! Nous voilà arrivés au Royaume de Bliss ! »

    Ces quelques jours de voyage depuis Saint-Uréa avaient requinqué Kant, qui se sentait fin prêt à découvrir l’île et l’immense ville de Portgentil. Ses premiers pas le menèrent jusqu’à une auberge miteuse où il put réserver une chambre. Elle ressemblait à s’y méprendre à un placard à balais. Puis, afin de gagner de quoi souper convenablement, le jeune homme se dirigea vers le célèbre chantier naval pour y proposer ses services. Malheureusement pour lui, cet immense chantier spécialisé dans la technologie à vapeur recherchait des ouvriers qualifiés dans l’ingénierie et dans la mécanique : nul n’avait besoin d’un sculpteur sur bois, tout juste bon à réaliser des figures de proue. Après quelques vaines chamailleries avec un employeur peu courtois, Kant repartit bredouille.

    Il poursuivit sa route dans les rues de Portgentil, s’étonnant de croiser une telle diversité de visages et de tenues. La capitale de l’île et son chantier naval attiraient toutes sortes d’immigrants venus des quatre coins des Blues. Parfois, dans l’incessant tintamarre de cette cité cosmopolite, il croyait reconnaître des voix familières, ou plutôt, un accent particulier qu’il connaissait, l’accent Zaunien. Peut-être espérait-il, au fond de lui-même, croiser un ami, une connaissance ? Ses réflexions l’occupèrent jusqu’à ce qu’il tombe enfin sur ce qu’il cherchait : un magasin de meuble. L’établissement était tenu par un commerçant accueillant et chaleureux, qui lui fournit l’adresse de l’ébénisterie avec laquelle il travaillait. Kant repartit aussitôt, bien décidé à décrocher un emploi.

     Les choses se passèrent enfin comme il l’espérait. Après quelques travaux visant à témoigner de son savoir-faire, Kant fut embauché dans l’ébénisterie en tant qu’ouvrier. Ce n’était pas le job de ses rêves, loin de là : l’atelier était si désordonné qu’on eût dit une immense déchèterie ou un foyer à rats, jonché d’ordures, de matériaux hétéroclites et recouvert de sciure. Cependant, ce travail lui permettrait d’occuper ses journées à autre chose que la picole, pensait-il. Les jours suivant lui donnèrent tort : si son travail était irréprochable et son efficacité bien réelle, Kant empestait l’alcool dès le matin et encore plus l’après-midi. L’odeur d’éthanol recouvrait même celle des déchets pourrissant dans l’atelier. En effet, malgré toute sa bonne volonté, le jeune homme ne pouvait s’empêcher de fréquenter les tavernes dès midi et d’y retourner le soir venu. Son employeur s’aperçut que ses nombreuses remarques ne changeaient rien à la situation, si bien que trois jours après l’avoir embauché, il mit Kant à la porte en l’insultant d’ivrogne. Froissé par ce licenciement qu’il jugeait odieux et injustifié, le jeune sculpteur éméché prit le chemin de son auberge, non sans avoir adressé quelques mélodieuses vociférations à l’endroit de son ancien patron.

    En débarquant dans son placard miteux, Kant remballa ses affaires, bien décidé à quitter ce quartier de Portgentil qui n’avait pas su, selon lui, l’accueillir comme il le méritait. Chargé de son immense sac à dos, il arpenta les rues en s’enfonçant un peu plus dans la ville. Cette journée passa, et quand l’après-midi se mit à décliner, il peinait encore le long des rues. Soudain, son regard fut attiré par une affiche placardée sur un panneau d’affichage.

À NE PAS MANQUER !
Amateurs de peintures exotiques et de sculptures fantasques ?
L’exposition annuelle de l’Hôtel des Amis de Grantz met à l’honneur l’un des plus célèbres artistes de South Blue !
-NÉREU PICASSIETTE –
Venez profiter d’un moment exceptionnel lors de cette exposition temporaire qui met en lumière le talent et le travail prolifique de Néreu Picassiette !
Laissez-vous charmer et voyagez à travers ses créations audacieuses et inédites !


Une photo de l’artiste Néreu Picassiette accompagnait le message publicitaire. Bien que ses nombreuses parures et ses vêtements colorés témoignaient d’une certaine excentricité, le jeune artiste était un bel homme aux traits fins et au sourire enjôleur. Son visage enfantin ressemblait curieusement à celui de Kant, de même que sa coupe de cheveux improvisée. L’affiche publicitaire fit son effet sur le jeune sculpteur qui, toujours ivre, fut totalement séduit par cette invitation. Cependant, le pauvre bougre n’était pas encore au courant que l’Hôtel des Amis de Grantz était un établissement destiné à l’accueil d’un public distingué et fortuné, et qu’il était malheureusement loin d’appartenir à cette catégorie de gens.

    Poursuivant son chemin, Kant décida de s’arrêter dans la taverne la plus proche pour entretenir son état d’ébriété. Par chance, un établissement plutôt bien famé accueillant des soiffards à toute heure du jour se situait à quelques pas. En pénétrant dans l’établissement, son regard fut absorbé par son centre d’intérêt principal en ce bas monde : une assemblée féminine. De très jolies jeunes femmes étaient attablées au fond de la salle. Toutes fixaient d’un regard langoureux le seul homme en leur compagnie. Kant reconnut le fameux Néreu Picassiette. Contrevenant à ses habitudes, il négligea le comptoir pour se diriger tout droit vers l’artiste qui semblait occupé à nuancer les compliments de ses admiratrices avec fausse modestie.

« Monsieur Picassiette ! s’exclama Kant, dérangeant ostensiblement toute la tablée. C’est que ça m’a l’air vraiment super tout ce que vous faites ! Laissez-moi vous montrer ce que je fais, moi ! »

À ces mots, il plongea ses mains dans son énorme sac et en sortit deux toiles en lins enroulées sur elles-mêmes. Il s’agissait des deux dernières peintures qu’il avait pris le temps de travailler lors de son séjour à Saint-Uréa. Déroulant ses œuvres avec enthousiasme, Kant les présenta aux yeux de Néreu Picassiette.

« Mais ôtez ces horreurs de ma vue ! répondit l'artiste, visiblement agacé. De quel droit pensez-vous pouvoir m’aborder de la sorte ? Qui plus est en m’interrompant au beau milieu d’une discussion avec ces délicieuses créatures ! Diantre ! Remballez vos croûtes et laissez-nous en paix ! »

Il s’exclama si fort que la salle tout entière riva ses yeux sur le pauvre Kant, complètement désabusé. Il fit un effort monstrueux pour retenir ses larmes, remballa ses peintures et se dirigea, penaud, jusqu’au comptoir. Le tavernier, qui ne semblait pas être un mauvais bougre, le regardait avec pitié.

« Ben oui, mon garçon… C’une star de South Blue c’te bonhomme ! Tu croyais quand même pas qu’il allait taper la causette avec toi ? Surtout que t’as pas fière allure, pis tu sens la vinasse… Allez, va. Qu’est-ce que j’te sers ? »

Les derniers mots du tavernier furent à même de soulager un peu Kant, qui commanda une, deux, puis trois pintes. Les minutes suivantes, il se coupa du monde, plongé dans ses réflexions : encore un Royaume, encore un placard miteux, encore un patron intransigeant, encore des gens peu aimables… Qu’avait-il donc fait pour mériter tant d’infortune ? Des larmes vinrent se loger au coin de ses yeux. Soudain, une étrange personne vint s’asseoir près de lui. La gueule atypique et grossière de ce client surprit Kant, le ramenant à la réalité. La nature semblait s’être acharnée sur ce pauvre homme dont le faciès manquait cruellement d’esthétisme. C’est alors qu’il prononça quelques mots, somme toute assez classiques.

« Santé, au fait. »

À ces mots, un flot de larmes s’écoula des yeux de Kant qui ne put retenir ses émotions. Saoul comme une caisse, il s’agrippa à son voisin de comptoir et se mit à brailler.

« C’est pas possible d’être aussi méchant ! Tous ! Tous ! Tu sais ce qu’il m’a dit l’autre enfoiré ? ‘Les poivrots, le diable les emporte !’ Mais j’suis pas un poivrot moi ! C’est dingue ! Pis l’autre là ! Il m’a même pas regardé mes peintures… Tiens, regarde toi ! Hein que c’est bien ? Hein ? »

Après avoir déversé une pluie de larmes et de postillons sur son interlocuteur, Kant sortit à nouveau ses peintures et les lui exposa. Les deux tableaux représentaient des créatures monstrueuses qui pouvaient sembler imaginaires, mais qui étaient en réalité des « scorpions géants » bien connus sur l’île de Zaun. Cependant, bien qu’il s’y soit appliqué, les toiles de Kant étaient loin d’être des chefs-d’œuvre.  

« C’est quand même pas si nul, si ? reprit-il avec ardeur. C’est un scorpion ! Tu connais ? Personne ici connaît rien t’façon, c’est VRAIMENT UN REPÈRE DE GROS NAZES ! »

Ses dernières paroles attirèrent tous les regards. Le tenancier semblait particulièrement agacé par le tapage incessant. Ivre, triste et en proie à la colère, Kant continua à grommeler et à considérer son voisin de comptoir comme l’inespérée bouée de sauvetage à même de le sauver de ce naufrage émotionnel.
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Un biturin qui vous agrippait avec la force du désespoir, c'était le coup dur, celui que personne n'aimait recevoir. Y'a de quoi être gêné, ne plus trop savoir où se mettre, quand, par sens des convenances, on s'efforce de ne pas envoyer chier quelqu'un qu'on meurt d'envie d'envoyer balader. Seulement, les convenances, Alegsis, il connaît pas. Partageant plus ou moins les même aptitudes sociales que celles des lémuriens - les plus idiots d'entre eux en tout cas - lui ne réagissait pas comme l'aurait fait n'importe quelle autre chiure de son espèce. Spontané jusqu'aux limites du déraisonnable, et même bien au-delà, à ce soûlot qui lui tombait dessus comme la misère sur le monde, il rentrait droit dans son jeu, et sans avoir à simuler l'affect. De l'émotion et de l'empathie, il en avait une chiée dans la carcasse. Des méninges, cependant...
Aussi, le prompt renfort qu'il fit déferler dans l'instant fut de nature émotionnel plus qu'intellectuel. Un saoul s'était attaché à un con, la suite promettait d'être détonante plus qu'étonnante.

- « IL A DIT QUOI ?! Tempêta l'Épavien dans une rage aussi folle que volcanique alors qu'il frappa son pichet contre le comptoir en en reversant une bonne moitié. Non, sérieusement, il a dit quoi ? J'ai pas fait attention. Reprit-il aussitôt, instantanément calmé par un souffle de stupidité venu chasser le précédent. Ah oui, si, ça me revient, il t'a traité de poivron. Ah la courge ! Il perd rien pour attendre, celui-là. »

Sans avoir l'excuse de l'ébriété en ce qui le concernait, l'artiste chasseur s'était déjà remarquablement emmêlé les pinceaux. Il avait bon cœur, l'animal, mais ne comprenait décidément rien à rien. Aussi, dans les méandres de sa confusion, celui-ci avait amalgamé le sieur Picassiette avec l'ancien employeur de son malheureux camarade. Cela, en plus de s'être fourvoyé jusqu'aux anathèmes usités. En attendre plus de sa part, c'eut été en espérer trop.

- « Te laisse pas abattre, Poivron. Y alla t-il ainsi de sa compassion alors qu'il lui tapotait dans le dos comme si, tous deux, déjà, avaient été des amis de vingt ans. Ils sont jolis comme tout tes dessins. Même si, on va pas se mentir, ça vaut pas non plus une esquisse de maître représentant un lion enrhumé. »

La maladresse du bougre était proverbiale alors qu'il en était rendu à baptiser son nouvel ami de l'injure même - ou du moins sa forme dérivée - dont le malheureux avait été affublé. Bien intentionné, il l'était pourtant, ce laideron chapeauté. Mais même une batterie de bonnes intentions ne pesait pas bien lourd quand elle se retrouvait écrasée sous le poids de la couillonnade Made in Jubtion.

D'un œil peu rassuré car superbement avisé, le maître des lieux, de derrière son comptoir, observait l'interaction d'un regard légitimement inquiet. Il voyait dans son paysage interne s'amonceler des nuages bien noirs et redoutait maintenant la foudre. Il avait, à ce titre, bien des raisons d'être nerveux.

- « Il t'a fait des misères, l'autre navet, hein ? Eh bah on va aller lui en toucher deux mots, tu vas voir. Moi je cause bien, on va régler l'affaire rondement ; méthode Alegsis Jubtion - c'est moi au fait, Alegsis Jubtion. Allez, viens que je te dis. »

Plus notoirement réputé pour sa capacité raviver des braises malgré lui plutôt qu'à les éteindre, Alegsis partait sur le sentier de la guerre.
Déterminé dans sa balourdise, ne laissant aucune place au doute dans son esprit car d'esprit, il n'en avait pas, voilà que le chasseur de prime se sentait redresseur de tort. Hors de question de laisser un ami dans la panade. Même s'il ignorait jusqu'à son nom ; même s'il ignorait jusqu'au sujet même d'un litige dont il n'avait présentement rien bité.
Aussi se saisit-il de «Poivron» par la main comme on trainait un gosse pour le forcer à suivre le mouvement. Son ami avait par ailleurs tout d'un morveux alors que les larmes, haletées dans un hoquet disgracieux qui se mêlait à celui de l'ivresse, côtoyaient le mucus qui lui coulait du nez jusqu'au menton.

Tous deux arrivèrent devant le peintre - un vrai pour le coup - et son aréopage de minettes. Voir deux pareils énergumènes en approche les intima tous à un silence venu s'installer graduellement. Pas un de ces silences qui leur fut commandé par le respect ou la peur, plutôt un de ces silences qui accablait quand on ne savait trop comment réagir face à une situation donnée. Rien ni personne n'aurait de toute manière pu les préparer à la scène qui se jouait.

- « Alors comme ça tu veux pas voir les morpions de mon copain ? » Scanda d'emblée le chasseur de prime.

Lorsqu'on confondait «poivrot» et «poivron», on pouvait aussi bien mélanger «morpion» et «scorpion». Les incartades et les boulettes, Alegs les commettait toujours en série.

- « Qu... hein ? »

L'artiste s'était retrouvé soudain sous un feu nourri de conneries qui n'en était qu'à sa première salve. Le choc l'éberluait au point de ne pas être en mesure d'avoir la moindre prise sur la réalité qui s'imposait à lui. L'art abstrait, il en était pourtant un virtuose, mais la réalité abstraite, avec son pendant de protagonistes burlesques et lunaires, il ne s'était jamais familiarisé avec.
Les demoiselles, à entendre ce qu'elles avaient entendu, et à observer comment le maître réagissait, en vinrent à conclure par leurs propres moyens cognitifs - ceux-ci étant remarquablement limités - de quelle trame il s'agissait. Toutes, après s'être échangées des regards, en étaient venues à supputer une histoire d'amour ayant mal tourné entre celui qu'elles courtisaient il y a encore quelques secondes et ce pauvre garçon éconduit, qu'elles tenaient à présent pour un ancien amant.

- « Bon bah.. on va vous laisser entre vous... » fit savoir la première de cordée alors que toutes glissèrent presque de sur leur siège pour trouver la sortie.

- « Mais.. mais non enfin. C'est ridicule ! Je ne connais même pas c... mais revenez ! »

Trop tard, le mal était fait, et il s'échauffait à peine. Toujours avec ce sens l'indignation que seuls les abrutis caractérisés pouvaient asséner avec tant d'assurance.

- « Tu crois qu'on peut traiter comme ça les gens de «poivron» sans que ça ait de conséquence ? T'as de la chance que je sois là pour le retenir mon copain, parce que sinon, il te la défoncerait, ta margoulette. »

Car effectivement, Alegsis en était maintenant à appuyer de ses deux mains sur son ami afin de le retenir. Le retenir non pas de céder à une rage meurtrière, mais le retenir de tomber. Quatre pintes, ça vous sciait les pattes par moment, aussi empêcha-t-il au mieux le jeune homme de s'effondrer avant que celui-ci retrouva enfin un semblant de contenance sur lui-même afin de s'assumer comme bipède.

- « Bon messieurs, vous allez me faire le plaisir de foutre le camp avant que j'appelle la... »

- « Non, c'est toi qui vas foutre le camp. » Le coupa le chasseur émérite.

Cette phrase, il l'avait énoncée d'un air vindicatif et maladroit comme seul un gosse pouvait en formuler. C'est à dire sans qu'on parvienne à le prendre au sérieux. D'une main, il se saisit du pinceau géant dans son dos afin d'y tremper le bout dans le verre de celui-là même qu'ils étaient venus incommoder.

- « Nom de... le... IL A TREMPÉ SA SERPILLÈRE DANS MON VERRE ! »

Un verre dans lequel il y avait barboté un alcool opaque aux teintes bleues très prononcées. De ce même bleu imprégnant maintenant le bout de son arme, Alegsis, d'un mouvement rapide et assuré, dessina sur le maillot du maître un de ses Colors Trap.

- « Brush Crush : Coup de Blues ! »

Dans l'instant qui suivit, Néreu Picassiette, pourtant empourpré par la rage d'avoir été ainsi importuné sans raison, s'affadit brutalement. Lui qui s'était levé de son siège pour leur tenir tête se laissa retomber sur le cul, soudain dépourvu de toute volonté.

- « De toute façon, je méritais pas de boire. » Annonça t-il d'une voix puisée dans les tréfonds même du désespoir. Le Colors Trap, quand il prenait des tons bleutés, suggérait la dépression instantanée de qui en était frappé.

- « Et en plus, tes navets sur toile, ils valent même pas les morpions de mon pote. »

- « Je suis un artiste lamentable. Non. Je suis même pas un artiste. » Se laissait aller le maître, en proie à une hypnose bien particulière.

Donnant un petit coup d'épaule pour prendre à partie son nouvel ami - manquant de peu de le faire tomber tant ce dernier peinait à maintenir son équilibre, Alegs aimait à partager les petits plaisirs de la vie.

- « Vas-y, dis-lui ce que t'en penses de lui, il est à point. »

L'instant fut gracieusement accordé à l'ivrogne afin qu'il s'en donna à cœur joie cela, avant que le chasseur de prime administra enfin le coup de grâce.

- « Moi, si j'étais toi, je préférerais quitter l'île pour pas me couvrir de honte. Mais après... tu fais comme tu veux hein. »

- « Oui... je mérite pas d'être ici. Faut que j'embarque pour loin. Loin ! Très loin ! »

De là, Néreu se leva et, d'une démarche lourde, une qui s'apparentait à celle d'un condamné, il avança lentement en direction des quais de Portgentil, disposé à embarquer sur le premier navire venu afin de délester le Royaume de Bliss de sa présence. Le lendemain, quand la tache laissée par le Colors Trap aurait séché de sur son maillot, il se réveillerait sans trop comprendre comment il en est arrivé là, étant pourtant resté conscient tout le long de sa déprime hypnotique.
Tandis qu'ils le regardaient partir pour les quais, le chasseur de prime - en tenant son compère par la main sans trop qu'on sache pour quoi - en fin connaisseur du droit pour en avoir étudié trois rudiments afin d'acquérir sa licence, conclut l'algarade comme seul lui savait trouver les mots pour.

- « C'était de la légitime défonce. Il nous a pas laissé le choix.
»
Mains entrecroisées l'une dans l'autre, ils l'avaient regardé embarquer, l'artiste, s'étant jeté dans une cargaison de poissons pour qu'on l'emmena vers des rives lointaines.

Témoin impuissant de la scène, resté quant à lui la mâchoire décrochée tout du long à ne jamais comprendre de quoi il en retournait, le tenancier de la taverne se scandalisa enfin à demi-mot de ce qu'il venait de se passer.

- « Vous.... vous vous rendez compte que toute la haute de Bliss l'attend pour son vernissage ? Ça... je vous le garantis, ça va faire du raffut s'il est pas là à l'heure H le jour J.
»
Contemplant le barman d'une moue dubitative affichée sur une gueule bien curieuse, Alegs, pourtant versé dans les choses de la peinture, se tourna vers son compère afin de lui demander benoîtement :

- « C'est quoi, ça, un vernissage ? »

Les occasions de se réunir, pour les élites du Royaume de Bliss, étaient autant de prétextes aux conjurations de l'entre-soi qui régentaient le sérail ici ou là. Les priver d'une occasion de ce faire, qui plus est avec la disparition injustifiée d'un artiste de leur caste, pouvait, à terme, avoir des conséquences. Du genre de celles qui tombaient en couperet sur la nuque des responsables. Il allait falloir payer les pots cassés ; les pots de peinture notamment, et il allait falloir le faire vite.
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Dernière édition par Alegsis Jubtion le Jeu 23 Mar 2023 - 17:11, édité 2 fois
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    Ivre mort et chancelant dans la taverne, Kant ne tenait debout que grâce à Algesis. Cela faisait une éternité qu’il n’avait pas eu de coup de foudre aussi intense, si bien qu’il le considérait comme son nouveau meilleur ami. L’alcool aidait beaucoup. Rejoignant le comptoir, les deux jeunes hommes eurent affaire au tenancier qui venait d’assister à toute la scène, éberlué. Tout comme Kant, mais pas pour les mêmes raisons, il peinait à comprendre ce qui venait de se dérouler sous ses yeux. Mais qu’étaient donc ces deux énergumènes ? Des âmes égarées ? Des magiciens ? Certainement l’exquis et délicat mélange des deux.

« C’est GÉNIAL ! hurla Kant en séchant les dernières larmes qui perlaient aux coins de ses yeux. Comment tu t’appelles déjà ? Jubtion ? Moi c’est Kant, mais tu peux continuer de m’appeler 'poivron' s’tu veux ! C’est génial comment tu lui a cloué l’bec à CE GROS NAZE ! »

Tandis qu’il s’esclaffait jonché sur son tabouret de bar, le tavernier vint tempérer sa joie et celle de son nouveau camarade. Néreu Picassiette était effectivement attendu le surlendemain pour présenter sa célèbre collection d’œuvres. Son absence inattendue causerait très certainement des remous chez les pontes du Royaume habitués à obtenir dans l’immédiateté tout ce qu’ils désirent. Seul souci pour le tavernier, ses interlocuteurs n’en avaient cure.  

« UN VERNISSAGE ?! répondit Kant à Algesis qui s’interrogeait. Quand ta pièce est terminée, mais faut bien la poncer d’abord, hein ? Tu peux utiliser du papier de verre, avec des grains fins ! Quand ta pièce est terminée, tu appliques du vernis pour protéger le bois et le faire briller, puis tu… »

Tandis qu’il plongeait dans les profondeurs d’un tunnel d’explications sur le vernissage du bois, savoir-faire primordial pour tout sculpteur, Kant fut interrompu par le tavernier.

« Un vernissage ! Un vernissage, bande de… C’est une exposition ! C’est lorsqu’un établissement inaugure une réception artistique et invite un artiste pour qu’il expose ses œuvres et que les convives les achètent ! »

Kant resta muet un moment, comme hébété. Il tourna son regard vers Algesis et n’en fut pas plus éclairé, au contraire. Puis, au bout de quelques secondes, il s’écria : «J’AI UNE IDÉE ! » À ces mots, il perdit l’équilibre et s’effondra sur le sol, perdant le peu de dignité qu’il lui restait en même temps que l’idée soudaine qui lui était apparue. Dans sa chute, il s’agrippa à son énorme sac plein à ras bord qui trônait à ses pieds. Ce faisant, il en renversa le contenu devant le bar, éparpillant ses livres, ses pinceaux, ses fioles et son herbier. Grommelant contre sa bêtise, il demeura au sol quelques instants pour ramasser ses effets, quand soudain, il perçut une petite boîte au fond de son sac. Cette boîte, c’est celle qu’il avait récupéré à Saint-Uréa, dans le bureau du chef du Culte de la Miséricorde, peu avant leur affrontement. Subitement sa curiosité se hissa aussi haut que son ébriété et Kant ouvrit cette mystérieuse boîte pour la première fois. À moitié enfoncé dans son sac, il demeura allongé au sol pendant quelques minutes. Puis, il remonta maladroitement sur son tabouret : il pleurait de nouveau.

« J’ai passé les trois dernières nuits à dormir sur de la paille, geignit-il, larmoyant. Alors que *snif* … Alors que *snif* … Alors que JE SUIS RICHE ! »

Sur ces mots, il présenta sa boîte ouverte aux yeux d’Algesis. Ce trésor dérobé au chef du Culte de la Miséricorde, ponte éminent de Saint-Uréa, contenait en effet de quoi rincer les deux jeunes hommes autant qu’ils le désiraient. Empoignant une liasse de berries, Kant la tendit brusquement à Algesis.

« TIENS ! Ce soir, je paye nos tournées et l’auberge ! »

L’allégresse fit à son comble. Kant gesticulait et braillait sans discontinuer, commandant bière sur bière au tenancier, qui semblait soudain rassuré d’avoir des clients capables de payer leurs consommations. Heureux d’être, pour une fois, exempt de sa misérable condition, Kant se mit à hurler sa joie et à fanfaronner liasses en mains. Il ne prêtait guère attention aux clients du fond de salle qui l’observaient du coin de l’œil. La nuit vieillissant, il célèbrent cette découverte opportune jusqu’à ce que la taverne ferme ses portes.

    Minuit passé de quelques heures, les deux amis, passablement éméchés, déambulaient dans les rues de Portgentil. Ils étaient à la recherche d’une auberge ou d’un hôtel susceptible de les accueillir pour la nuit. Kant tutoyait les anges, il chantait, demandait au ciel s’il n’avait pas vu une certaine « Kaétra », puis s’effondrait au sol de temps à autre. Soudain les deux compères passèrent devant un panneau sur lequel était affichée la publicité concernant l’événement de Néreu Picassiette. Kant s’arrêta devant, titubant et ricanant.

« Eh ben… ! Les peintures ‘exoooootiques’ et de sculptures ‘fantaaaaaasques’, y’a peu d’chance que vous les voyiez après d’main, j’vous le dis ! »

D’un coup, il se figea, affichant une moue laissant penser qu’il tentait de faire fonctionner quelques-uns de ses neurones baignés dans l’éthanol. Puis il déposa son sac et se mit à trifouiller à l’intérieur. Il en sortit un chapeau melon et un nœud de foulard aristocratique dont il s’affubla. Ces accessoires de luxes couplés à la dégaine d’ivrogne de Kant ne laissaient pas planer le doute sur sa véritable nature, mais il en pensait tout autrement. Après l’avoir bien observé, il se positionna à côté du panneau d’affichage, face à Algesis.

« Dis, tu trouves pas que j’lui ressemble ? » lança-t-il en imitant le rictus de Néreu Picassiette sur l’affiche à son effigie. Puis, comme coupé par sa propre pensée, il s’exclama : « J’AI UNE IDÉE ! Oui ! Oui ! Oui ! Le vernissage ! C’est nous qu’allons le faire ! Regarde, tu sais lire ? C’est dans deux jours ! Après-demain ! Regarde ! Je vais me déguiser en Picassiette, puis on va présenter NOS ŒUVRES à nous ! Ahahaha c’est génial ! Il suffit qu’on s’habille à peu près comme ces gros nazes, qu’on amène nos créations… et tadaaa ! Qu’est-ce que t’en dis, Jubtion ? dis oui ! dis oui ! »

Kant sautillait autour de son nouvel acolyte, le suppliant de le suivre dans sa mission d’infiltration plus qu’hasardeuse. Tandis qu’ils pesaient le pour et le contre, une voix menaçante surgit derrière eux.

« Vous voilà… Le gros moche et le lutin plein d’thunes ! »

Trois canailles présentes à la taverne et attirées par l’odeur de l’argent sonnant et trébuchant s’étaient discrètement mis à suivre les deux compères. Ils n’avaient rien de cruels pirates ou de dangereux criminels, si bien que Kant prit les devants.

« T’inquiètes Jubtion, j’men occupe, dit-il. Puis, empoignant une de ses fioles, il hurla. Kanpo Kenpō : Nemuriiiiiiii »

Kant ôta le bouchon en liège de sa fiole tandis qu’il hurlait, tel un héros, le nom de sa technique. D’un geste maladroit, il projeta en l’air la poudre contenue dans sa fiole en direction de ses assaillants. Deux d’entre eux évitèrent le nuage de poudre, tandis que Kant et l’une de ses cibles s’effondrèrent au sol et sombrèrent dans un profond sommeil.

Technique utilisée:
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Des syncrétismes comme l'amitié qu'ils venaient de se bricoler à deux, il s'en n'était pas fait d'aussi fameux depuis l'union sacrée du rhum et du jus d'ananas. Rhum qui, par ailleurs, constitua pour l'occasion un ciment bien noueux afin de mieux les lier l'un à l'autre. Le jus d'ananas, en ce qui le concernait, fut versé avec autrement plus de parcimonie. Parfois, l'amitié, ça vous venait comme ça ; comme une évidence.
L'un pour l'autre qu'ils étaient faits. Le premier navré de le constater ; le premier témoin de leur assortiment soudain, fut encore le tavernier. Certes, cette camaraderie, pour ce qu'elle avait de flamboyante, avait beau jeu de faire ses affaires - florissantes celles-ci - mais plus il le laisser couler, l'éthanol, et moins ses nerfs étaient paisibles.

En état de grâce ou en état d'ébriété, tous les chemins menaient au rhum. Quant au rhum, il vous menait ensuite vers des des contrées plus radieuses. Guidés par le destin à tituber jusque devant le temple à croûtes dédié au père Picassiette, ça allait mal finir. Si ce n'était pour s'empêcher de tomber, il ne s'en trouvait pas un pour rattraper l'autre. Le coup du chapeau melon et foulard, à lui seul, avait amorcé l'engrenage.

- « Dis, tu trouves pas que j’lui ressemble ? » qu'il lui demandait, l'autre nouille.

- « Ah mon cochon, emboîta un compère pas plus avisé que l'était le précédent, y'a pas à dire, t'as l'air d'un vrai ! Un vrai quoi, je saurais pas trop dire exactement..., mais un vrai de vrai en tout cas ! »

Pour un couillon à qui il venait une idée douteuse, il se trouvait aussitôt un second pour le conforter dans la méprise. Un tandem merveilleux que le leur ; un qui ferait des étincelles. De ces étincelles qui vous venaient quand vous passiez sur la chaise électrique. Car la connerie en commun, poussée jusqu'aux strates qui tenaient des leurs en cette nuitée, ça avait plus ou moins des accents criminels.
Cependant, des criminels, des vrais, des qui puaient de la gueule et qui étaient malpolis, il s'en profila trois pour leur causer des misères au duo.

« Vous voilà… Le gros moche et le lutin plein d’thunes ! »

C'est parti vite. Le sang, à Alegsis, un tour il a fait. Peut-être même deux. Il avait dessoulé rien qu'à s'être échauffé la bile. Il n'en ressortait cependant pas plus clairvoyant. Rendu furieux de l'invective qu'il venait d'entendre, il serra les dents brandissait un poing vengeur en direction des indélicats.

- « Les malotrus..., grogna-t-il d'abord entre ses chicots avant que son écluse à âneries déverse un trop-plein de ce qu'il contenait, Je laisserai personne traiter mon copain de moche ! Peu importe que ça soit vrai ou non, je tolère pas ! »

- « Alors non en fait c'était toi qu'on... »

Mais il était trop tard pour les précisions, car le rhum, déjà, dictait la danse. Kant, d'un geste aussi résolu que maladroit y alla le premier de son expertise pour faire aussitôt cracher la poudre. Pas celle qui fut conventionnelle, une autre, balancée à l'envolée comme on jetterait du sable dans les yeux du chaland. L'affaire s'était soldée dans une formule oratoire criée d'une voix cassée et fit immédiatement ronfler celui qui, au nom de l'exactitude, avait cherché à corriger le chasseur de prime sur sa méprise.
Ne souhaitant pas être en reste, disposé à faire honneur à l'amitié, Alegs lui avait emboîté le pas à Kant, titubant glorieusement pour s'essayer au même Kenpō, tendance nouvelle cuisine :

- « Grand pot, couenne peau : Nez pourri ! »

Parti bille en tête dans une cavalcade sourde sans pourtant savoir ce qu'il faisait, perdu qu'il était dans un élan tourné vers une direction inconnue, c'est d'un pas pressé et mal assuré qu'il trébucha à vive allure pour bêtement s'écraser le front contre le nez d'un des malappris. La malheureuse victime en tomba à la renverse, s'assommant quand son crâne heurta les pavés. C'était un joli coup que celui-ci, d'autant plus mirifique que son auteur l'avait accompli quasiment à son insu.

- « Ça le fait aussi, nan ? »

Alors qu'il cherchait l'approbation de son copain à se tourner en sa direction, il découvrit, quand la poudre fut enfin dissipée, que celui-ci s'était laissé aller à un kamikaze bien involontaire, affalé lourdement qu'il était sur la bedaine de son adversaire.

- « Sagouins ! hurla Alegsis à l'intention du dernier des trois. Qu'est-ce que vous lui avez fait à mon copain ?! »

- « C'est-à-dire que techniquement c'est lui qui... »

- « Tu t'en tireras pas avec des excuses foireuses ! Je vais me déchaîner sur toi à... à 9000 % »

Ce qui était beaucoup. Assez en tout cas pour que le chasseur de prime se saisit de son pinceau géant à pleine poigne.
Il fallait maintenant réfléchir - exercice périlleux quand il concernait Alegsis Jubtion. Réfléchir à une stratégie d'approche pour vaincre le dernier canaillou. Il avait sorti un couteau après tout, ne sachant trop non plus par quel bout aborder le moche.
À son répertoire, des techniques au pinceau, Alegsis en comptait trois. La première, mise en exergue plus tôt dans la journée, c'était le « Coup de Blues » ; un sceau de Colors Trap bleu, et la déprime était assurée. Il avait aussi son pendant inverse le « Rire Jaune », où, sous l'effet de la marque du Colors Trap jaune, l'hilarité venait à sa cible. Enfin, il y avait la « Vue Rouge », qui, quand elle y allait de ses tons rougeoyants maculés sous la forme du Colors Trap, attirait les attaques de tous ceux qui s'essayaient à l'hostilité d'un instant.
Il y avait tout cela à prendre en compte, à ruminer pour déterminer quel choix dans le répertoire serait le plus idoine pour traiter de la situation donnée. Pensif jusqu'à finir en proie au tourment de l'indécision, le chasseur de prime, dans toute sa sagesse, trancha finalement la question après une bonne minute passée à rester immobile, son pinceau à la main.

- « Bon sang mais c'est bien sûr. » s'était-il exclamé à voix basse, les yeux soudains écarquillés, frappé qu'il fut par une illumination intellectuelle.

Puis il adressa un grand coup de pinceau dans la gueule du troisième larron.

Son affaire rondement menée, le dernier de la bande ainsi assommé, Alegsis se précipita ensuite jusqu'à son ami, accablé par les ronflements. S'en saisissant par les bras afin de le traîner comme un vulgaire sac à patates, le chasseur de prime força la première porte qui lui vînt à portée de séant pour l'ouvrir d'un coup de cul percutant.
Il avait de belles fesses et savait en faire bon usage.
Ce bâtiment dans lequel il fit irruption, ce ne fut rien moins que celui devant lequel, quelques instants plus tôt, son compère et lui avaient ourdi un plan dont le génie tenait du relatif, si ce n'est de l'absent. Un génie dont on pouvait en tout cas assurer sans peine qu'il était à leur mesure.

Paniqué par la situation de détresse dans laquelle il pensait se trouver, désespéré que son meilleur ami fut dans un état qu'il estimait proche de la mort - Alegs n'était pas un très bon médecin - il cherchait dans le noir un quoi que ce soit ou même un rien qui put lui être d'un quelconque secours pour sauver son binôme ; sa moitié. Mais le bon Kant, de la ressource, il en avait. Il le prouva alors que, pour signaler son retour triomphal, celui-ci, pris d'une irrésistible envie de gerber comme cela se faisait au réveil d'une biture, se saisit du plus proche ustensile pour y déposer une gerbe. Et dans les salles d'exposition, il n'était pas rare d'y trouver des toiles. On ne sut jamais trop quelles esquisses s'étaient trouvées sur celle que le Poivron vînt à maculer de ses repas antérieurs. Les couleurs, toutefois, y resplendissaient admirablement bien au milieu des sucs digestifs encore humides.

À la fois stupéfait et admiratif de ce qu'il tenait pour un prodigieux retour à la vie, c'est la bouche grande ouverte, ébahi qu'il était, que le chasseur de primes y alla de son commentaire ému.

- « Toi alors, t'es franchement infatigable. Voilà que tu nous fais de l'art à peine revenu de chez les morts ! Puis, se ruant aussitôt à son chevet - par terre, donc - alors que la bête était encore hagard du sommeil qu'elle s'était elle-même infligée, Alegsis s'empara sans dégout aucun de la toile nouvellement peinte pour la brandir devant ses yeux ébahis. Au moins, la toile-ci, on pourra pas dire que t'y as pas mis tes tripes. Ponctuant  sa réflexion de mauvais goût - dont il n'avait même pas eu conscience - d'un acte plus répugnant encore alors qu'il reniflait l'œuvre encore dégoulinante d'un élan créatif spontané, il déclara enfin : *snif* Mmmh, je connais un veinard qui a mangé des crevettes récemment. »

Après avoir trouvé de quoi éclairer l'immense salle d'exposition dans laquelle ils avaient fait irruption, le panorama ambiant révéla les toiles préalablement exposées dans l'attente que leur auteur s'en vienne se pavaner devant en bonne compagnie. Les deux crétins observèrent alors attentivement et en silence l'étendue du talent de celui-là même qu'ils avaient éconduit la journée précédente - car il était déjà minuit passé, et de beaucoup - pour finalement aboutir à une conclusion articulée de concert :

- « Bon. On crame tout ? »

Ce fut grandiose. Jamais le vandalisme, auparavant, ne fut accompli avec autant d'entrain. Parce qu'ils comptaient s'y tenir, à leur plan fumeux. Kant jouerait le rôle de Picassiette car, d'après Alegsis, celui-ci avait « L'odeur des artistes ». C'était un compliment. Un qui soulignait à quel point son copain était alcoolique, mais un compliment tout de même. Le chasseur de primes, pour l'occasion, endossait le rôle de l'assistant créatif.
Les toiles de maître déjà exposées ? Elles étaient déjà toutes passées à la schlague, les deux barbares s'étant bien vite saisis de toiles vierges dans la remise afin d'y substituer leur « illustre » talent à celui d'un maître reconnu. La première œuvre exposée fut évidemment la régurgitation opaque de Kant, celle-ci rebaptisée « Art sans le voulo'art ». Le concept y aurait la part belle, le talent, un peu moins.

Leurs efforts, il les avaient déchaînés un jour et deux nuits, affairés qu'ils furent tous les deux à étaler leurs outrages artistiques et à peinturlurer inconséquemment toute surface blanche s'étant trouvée à portée de pinceau. La déconnade fut absolue ; leur art était ainsi consacré.

Fier de lui - car les crétins étaient immunisés des choses de la honte - contemplant leurs œuvres, Alegsis crut bon de déclarer :

- « Moi je dis... le clou de la vernissure, ce sera quand on exposera notre lion enrhumé croisé scorpion. Crois-moi sur parole, Tank, il l'appelait ainsi car lui avait soutenu dès les prémices de leur amitié que cela était plus rapide à prononcer, l'art, cette nuit-ci, on lui a refait le portrait. »

L'heure du vernissage approchait. Du temps, ils en avaient même trouvé pour réparer la serrure de la porte. La supercherie promettait d'être absolue. D'autant plus absolue que Picassiette, à vouloir trop travailler sa posture médiatique d'artiste maudit et mystique, avait mis un point d'honneur à ne presque jamais être pris en photo. Ne circulait de lui qu'un portrait vieux de vingt ans déjà. À l'heure actuelle, tandis qu'on s'apprêtait à se faire passer pour lui dans une parodie artistique comme il s'en était peu trouvées dans l'histoire, le maître, il en était pour sa part réduit à pêcher de force sur un chalutier pour payer le ticket du passager clandestin.
La farce commencerait sous peu. Vînt alors à l'esprit du moche une réflexion soudaine.

- « Attends. Tu vas quand même pas te présenter à eux comme ça ? Fit-il comme reproche au « maître ». Et la prestance de l'artiste, t'y as pensé à ça, la prestance de l'artiste ?! Fier comme un paon, orgueilleux comme ceux qui, d'honneur ou d'intelligence, n'en avaient pas une once, il bomba le torse, leva le menton et croisa les bras, fermant ses yeux tout en affichant un petit sourire chafouin. T'inquiètes donc pas, va. Ton copain Alegs, il a la solution. »

Alegs était effectivement homme à créer un problème lorsqu'il croyait avoir une solution à portée de main ou, en l'occurrence, à portée de pinceau.
S'emparant de son arme de prédilection, c'est cette fois sur un ami qui lui était cher qu'il en fit un prompt usage.

- « Brush Crush combiné Rouge et Jaune : Le maître du déguisement ! »

Trois coups de pinceau, et l'affaire était rendue ; il avait transfiguré Kant. Naturellement fier de sa connerie, car justement trop stupide pour mesurer la profondeur de sa stupidité, il s'en alla trottiner à la recherche d'un miroir pour le brandir sous le nez du camarade.

- « Voilà. «Maintenant» t'as l'air d'un gars sérieux ! »

« Un gars sérieux »:

Il y avait effectivement de quoi être surpris de la métamorphose. Il fallait néanmoins s'entendre sur la nature de la surprise en question.

- « Mais non que ça te donne pas un air con. Pas plus que d'ha... enfin... ça fait excentrique, on dira. Ils y verront que du feu de toute manière : j'ai coupé le champagne avec du rhum. J'en ai même mis dans les petits fours. On n'est jamais trop professionnel. »

Car toute cette brillante idée, ils la devaient initialement au rhum, bien que leur idiotie y fut toutefois pour beaucoup dans le rendu final. Ainsi, tous les éléments du désastre avaient été savamment envisagés ; le cataclysme n'attendait plus qu'un allumette pour qu'on mit le feu aux poudres.

- « Et oublie pas. Si tu sais pas quoi répondre, tu dis que c'est «avant-garde». C'est ce que disait mon maître chaque fois que je lui demandais pourquoi ses dessins étaient nuls. »

Une larme se profila alors discrètement aux abords d'un de ses yeux ronds de bovin azimuté. L'émotion que lui suggérait un pareil souvenir l'emportait vers les confins de sa mémoire, frayant à nouveau avec un temps où son maître s'employait à parfaire son éducation artistique à grands coups de canevas dans la gueule. On jugeait une politique à ses résultats : ceux-ci étaient effectivement spectaculaires.
Leur amitié, à Kant et à Alegs, était en tout cas si actée que le chasseur de primes en était déjà rendu à lui transmettre des secrets puisés de ses enseignements ancestraux.

De derrière la porte, ça remuait. Parce que les bels gens du Royaume de Bliss, ils s'étaient massés à l'entrée pour en jouir, de leur privilège. Ils allaient y goûter à l'art, et on saurait à leur réaction si, de goût, ils en avaient, ou si tout postulat artistique chez eux ne reposait que sur l'enfumage caractérisé. L'heure approchait, elle arrivait même à terme même et, de là, les portes s'ouvrirent pour révéler l'éclat du dehors, celui rendu plus étincelant par la lumière qu'incarnait la noblesse locale.

Ça commençait.
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    Quand les portes s’ouvrirent, Kant fut saisi d’effroi. Il ne s’attendait pas à accueillir ce type de visiteur. Deux mastodontes à la carrure démesurée tenaient devant lui, inflexibles. Leur tenue aux décorations martiales sublimait leur silhouette. Ils étaient armés. Une sueur glacée s’écoula le long de l’échine de Kant, qui se demanda sincèrement s’il n’était pas déjà foutu. Comment lui et Alegsis avaient-ils pu conjointement entretenir l’illusion qu’ils parviendraient à subrepticement subtiliser la place d’un artiste connu lors de sa propre exposition, alors que celle-là même s’adresse à un public excessivement fortuné ? Cette question rhétorique l’occupa un instant. Soudain, Kant aperçut les deux imposantes statures se faire bousculer par le public impatient. D’un mouvement brusque et précis, ils se placèrent de part et d’autre des portes grandes ouvertes, immobiles. Telle une meute de chiens indisciplinée, les nobles invités se ruèrent dans la salle d’exposition.

    La pression retomba. Il ne s’agissait là que de gardes et Kant en déduisit qu’il devait s’agir d’une sorte de milice privée, faisant office de service d’ordre. Ce qui pouvait paraître superflu, dans une ville où la Marine régnait en maître. L'artiste fallacieux ajusta son chapeau, s’inclina élégamment pour saluer ses invités et leur fit un accueil remarquable. Ses dernières aventures à Saint-Uréa avaient sensiblement amélioré ses manières, si bien qu’il agissait naturellement comme s’il émanait lui-même de la haute société. Quand les derniers convives furent tous entrés, ils s’agglutinèrent devant l’artiste, formant une masse bêlante et mouvante. Cette scène projeta Kant dans son enfance, car il l’avait déjà vu, seize ans plus tôt, lorsqu’il officia comme berger pour la première fois sur l'île de Tanuki. Cette pensée le rassura. Il se tint droit, bomba le torse et prit une grande inspiration.

« Très chères, très chers. Tout d’abord, je vous remercie d’être venus si nombreux. Nous, voici réunis pour le vernissage de cette exposition qui je l’espère, saura susciter en vous… une… enfin une super expérience. Du coup euh… »

La débandade : ces quelques secondes où l’on perd le fil d’un discours cousu entièrement de fil blanc, qu’elles paraissent longues. Kant se tut, gêné devant l’assemblée et tourna la tête vers Alegsis en le suppliant du regard. Puis ce même regard se perdit dans l’obscure profondeur des saillantes narines de son compère, et ces mots vinrent brusquement à ses pensées : c'est «avant-garde».

« L’avant-garde artistique, Mesdames et Messieurs ! S’exclama Kant, conquis par une énergie soudaine. Venez constater par vous-même la richesse d’un univers plastique aux innombrables thèmes et techniques, fédérant progressisme et archaïsme au sein d’une exposition capable de révéler la nature des émotions qui sommeillent au plus profond de vous ! Cette collection excentrique que vous percevez derrière moi est le fruit de très longues heures d’un travail mêlant acharnement, passion… et… clairvoyance. Je suis Néreu Picassiette, votre hôte reconnaissant et votre humble serviteur. Et pour vous conseiller et régler vos acquissions, veuillez vous adresser à mon cher assistant Ju… »

Il s’interrompit en désignant Alegsis de la main.

« … Juste Gropinsso.»

Surgissant de la foule amassée devant lui, un monsieur dégarni et grassouillet demanda :

« Ah bon il a pas de prénom ? »

Kant fit mine de ne pas saisir la référence et enchaîna, invitant ses convives à rejoindre le circuit de l’exposition. En pointant du doigt le fléchage au sol, il s’aperçut que les grossières flèches peinturlurées dessus n’étaient pas sèches. Cette entreprise avait-elle vraiment une seule chance d’aboutir ? Kant commençait à en douter. Il observait sans cesse Alegsis de peur que ce dernier ne commette une énorme dinguerie. Après avoir présenté le buffet, il partit rejoindre son complice, se penchant discrètement à son oreille.  

« Alors, elle est pas jolie la prestance de l’artiste sérieux ? J’ai tout donné ! Bon n’oublie pas… je ne dois pas trop boire, je compte sur toi ! Si on arrive à ne vendre ne serait-ce qu’un tableau au prix fixé par ce gros naze de Picassiette, on va se la couler douce un moment, je te l’dis ! »

    Sur ces mots, Kant s’éloigna, laissant Alegsis en compagnie d’une poignée de nobliaux. Tous les convives étaient luxueusement habillés et se dodelinaient çà et là, s’émerveillant devant telle ‘œuvre’, s’offusquant devant telle autre. Certains s’invectivaient devant une sculpture, car ils ne s’accordaient pas sur le courant auquel elle appartenait. Élégamment habillé et soigneusement déguisé pour l’occasion, le prétendu Picassiette déambulait en se pavanant auprès des attroupements de spectateurs conquis. Soudain, il fut invité à se prononcer sur l’une de ses créations.

« Picassiette, c’est formidable ! Quel étonnant spectacle que vous nous offrez là ! Ce tableau, ne serait-ce pas l’allégorie de la sirène orange de South Blue ? L’empreinte picturale rustique employée à la gloire d’une fabuleuse légende culturelle ? C’est tout simplement exquis. La dualité de votre personnalité transparaît avec une telle magnificence, vous ouvrez des portes en apparence scellées, derrière lesquelles fleurit la dichotomie de l’existence, oscillant sans cesse entre le réelle et l’imaginaire. C’est d’un tel avant-gardisme...! »

Kant observa la peinture.
Spoiler:

« Oui, effectivement, répondit-il. C’est exactement tout à fait ça, vous êtes vraiment un fin connaisseur ! Ou je ne m’appelle pas Néreu Picassiette ! AHAHA. Je pense que ce petit bijou sera aux mains d’un chanceux collectionneur dès ce soir. »

« N’en dites pas plus, j’achète ! » S’exclama soudain une duchesse, d’une voix forte et autoritaire.

À ces mots, Kant fut secoué par une tempête de dopamine torrentielle qui se manifesta sobrement par un sourire triomphant. Puis, ce fut la cavalcade : de part et d’autre, les convives commencèrent à s’agiter, comme si elles réagissaient à ce « j’achète » sortit des tréfonds de la cupidité. Tous commencèrent à s’échauffer, ordonnant à Alegsis d’officialiser et d’encaisser leurs achats. Les quelques gourmands restés à l’écart vidèrent le buffet et rejoignirent la cohue générale. Une irrépressible envie de pleurer submergea Kant, vers qui les regards se tournèrent, tandis que le brouhaha faiblissait.

« Ce n’est rien, s’exclama-t-il. J’ai consacré de si longues heures à la gestation de ces oeuvres, symboles de mon… sérieux et de mes émotions, que je suis triste de les voir s’en aller. Mais ne vous inquiétez pas ! Tous vos désirs seront satisfaits, il faut juste s’adresser à Juste. »


    Au bout du compte, Kant dut aussi se mettre à encaisser afin d’empêcher que les pontes du Royaume de Bliss ne s’écharpent au beau milieu de l’exposition. En à peine une heure, la trentaine d’aberrants barbouillages des deux imbéciles s’écoula à prix d’or. Kant, persuadé d’être riche depuis la veille, comprit qu’il ne possédait rien comparé à ces nobles qui concédaient volontiers des millions de Berries pour des « « œuvres d’art » ». Une fois les croûtes acquises, l’assemblée demeura dans la salle d’exposition et certains commençaient déjà à spéculer, proposant de céder certaines pièces à dix fois leur prix d’achat. Kant n’en croyait pas ses oreilles, mais il s’efforça de continuer à jouer son rôle, fournissant des renseignements, approvisionnant le buffet. Ils se retrouvèrent avec Alegsis pour regrouper tout l’argent qu’ils avaient récupéré, ce qui représentait un pactole dont le montant faramineux se devinait à son volume.  

« Mes très chers convives, s’exclama Kant. Veuillez toutes et tous de me pardonner, mais je dois m’absenter un moment. Je vous laisse avec Juste mon assistant à votre service. »

Kant se faufila derrière le grand rideau tiré à l’arrière de la salle se dirigea vers sa loge. C’est là qu’étaient rangés ses affaires, au milieu des pots de peintures vides. Il entra et referma la porte derrière lui, puis se mit à pleurer à chaudes larmes. Il n’imaginait pas que cette histoire rocambolesque eut pu aussi bien se dérouler, lui qui depuis deux jours livrait une lutte intense contre son Némésis, la veisalgie -autrement plus connue sous le nom de sévère gueule de bois-. Pleurant sans discontinuer, il rangea soigneusement l’argent puis, pour se féliciter du travail accompli, descendit une bouteille de rhum. Seul.

     Quelques minutes plus tard, Rébou Picassiette sortit de sa loge. Il s’ordonna de s’astreindre à une maudite modération, ô combien nécessaire pour que les portes de l’exposition ferment sans encombre. Soudain, alors qu’il s’apprêtait à regagner la grande salle, il entendit d’étranges murmures. À cet instant, deux coups de feu retentirent. Le bruit venait de la grande salle. Pris de panique, Kant se retourna et fut maîtrisé en un instant par une jeune femme particulièrement adroite et vigoureuse. Cinq hommes tapis dans l’ombre l’accompagnaient. En maintenant fermement Kant sous son emprise, la jeune femme s’avança et pénétra dans la grande salle où se déroulait une scène sordide. Les deux gardes accompagnant la noblesse du Royaume de Bliss gisaient au sol dans une mare de sang. Un jeune homme aux cheveux blonds exhibait son arme encore fumante. Derrière lui, cinq individus s’afféraient à bloquer les portes de l’intérieur.

« LA VOILÀ, LA NOBLESSE DE BLISS ! s’exclama-t-il en avançant vers l’assemblée circonspecte et terrorisée. La chaire à canon, la tendre ! Agglutinée en masse autour d’une célèbre ordure : Néreu Picassiette ! »
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Kant venait de s'isoler dans sa loge, abandonnant ainsi son compère à sa bêtise coutumière sans qu'aucun garde-fou ne l'en prévienne. Alegsis, alors, était seul au milieu du gratin de Bliss.

Sa main en appui sur le mur qui lui faisait face, celle-ci située non loin du visage d'une précieuse qui y était adossée, présageait de ses intentions romantiques. À la posture, on devinait que le chasseur, sa proie, il l'aurait bien rajoutée à son tableau de chasse. Il était lourd, l'homme-là, quand il draguait ; il était lourd quand il parlait, il était lourd en toute circonstance et, de son absence flagrante de savoir-vivre, il en faisait alors un étalage impudent tandis qu'il s'affairait à courtiser, sans grâce ni finesse, une mignonne bien parée. Elle, de l'éducation, elle en avait et c'était là sa plus grande peine car, du fait de ses manières trop bien apprises, ce malappris qui l'accostait, elle n'osait trop l'envoyer chier. Les convenances la maintenaient captive d'un rustre qui, privé quant à lui de tact ou de décence, racolait lourdement.

- « Ouais, je me vois un peu comme euh..., l'hésitation était de mise, car le maraud réfléchissait même pour accoucher d'une ânerie. Au point de se tenir le menton, pensif, pour y cogiter jusqu'à ce que la suite lui vienne. Comme... un mercenaire du pinceau. Ouais, ça claque, ça. Tu vois, je pourfends la toile et je fais trisser la gouache, quoi. D'ailleurs tu  savais que c'était moi qui avais dessiné les flèches au sol ? Eeeeeeeh ouais. C'est pas pour me vanter, hein, mais je suis pas n'importe qu... »

Un raclement de gorge persistant l'amena finalement à se retourner, une gueule saumâtre en affiche.

- « Qwaaaa ?! Tu vois pas que tu me casses mon cou... »

L'admonestation, pourtant véhémente dans ses prémices, s'estompa néanmoins dans l'instant. Sa gueule tordue de loubard en maraude prit soudainement le pli d'un sourire radieux nappé d'une paire d'yeux pétillants parsemés de mille étoiles. Distrait qu'il fut par ce qu'on lui exhibait sous le nez, la jeune fille lui faussa compagnie tandis qu'il avait le dos tourné. Comment n'aurait-il pas pu, après tout, garder les yeux rivés sur ces billets qu'on lui tendait si généreusement ?

- « Ahem, entrepris gêné l'aristo présenté à ce spécimen humain si pittoresque, nous venons régulariser l'achat d'une des somptueuses toiles de votre maître. Il y en a pour cinq millions de berr... »

La phrase, il ne l'avait pas terminée que le bougre lui avait presque arraché les doigts et s'emparant des talbins. Les deux rombières emperlousées qui accompagnaient l'acheteur, en bonnes mondaines qu'elles étaient, s'offusquèrent de la rustrerie en un « Oh ! » outré dont elles seules avaient le secret. Les « Oh ! » n'en finissaient d'ailleurs pas de tomber en série alors que « Gropinsso » poussa le vice jusqu'à vérifier à la lumière - un œil fermé et la langue tirée au coin de ses lèvres - si les billets étaient effectivement des vrais. Le mur de la goujaterie avait été franchi, et sans même que le responsable ait eu à forcer le naturel.

- « Oh le... mais comment ose-t-il ?! »

-«  Du calme, Pervenche, intervint sa comparse, n'as-tu donc pas entendu ce que le maître a dit de lui ? »

Pervenche, elle l'avait pas entendue l'histoire. Alegsis non plus du reste qui, interloqué tout de même, plissa son œil ouvert pour porter sa prunelle sur les deux précieuses.

- « Lorsqu'il a rencontré son acolyte, celui-ci n'était qu'un enfant sauvage élevé par les hippopotames sur l'Île Maudite figure-toi. »

- « Oh ! C'est donc pour ça que sa tête... » réalisa Pervenche alors qu'elle trouvait désormais à Gropinsso comme des airs de pachyderme marin.

- « Parfaitement. Il l'a même recueilli et élevé comme son propre esclave afin de le civiliser au mieux. Aussi, il faut lui pardonner ses écarts. »

La mâchoire du sauvage s'était décrochée un peu plus à mesure que sa biographie lui avait été contée. Il avait bien fallu justifier par avance les incartades du pitaud, aussi Kant avait fait au mieux en bricolant une légende à l'envolée. Le rhum avait aidé pour beaucoup à commettre sa trouvaille. Oui, il avait fallu au moins cela pour justifier qu'un rustre de dernière bourre, un Épavien en chasse, se soit fait une place dans l'assemblée comme une tache de merde sur une toile de maître.
Plongé dans quelques vilains songes ayant pour sujet son bon copain, Alegs tressaillit légèrement lorsque l'acquéreur lui posa une question.

- « Dites voir, monsieur Gropinsso, parfaitement entre nous, la source de l'inspiration de votre maître, vous la connaissez ? »

Pour y rendre un chien de sa chienne à son ami, le chasseur de prime aurait bien craché le morceau sur la supercherie. Seulement... il y avait l'argent. Et pour un si noble idéal, il étouffa bien volontiers la rancœur qu'il put vouer à son cher et estimé camarade. Car mieux qu'un bandage fermement noué, les billets de banque pansaient toutes les plaies de ce monde.

- « Oh... euh... »

Dans une improvisation de tous les instants, Alegsis hasarda son regard partout où il pouvait afin de trouver matière à pipeauter jusqu'à ce que ses yeux, irrésistiblement, tombent à nouveau sur les billets qu'il épluchait de ses mains habiles.

- « Les portraits ! Lâcha-t-il finalement comme une révélation soudaine tandis qu'il contemplait les visages imprimés sur les billets. Il est très inspiré par les jolis portraits dessinés à l'encre sur du papier. Ça l'émeut à un point, vous avez pas idée. »

Et il ne croyait pas si bien dire, car alors qu'il brodait impudemment, Kant, dans sa joie, en était rendu à célébrer son succès d'artiste en solitaire ; quoi qu'accompagné d'une bouteille qu'il embrassait goulument dans sa loge.

- « Les portraits, hein ? S'interrogea le noble tandis que le chasseur de prime comptait à nouveau la somme remise entre ses mains. Comme tout cela est authentique ! »

Ils aimaient à parler pour ne rien dire ces gens-là, gâchant les mots comme des accessoires spécieux pour mieux paraître. Moins éduqué pour sa part, ignorant jusqu'à ce que signifiait le mot qu'il venait d'entendre distraitement, Alegsis, son attention portée sur les berries, répondit machinalement, comme pour se parler à lui-même :

- « Du moment que c'est pas en toc. »

Un silence plana dans la petite assemblée qu'ils tenaient à quatre, au milieu des trois mines déconfites des nobliaux qui, passée la surprise de la réplique qu'ils venaient d'entendre, se mirent à rire de concert. Levant le nez de ses biftons un brin sourcilleux, ne comprenant pas ce qu'il y avait de drôle, Alegsis crut qu'on se moquait de lui. L'acheteur, impétueux, se sentit de faire preuve de familiarité avec ce personnage pittoresque présent face à lui, assénant une claque joviale - quoi que condescendante - contre l'épaule de l'imposteur en second.

- « Ah vous alors, pour un esclave, vous avez de l'esprit ! Hahahahahahahahaha ! »

Se forçant à rire à son tour alors que dame Pervenche et sa binôme y étaient allées elles aussi de leurs gloussements, Alegs se conforma à l'hilarité ambiante sans pour autant la partager.

- « Jerihihihihihihihihihihihihihihihihihihihihihivatefairenculerhihihihihihihihihihihi ! »

C'est à cet instant précis que la joyeuse troupe fit irruption. L'arrivée en fanfare, entonnée au son du mousquet, constitua une entrée d'autant plus remarquée que les deux gardes positionnés à l'entrée avaient été occis. C'était la révolution ; elle tombait mal.
Tout ce que la salle comptait de froufrous et de grands airs avait soudain troqué les gloussements pompeux pour les cris d'orfraie. Des raisons d'être nerveux, ils en avaient à trop se pavaner comme si la misère, bien réelle, n'existait pas au Royaume de Bliss.
Kant avait à peine eu le temps de s'extraire de sa forteresse de solitude qu'on chercha à le faire dessouler d'une clé de bras.

Avaient débaroulés dans l'assemblée une petite cohorte de révoltés. Deux meneurs et dix loufiats à vue de nez, ce qui portait la fine équipe à douze salopards.
Quand le bétail aristocratique fut parqué à la menace des mousquets et des fusils, que le silence commença à se faire une place plus nette, le chef, il leur fit savoir à eux tous qu'ils allaient leur piquer bijoux et liasses pour financer les bonnes œuvres de la révolution. Ils avaient préparé leur coup, sachant qu'une telle concentration d'opulence en un lieu aussi clos ne manquerait pas de faire leur fortune.

Les mains en l'air comme tout le monde - parce qu'il savait tout de même se montrer raisonnable quand on pointait une arme dans sa direction - Alegsis eut droit, après ses convives, à la visite d'un des grouillots armés chargés de détrousser l'assemblée. Que ce fut celui-ci et peut-être deux autres dans la foulée, même sans son pinceau qu'il avait négligemment laissé en loge, le chasseur de prime aurait facilement pu les allonger d'un coup chacun. L'entreprise aurait toutefois nécessité qu'il fut ensuite hermétique aux balles de leurs camarades. Comme les autres, il l'avait dans le baba.

- « Mais ce serait pas mes sous que tu tiens par hasard ? » Ricana le révolutionnaire armé de son fusil quand il se présenta à Alegsis.

Ce dernier, peu familier de ce qui pouvait tenir au second degré, au sarcasme ou à la moindre forme d'esprit, crut à une question franche, y répondant ainsi à son tour avec la franchise du crétin qu'il ne cessait jamais d'être.

- « S'ils sont dans ma main, les billets c'est qu'ils sont à moi. Réfléchis. Ajouta-t-il comme atterré de trouver son interlocuteur si stupide. Qu'il est bête celui-là. »

Un coup de crosse sympathiquement logé dans l'estomac l'encouragea à se mettre à genoux, facilitant ainsi la tâche à son ravisseur afin que celui-ci le délesta plus aisément des quelques millions qu'il tenait en main. Les recours manquaient pour exiger qu'on les lui rende, Alegs comprit au moins cela alors qu'il se tenait le ventre.

- « Je pourrais vous appeler « Mesdames et Messieurs » pour m'adresser à vous, entama le chef de bande, mais aucun parmi vous n'est digne d'une pareille appellation. »

Un mépris quelque peu palpable, ainsi formulé, laissa entendre à l'assemblée qu'on ne ferait pas grand cas de sonexistence le temps de cette prise d'otage.

- « Je m'appelle Robert Schrökinger et... »

- « Qu'est-ce que c'est que ce nom à mord-moi-le-nœud ? » ne put s'empêcher de vitupérer le plus abruti de l'assistance.

Le coup de crosse du fusil, la fois-ci, vînt heurter sa mâchoire pour l'étaler de tout son long sur le sol. Tout le monde avait assisté à la scène, tous partagés entre la consternation devant l'idiotie de la victime et la stupeur de la violence employée.

- « Je... je disais donc. Mon nom est Robert Schrö-kin-ger. » Il marqua un temps pour jeter un œil à Alegsis afin de vérifier si celui-ci n'avait pas eun deuxième commentaire dans sa besace.

Ce dernier n'eut-il pas été encore sonné par le coup qu'il venait de recevoir qu'il aurait répondu « Bonjour Robert » avec cet entrain insolent qui ne quittent jamais les imbéciles de son engeance. Aussi Robert reprit ce qu'il destinait initialement au soliloque.

- « Et, sans vouloir être de mauvaise compagnie, je vous dirai que mes camarades et moi n'en avons pas qu'après votre argent. Son regard halluciné et son sourire malsain appuyaient mieux ses intentions que ses propos. Nous ne sommes pas venus seulement vous rançonner, mais vous faire payer le prix de l'oppression dont est victime le peuple de Bliss ! »

À s'emporter dans son discours, il s'excitait tout seul, sa voix prenant des accents plus nerveux et frénétiques.
Il avait tout d'un dingue, à commencer par la ferveur révolutionnaire.

- « Cela dit... je ne serais pas tout à fait exact si je vous disais n'être venu que pour vous. Car, après tout, nous avons un invité de marque en la personne de mônsieur Picassiette en personne. Ce furoncle décadent ! Ce suppôt du Gouvernement Mondial, toujours la langue logée dans le cul d'un haut-dignitaire ! Son regard en direction de Kant se faisait plus dément à mesure qu'il énumérait le passif de l'artiste. Néreuuuuu, c'est aussi pour toi qu'on est là. Pour corriger tes vilains travers, surtout ! »

À ces mots, la jeune demoiselle qui tenait le maître en respect resserra sa clé de bras comme pour mieux souligner par les actes la rage de son comparse. Ils l'avaient mauvaise, et Kant allait en faire les frais pour le compte d'un autre. Picassiette, le vrai, contraint qu'il était de pêcher sur son chalutier, ignorait à quel point on lui avait en réalité sauvé la mise.

- « Car ça se sait, Picassiette, grâce à nos camarades établis partout sur les îles, que tu débauches les demoiselles en étalant ton fric dégueulasse partout où tu vas. Petit salopard libidineux, tu vas payer pour tes crimes ! »

C'était à se demander si, finalement, tout ce petit monde n'était pas en réalité jaloux d'un artiste à succès qui, souverainement, se tapait la faune locale partout où il allait tant sa renommée le précédait. Il y avait de ça, dans l'engagement révolutionnaire dont tous se retrouvaient aujourd'hui en proie.
Remontés eux aussi par le discours de leur chef, les sous-fifres y allèrent à leur tour de leur commentaire avisé :

- « Raclure ! »

- « Ribaud ! »

- « Scélérat ! »

- « Débauché ! »

- « Truand ! »

- « Racaille ! »

- « Fumiste ! »

Toutes les figures en présence réagirent les yeux légèrement écarquillés en voyant que l'assistant même du maître s'était joint à la harangue. Il n'y pouvait rien, Alegsis, il s'était laissé emporter par la ferveur communicative de ces jeunes gens plein d'allant. Son geôlier attitré, qui l'avait déjà lourdé de ses berries en plus de l'avoir corrigé de deux coups de crosse, s'employa cette fois à le savater en l'exhortant à se taire.
Robert alla à la fenêtre pour y regarder le paysage qui s'y dessinait. Un sourire amer lui déchirait alors la gueule de tout ce que celui-ci avait d'acrimonieux à exhiber.

- « Peuh ! Commença-t-il avec mépris. Pour ces pourceaux de sang-bleu, je vois que la marine fait vite. »

Les coups de feu, surtout aux alentours d'une galerie aussi huppée que celle investie par les révoltés locaux, n'avaient pas manqué d'attirer les autorités compétentes. Les soldats, dépêchés par dizaines déjà, se pressaient dans l'avenue pavée pour faire face à la prise d'otage.

- « Ils... ils sont déjà là ?! S'alarma un sbire. »

On était chef ou on ne l'était pas. Lui, en l'occurrence, ne l'était pas, mais Robert, en meneur d'hommes, reprit emprise sur son subalterne en trouvant les mots justes.

- « Arrête de paniquer, on savait que ça arriverait. C'est bien pour ça qu'on a préparé un plan, non ? »

Car ils avaient un plan ces gens-là ; outre le délestage de denrées précieuses et autres toiles de maître. Sans doute la prise d'otage n'était-elle qu'un prétexte - car jamais pareille entreprise ne fut menée à bien sans que le cachot ou la potence ne s'imposa en point final. Restait à déterminer quels recours ceux-ci avaient envisagés pour échapper aux chiures des mouettes venues en nombre pour les cueillir.
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♬♫♪Tout juste débarqué au Royaume de Bliss,
♪Autour du goulot, j'ai déniché un complice !
♪Vous attristez pas, ces jeunes avant-gardistes,
♪Forment un fantastique couple d'artistes !
♪Que Picassiette tire sa révérence,
♪Qu'il redoute notre implacable concurrence,
♪Notre implacable concurrence ! ♬♫♪

Voici les mauvais vers qu’avait tendrement préparé Kant dans sa loge, tandis qu’il y biberonnait tranquillement sa bouteille de rhum. Quel bonheur c’eût été de les partager avec son nouveau meilleur ami en sirotant un cocktail champagne-rhum. Malheureusement, ces réjouissances avortées laissaient place à une terrible prise d’otage à laquelle lui et son compère espéraient maintenant survivre.

« Allez ! Ne trainez pas, décrochez toutes les toiles et empaquetez-les ! s’exclama Robert. Ce n’est qu’après que nous passerons aux négociations avec les chiens de garde du gouvernement. »

À ces mots, les hommes de main aux ordres de Robert commencèrent à s’affairer, décrochant méthodiquement tous les -merveilleuses- œuvres de ‘Néreu Picassiette’ et son assistant. La délicatesse avec laquelle ils se saisissaient des pièces prêtait à sourire, car aucun d’entre eux ne semblait réaliser qu’ils manipulaient des croûtes de peintres ratés. Quand l’un des révolutionnaires posa ses mains sur « Art sans le voulo'art », un des nobles tenu en joue s’offusqua.

« N’y touchez pas ! Cette toile m’appart… »

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase que sa boîte crânienne explosa sous l’impact d’une balle tirée à bout portant par Robert. Ce fou sanguinaire prouvait une fois de plus qu’il n’était pas là pour plaisanter. Des cris de terreurs et de dégoûts s’élevèrent dans l’immense salle. Kant sentit l’étreinte autour de son cou se desserrer.

« ROBERT ! s’exclama la jeune femme qui neutralisait Néreu Picassiette. Arrête, tout de suite ! Nous ne sommes pas là pour assassiner sauvagement les otages ! Ce n’est pas digne de la Cause que nous servons ! C’est… »

« Tututu… Ma Chère Lin, l’interrompit Robert. Ce ne sont pas des otages, ce sont des oppresseurs ! Des nuisibles ! C’est là, notre vraie mission, notre dignité : éliminer ces raclures. Le sang bleu, c’est fait pour couler. Si tu ne veux pas assister à ce spectacle, poursuis donc ta mission et amène cette raclure de Picassiette chercher son escargophone … »

Face à ce litige entre les deux commandants de la mission, la dizaine de soldats révolutionnaires semblaient désemparés. En réaction à leur stupeur, Robert s’emporta à nouveau, agitant son arme.

« Allez, allez ! Bougez-vous ! »


    À l’autre extrémité de la salle, Lin Rivest dite « La Transfuge » était furieusement irritée par le comportement de son confrère. Cette ancienne commandante de la Marine tombée en disgrâce était certes acquise aux causes révolutionnaires, mais elle ne supportait ni la cruauté ni la violence gratuite. Malheureusement, le barbare avec qui elle était chargée de mener cette opération de vol et de séquestration était l’un des pires bourreaux imaginable et elle n’avait aucun contrôle sur lui. D’un geste brusque, Lin poussa Kant derrière le rideau et l’amena dans l’arrière-salle en direction des loges. Elle le maîtrisait toujours et le forçait à avancer dans le couloir, suivie de près par un homme sous ses ordres.

« Picassiette ! Où est ta loge ? Tu vas me remettre ton escargophone, nous allons l’utiliser pour négocier les conditions de ta libération et de notre fuite avec la Marine. »

Malgré toute l’autorité et la violence dont elle faisait preuve, Kant discerna un certain calme et une douceur dans sa voix. Il indiqua la porte de sa loge. Le révolutionnaire sous les ordres de Lin ouvrit la porte et ils pénétrèrent tous les trois dans la pièce.

« Vous pouvez me lâcher, maintenant, soupira Kant. Je ne partirai pas bien loin dans ces conditions… Laissez-moi fouiller dans mon sac, je vais vous donner ce que vous voulez. »

Conciliante, Lin relâcha son étreinte et permit à Kant de fouiller dans son sac. Il se disait, las, que les révolutionnaires de tous les bords lui causaient décidément bien du tort, qu’ils soient amis ou ennemis. Une fois de plus, quoi qu’indirectement, la Cause l’appelait au tombeau. Combien de fois devra-t-il mourir pour ses beaux yeux avant qu’elle ne le laisse enfin vivre ? Empoignant fermement une fiole dans son sac, Kant se promit de réfléchir à ces questions s’il parvenait à survivre à cette prise d’otage. D’un geste vif, il sortit le nez de ses affaires et balança une fiole sur ses deux geôliers. Le récipient de verre se brisa sur le visage de l’homme de main, libérant une poudre colorée qui se répandit en un nuage. Les deux révolutionnaires éternuèrent et furent pris de violentes nausées. C’était la première fois que Kant utilisait sa technique Ōto Geri, cet extrait de diverses plantes émétiques et laxatives avait pour effet de rendre la cible l’inhalant nauséeuse et de provoquer des crises de vomissements et de lientérie. Il espérait sincèrement ne pas voir la jolie « Transfuge » se faire dessus, car cette image eût été à même d’abîmer les illusions fantasmagoriques qu’il entretenait à propos du corps féminin. Après avoir récupéré sa ceinture, son arc, son carquois et ses ciseaux, il s’éclipsa d’un bond et faussa compagnie aux deux nauséeux. En face de sa loge se trouvait celle d’Alegsis et il eut la présence d’esprit de récupérer le gros pinceau avec lequel il l’avait vu faire des miracles à la taverne où ils s’étaient rencontrés. Soudain, des coups de feu retentirent, suivis de nombreux cris et d’un silence pesant. Kant pria fort pour que son compère n’ait pas, en plus de ses gigantesques narines, d’énormes trous au milieu du visage.

    En traversant à nouveau le couloir, Kant aperçut l’homme de main encore allongé dans sa loge, mais Lin n’y était plus. L’odeur nauséabonde des déjections était quant à elle était bien présente. À pas de loup, il se dirigea vers le rideau et passa un œil à travers : une mare de sang recouvrait le sol de la grande salle d’exposition. Au fond, neuf des dix hommes de main étaient regroupés, toiles en mains, stoïques et apeurés. Sur le sol gisaient trois cadavres supplémentaires, des nobles. Malgré cet horrible spectacle, Kant remercia le ciel de ne pas voir le corps d’Alegsis parmi les macchabées. Ce dernier était cependant étendu au sol et Robert avait le pied posé dessus, sabre en main. Soudain, Robert s’adressa à l’assemblée terrorisée :

« Et voilà le monde débarrassé de trois ordures supplémentaires ! Maintenant que nous avons les tableaux, nous n’avons plus qu’à attendre Lin pour organiser le massacre et nous enfuir ! En attendant d’écorcher vif ce déchet de Picassiette, délectez-vous du spectacle, camarades ! Je vais… »

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un gigantesque pinceau le heurta en pleine tête. L’ustensile rebondit au sol, devant Alegsis. Dehors, la Marine s’était attroupée en masse, cernant l’établissement.
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Le tout pour le tout, c’est ce qu’il se jouait dès à présent. L’arme de prédilection du chasseur de primes, enfin, revenait à son maître. Celui-ci se trouvait néanmoins en piteuse posture, la joue toute écrasée sous la semelle du ravisseur après qu’il lui eut demandé, par bête curiosité, si on appelait la Révolution « la Révolution » parce que qu’elle était révolue ou bien parce qu’elle était un rêve. L’étymologie, c’était pas son truc et des révolutionnaires, il s’en trouvait pas tellement pour croiser sa route au quotidien. Même que pour un peu, ceux-là avaient tendance à le fuir, lui et son engeance de stipendiés du G.M. Aussi Alegs s’était-il figuré que l’occasion faisait le larron et qu’aucune autre circonstance ne fut mieux désignée que celle-ci pour poser sa question. Quelque peu enfiévré par ce qu’il avait considéré comme une provocation, Robert, la paupière tremblante et les dents serrées, avait vidé son mousquet sur le gratin afin de se passer les nerfs. Il ne faisait jamais bon laisser un névropathe en compagnie un garçon aussi énervant que celui dont il écrasait maintenant la gueule sous sa botte.

- « Ça répond à ta question ?! » Avait-il éructé ensuite fou de rage.

- « Bah pfas vfraiment en fait. » Rétorqua au mieux le chasseur de primes sous le pied du pillard.

C’est de là qu’Alegsis, jusque là relativement apathique malgré la gravité de la situation, commença à avoir les yeux pétillants. Son pinceau géant, après avoir heurté une tête qui traînait là, on le lui avait jeté juste devant…. puis il avait glissé encore plusieurs mètres plus loin tandis que tous, avec une expression morne et imperturbable, avaient vu l’ustensile passer sous le nez de son maître. Les têtes, dans une parfaite synchronicité, se tournèrent toutes en direction de celui qui avait si joliment réussi son lancer. Il avait l’air bête, maintenant, le père Kant. Il fallait briser ce silence oppressant, et jamais avare de répliques dispensables, Alegsis crut sauver l’honneur en y allant de son commentaire.

- « Je t’avais dit qu’on avait trop ciré le parquet. »

Eux deux, le vernissage, ils l’avaient pris au sens premier du terme. Car Kant, de toute sa sapience motivée à l’éthanol, avait largement insisté sur la nécessité de passer un enduit ; que c’étaient des choses qui se faisaient à cette occasion.
L’illettrisme, parfois, on en mourait. Et bêtement en plus.

Ses yeux maintenant si écarquillés que ses arcades s’effaçaient maintenant presque derrière ses globes oculaires, Robert avait senti passer le coup venu le heurter. Son estime fut la plus estropiée dans l’affaire alors que ses hommes, comme ses otages, avaient été témoins de la honte qui fut la sienne.
Un main derrière le crâne, l’autre résolument serrée autour de la crosse de son mousquet, il toisait à présent Picassiette de son regard de fou. Se détournant à présent de celui-là même sur lequel il avait tant aimé apposer son joug, sa botte quitta efin le visage d’Alegs pour effectuer quelques pas lents et oppressants en direction de ce qui s’était improvisé comme son agresseur.

- « Est-ce que tu viens…. À L’INSTANT… de me balancer un balai en pleine gueule ? »

C’était une question apparemment rhétorique qu’il posait là.
Son arme maintenant pointée en direction de l’importun – un chieur au sens littéral du terme à en juger ce qui avait maculé les sous-vêtements de dame Rivest – Robert se résignait à tuer celui qu’il s’était pourtant juré de garder pour le dessert. La gâchette fut enclenchée, le chien percuta le silex et… le « clic » qui succéda à l’engrenage fit à nouveau passer le révolutionnaire pour une andouille devant l’assistance gênée. Certains même s’éclaircirent la gorge quand d’autres, plus pudiques, et ne souhaitant pour rien au monde croiser le regard du furieux, avaient détourné les yeux.
À trop se défouler sur la haute-société, les munitions avaient fini par lui manquer. Un de ses globes oculaires manqua de lui sortir de l’orbite tant il s’énervait de la cascade de ridicule qui n’en finissait plus de s’abattre sur lui.

- « Lai… laissez-le-moi ! » Ordonnait-il à ses hommes tandis que, maladroitement, il rechargeait son arme.

Son calvaire, cependant, ne connaissait aucune halte. Le honteux coup de « balai » dont il fut victime quelques instants auparavant n’était rien en comparaison de l’assaut qu’il subit ensuite. Affairé qu’il était désormais à triturer son mousquet, on avait profité qu’il fut distrait pour lui administrer une grande claque sur le cul. L’assemblée avait assisté à la scène la bouche grande ouverte.
« On », avait un nom, mais par les temps actuels, il aimait à se faire appeler Juste Gropinsso.

- « Quand c’est ferme comme ça, ça veut dire que t’es trop tendu. »

Obsédé qu’il fut par l’idée de se venger de l’affront précédent, Robert avait oublié jusqu’à l’existence même du crétin sur lequel il se tenait partiellement debout il y a encore peu de temps. Un crétin des plus avenants, alors que celui-ci souriait innocemment, ses gros yeux remplis d’une stupidité bienveillante, s’était permis de lui mettre la main au panier. Robert s’était ensuite lentement tourné dans sa direction et, à ses hommes situés derrière lui, leur avait dit le plus calmement du monde, presque en gémissant :

- « Lui en revanche, vous pouvez le buter. Vite. »

On dégaina ici et là et, sans trop se faire prier davantage les premières salves fusèrent… pour toutes atterrir dans le séant de leur maître. Le cul maintenant littéralement plombé, Robert commença à trouver la journée particulièrement longue alors qu’il s’effondra dans un râle de douleur déchirant.

- « TRAÎTRES ! » S’était-il légitimement exclamé alors que plusieurs de ses hommes lui avaient tiré dessus.

- « Héhé, dans le cul. Avait cru judicieux de commenter Alegsis qui, lui, ne parut pas surpris de l’affaire. Bien joué les gars, avait-il scandé aussitôt le pouce levé, un clin d’œil adressé en direction de ceux qui avaient tiré. Il a rien vu venir. »

Pour un retournement de situation, c’en était un que personne n’avait suspecté. Gropinsso aurait eu des hommes à lui infiltrés dans le contingent révolutionnaire ? C’était inattendu. C’en était si surprenant que les traîtres présumés furent apparemment les plus étonnés de l’apprendre. La stupeur, pour eux, n’avait été cependant que de courte durée. Leurs acolytes, qui quant à eux n’avaient pas eu le temps de tirer sur Alegis, réorientèrent la visée de leur arme sur ce qu’ils tenaient à présent pour des traîtres.

- « P...pourquoi vous lui avez tiré dessus ?! »

- « Mais on n’a pas fait exprès ! Juré ! C’est parti tout seul. »

L’excuse avancée, considérant la tension ambiante, ne pouvait que passer pour une mauvaise blague. Une en tout cas qui n’avait pas fait rire leur chef.

- « ARRÊTEZ DE TERGIVERSER, BON SANG ! Grognait Robert au sol, prostré dans la douleur et l’humiliation. BUTEZ-LES QU’ON EN FINISSE ! »

Se faire percer quatre nouveaux trous du cul, pour l’heure, l’avait rendu quelque peu acariâtre. Toute issue diplomatique bouchée en conséquence, les sbires s’admonestèrent à feu nourri sans trop plus savoir sur qui tirer. Planqué quant à lui derrière une table qu’il avait renversée pour l’occasion, au milieu de la poudre et des projectiles de plomb et d’acier, Alegsis fit dépasser jusqu’à son nez de derrière son rempart de fortune et, démesurément jovial malgré les circonstances houleuses, agita la main pour faire un « coucou » à son copain s’étant quant à lui mis à l’abri de l’autre côté du champ de bataille qui venait de se dresser entre eux.
Au creux de la paume qu’agitait bêtement le chasseur de primes, on put y apercevoir un sigle rouge. Un qui avait de quoi être familier à son complice, puisque celui-ci avait vu le même apposé sur les vêtements de Picassiette ; du vrai. À peu de choses prêt que ce symbole-ci était à présent peint en rouge et dessiné à l’envers.

Sans gouache ou pinceau, Alegs, présenté à pareil état de fait, avait été contraint de ruser au mieux. Le temps que Robert le délaissa pour son ami, il avait, du bout des doigts, trempé index et majeur dans le sang noble des victimes dont Robert avait fait plus tôt trisser l’hémoglobine à trop leur avoir tiré dessus. De là, l’artiste avait dessiné avec le sang versé un signe du Colors Trap représenté à l’envers dans la paume de sa main gauche. Il s’en était par la suite fallu d’une main au cul pour que le signe en question, écrit d’une encre sanguine encore bien gluante, laissa une marque sur la fesse du révolutionnaire : la marque du Colors Trap rouge.

Cette technique-ci, même s’il ne s’était pas senti de crier son nom afin de mieux tromper la vigilance de ses ravisseurs, Alegsis l’intitulait habituellement « Brush Crush : La Vue Rouge » ; manœuvre du répertoire Colors Trap qui conduisait toute intention violente à cibler la marque rouge pour peu que celle-ci captait leur regard. De là était née la traîtrise spontanée d’une partie du camp révolutionnaire sans que celle-ci n’en eut jamais conscience.

Ça canardait en dedans comme en dehors. La marine n’avait pas voulu se trouver en reste et, à son tour, avait généreusement dispensé ses cartouches. Pas en direction de la galerie cependant – ils auraient alors tué indistinctement révolutionnaires et civils – mais en l’air. À bien y regarder par la fenêtre, dans un caisson tracté par un Ballon Pieuvre gavé d’air chaud, Lin avait décampé depuis le toit avec un homme de main, toisant maintenant les cieux pour s’émanciper à la fois de ses compères gênants et d’une autorité qui l’était tout autant. Sans doute avait-elle trouvé son partenaire trop encombrant pour le convier au voyage.

Au milieu du tumulte et des balles qui s’en finissaient pas de siffler, Alegsis, émergeant à nouveau prudemment de derrière sa table, chercha à apostropher le meneur révolutionnaire. Celui-ci gisait au sol, rendu pitoyable à se tortiller dans la douleur.

- « Pssssst ! Bebert ! Psssssst ! Persistait le chasseur de primes jusqu’à ce qu’il capta le regard furieux de la bête, Il a franchement de la gueule ton plan d’évasion ! » Avait-il ajouté, sincèrement impressionné par la manœuvre en lui brandissant son pouce à lui aussi.

N’osant trop comprendre ce qu’il venait d’entendre, le zélateur révolutionnaire, hagard, aperçut à son tour sa complice mettre les bouts avec le pactole. Son mal de cul l’accablait maintenant aussi bien au sens littéral que figuré. À présent qu’ils s’étaient trouvés suffisamment hauts perchés pour échapper aux balles, Lin Rivest et son loufiat, bien que rendus chiasseux au dernier degré, avaient toutefois réchappé à la folie de leur camarade, des « trésors artistiques » pleins les mains.

Dans la galerie, fautes d’hommes d’abord et de munitions ensuite, on en avait enfin fini de se faire la guerre.
Ingénu, presque mignon s’il n’était pas en réalité si idiot, Alegsis demanda enfin :

- « C’est bon ? C’est fini ? Non je demande parce que... faut vraiment que j’aille aux toilettes, là. »

C’était presque dans un bruit de chiotte que se concluait la prise d’otage. La poudre de Kant y avait été pour beaucoup dans l’affaire, mais les aspirations révolutionnaires avaient elles aussi pas mal contribué à rendre l'exposition plus merdique encore.
Techniques utilisées:
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    Kant l’avait deviné, son nouveau camarade avait le don de transformer les situations les plus périlleuses en fantasques pantalonnades. Les trous de balles de Robert en témoignaient. Quand les tirs cessèrent, les nobles recroquevillés redressèrent le bout de leur nez et constatèrent qu’il ne restait plus que deux preneurs d’otages. Confus et mal dirigés, les hommes de main de Robert s’étaient entretués tandis que « La Transfuge », embarrassée par ce fiasco, avait pris la poudre d’escampette en emportant avec elle la précieuse collection d’œuvre. Surgissant de l’arrière-salle, Kant se précipita vers Alegsis.

« Jubtion ! s’exclama-t-il, enjoué. Je sais pas si t’es un diable ou un génie, en tout cas, je suis content de t’avoir à mes côtés ! Surveille celui-là, je vais m’occuper des deux autres. »

Bien que neutralisé, ce sanguinaire fou de Robert ne pouvait être laissé sans surveillance, qui sait jusqu’où il aurait pu ramper, le cul ainsi plombé ? Laissant cette charge à son complice, Kant se dirigea vers l’entrée de la galerie où se tenaient, tremblotants, deux révolutionnaires désemparés. Il se saisit d’une flèche et l’encocha, banda la corde de son arc et mit en joue les preneurs d’otages.

« Maintenant, vous avez le choix ! Décamper, ou finir comme vos camarades ! »

Les nobles amassés derrières Kant, déjà surpris que Néreu Picassiette soit ainsi armé, ne comprirent pas qu’il puisse faire preuve de clémence. L’usurpateur n’était tout simplement pas capable d’exécuter sommairement qui que ce soit, et surtout, il se sentait bien plus proche des preneurs d’otages que des otages eux-mêmes. À l’instant où les révolutionnaires jetèrent leur arme déchargée au sol, la porte méticuleusement bloquée derrière eux s’effondra subitement, soulevant un épais nuage de poussière. Puis, à une vitesse déconcertante, un sabreur surgit à l’intérieur de la salle et se dirigea tout droit sur Kant. Surpris, ce dernier décocha sa flèche qui fut balayée d’un coup de sabre.

« Plus un geste. »

Le pauvre Kant qui se croyait sorti d’affaire quelques secondes plus tôt était désormais tenu en respect par la pointe d’un sabre qui menaçait de se planter dans sa gorge. L’homme qui le tenait en joue était le colonel de la Marine Bava Aok, redoutable bretteur venu mettre fin au coup d’éclat révolutionnaire. Par le passage qu’il avait lui-même découpé dans l’entrée, des dizaines de soldats armés s’engouffrèrent, pointant leurs armes çà et là, prêts à ouvrir le feu. Les nobles, jusqu’alors figés comme des pierres, se mirent en branle. L’expression sur leur visage avait changé, ils se savaient en sécurité et la peur fit place à la rage. L’un d’eux sortit du rang et éleva la voix.

« Mais que faites-vous, bon sang ? s’exclama-t-il avec dédain. Colonel ! Laissez ce malheureux Picassiette, occupez-vous d’eux ! »

À ces mots, il désigna les deux révolutionnaires prostrés et Robert encore étendu au sol. Bava Aok fit une moue dubitative. Le colonel semblait quelque peu surpris qu’un soi-disant artiste soit armé de la sorte, d’autant qu’il n’avait jamais vu Néreu Picassiette auparavant et qu’il n’était donc pas en mesure de confirmer son identité. Cependant, le ton employé par le nobliau semblait faire son effet, comme si les exigences de ce dernier étaient en tout point prioritaires. Rapidement, les soldats de la Marine passèrent les fers aux bras des deux preneurs d’otages puis les exfiltrèrent. Le colonel fixait Kant dans les yeux et y décela peur et hésitation. Finalement, il abaissa sa lame.

« Colonel, soupira Kant, en tentant de retrouver son calme. Colonel, vous voilà enfin ! Quel malheur, que dis-je, quel désastre ! Ces individus ont débarqué de nulle part à la fin de notre exposition ! Ils ont assassiné nos convives ! Enfin, surtout lui ! »

Il se retourna pour montrer Robert du doigt et aperçut Alegsis agenouillé à côté de lui, discutaillant comme si de rien n’était.

« Celui au sol, pas l’autre, hein. L’autre c’est mon assistant, c’est d’ailleurs grâce à lui que nous sommes toujours en vie ! Ô mon colonel, c’est vraiment cool… enfin, je veux dire, c’est très honorable à vous d’intervenir. Si vous le voulez bien, nous… nous allons nous retirer dans nos loges afin de nous remettre de nos émotions. »

Sans quitter le colonel des yeux, Kant recula à petits pas. Les nobles commencèrent à s’agiter, exigeant des soldats qu’on exécute sur-le-champ ceux qui avaient osé s’attaquer à leur personne et plus encore, à leur statut. Le colonel tenta de calmer la cohue générale. Profitant de cet instant, Kant accouru vers Alegsis.

« Jubtion ! murmura-t-il. Taillo, termanido, on y va, on file ! Il m’a fait désaouler en instant celui-là, avec son regard perçant ! J’ai peur qu’il nous démasque ! Si la Marine nous choppe, on est bons pour, pour… Je veux même pas y penser ! Bref, viens ! »

Entraînant son camarade par le bras, les deux complices s’éclipsèrent au fond de la grande galerie. Ils récupérèrent rapidement leurs possessions dans leur loge respective et se ruèrent vers la sortie de secours. C’est ainsi que disparu des radars le célèbre Néreu Picassiette et son assistant, après une exposition artistique que le gratin du Royaume de Bliss n’était pas prêt d’oublier.


    Le crépuscule s’annonçait. Tel l’irresponsable enfant qu’il était, Kant sautillait sur le gigantesque lit de la chambre, tandis qu’Algesis découvrait le mini-bar. Grâce à leurs nouveaux moyens pécuniaires et afin de se reposer d’une journée bien trop riche en émotion, les deux compères s’étaient offert une suite de luxe dans une célèbre auberge de Port-gentil. Si ce grand lit propre et douillet fascinait Kant au plus haut point, il ne pouvait s’empêcher ruminer, pensant au colonel Aok, au sang versé et aux possibles conséquences de leur escroquerie. S’arrêtant un instant, il se posa sur le lit et s’adressa à son compère.

« Tu sais Jubtion… J’ai tendance à penser que t’es un peu magique. Qu’est-ce que tu comptes faire, maintenant ? Rester à Bliss ? Moi, ça me fou un peu les jetons... »

Puis, comme rassuré par l’émerveillement de son ami devant le mini-bar, il enchaîna, enjoué :

« Enfin ! Tu sais quoi, ça presse pas ! Lâche le mini-bar, on va descendre à la réception, j’ai vu qu’ils servaient des cocktails hors de prix ! Ce soir, on célèbre ! »
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Ah le chasseur de primes l'avait remarquablement bien surveillé, Robert, avant d'y mettre les bouts avec l’ami Kant. Même qu’il avait été le voir de plus près afin de converser avec. À le voir s’approcher, le grand blessé étalé au sol, même avec une fesse crevée, avait cherché à s’enfuir en courant pour s’effondrer aussitôt. Faute de ne pas pouvoir le distancer, il allait devoir le subir davantage alors que l’illustre couillon qui avait causé sa perte s’accroupissait maintenant devant lui. De là, la discussion avec son bourreau était inéluctable, rajoutant ce qu’il fallait d’infamie à sa peine.

- « Ce… c’était pas un balai. »

Il avait de curieuses manières de débuter les conversations, Alegsis. Et c’était là son moindre défaut.
Sans évidemment comprendre de quoi l’entretenait ce parfait crétin, le révolutionnaire affaissé ne répondit qu’avec une grimace perdue entre l’agonie et l’incompréhension flagrante de ce qui lui parvenait aux esgourdes.

- « Ce que t’a jeté mon copain tout à l’heure, c’était pas un balai. C’était un pinceau. Un gros pinceau. J’ai rien voulu dire sur le moment vu que t’avais l’air un peu en rogne, mais voilà. Concluant son apostrophe avec ce sourire de gamin fier de lui, Alegs sentit comme un poids se soutirer son âme meurtrie. Cette précision d’usage, elle lui avait tenu à cœur. Maintenant tu sais. Confonds pas à l’avenir. »

Sa rectification super-superfétatoire, il l’avait conclue en tapotant sur l’épaule de Robert avec la sollicitude franche d’un rustaud qui eut passé pour de la condescendance si on n’avait pas pas su son auteur si stupide. Désormais libéré et soulagé d’avoir ainsi pu préciser ce qui lui avait tenu à cœur tout le temps de la fusillade au point de constituer sa seule préoccupation, Alegsis s’en allait maintenant avec sa gueule niaiseuse retrouver son cher ami venu l’entraîner vers d’autres imbécilités par une porte dérobée. Non-contents d’avoir marqué leur époque, les deux guignols avaient pudiquement choisi l’entrée des artistes pour assurer une sortie précipitée. Kant avait eu l’idée. Des deux, il était l’intellectuel de la bande ; ce qui situait le potentiel cognitif de leur duo pour ce que celui-ci avait d’alarmant.

Robert était resté halluciné jusqu’à se retrouver finalement traîné par la Marine venue le charger sur un brancard.

- « Des débiles… gémissait-il enfin, son regard porté vers les cieux alors qu’on le convoyait vers l’hôpital militaire, j’ai été vaincu par deux débiles. »

La Révolution elle-même, dans tout ce qu’elle avait d’ardente, avait été soufflée par la flamboyance d’une amitié légendaire, née il y a peu dans les avenues de Bliss. L’amitié de deux homme qui, si l’on s’échauffait à la radiance qui émanait d’eux lorsqu’ils étaient réunis, vous faisait plonger aussitôt dans des abysses de tourments stupides jusqu’à ce que le noyade s’ensuive. Robert, lui, la tasse, il l’avait bue. Et copieusement.
Vu de l’extérieur, le tandem Kant-Alegs, c’était pas de l’amitié : c’était un fléau ; une affliction du dieu des abrutis. Et « l’affliction », déjà, s’en était allée s’agiter plus loin, dans des quartiers cette fois plus huppés.

Leur aventure, en effet, comme tous les périples entrepris quand on était deux bons camarades après que se soit nouée entre eux une rude et solide amitié, s’était évidemment terminée… à l’hôtel. L’idée, encore une fois, était de Kant. Il buvait beaucoup l’homme-là. De trop, même. Assez en tout pour suppléer et même parfois doubler Jubtion dans la course à la plus grosse ânerie du moment. Ce qui, en soi, n’était pas une mince affaire sans être pour autant un franc mérite. Ils s’étaient donc innocemment retrouvés à la réception pour exiger qu’on leur accorde promptement une chambre où s’y faire plaisir. « La plus chère » avaient-ils demandés. Ce fut donc vers la suite nuptiale qu’on les conduisit et dans laquelle ils s’engouffrèrent fougueusement, faisant grincer le lit aussitôt la porte fermée derrière eux. Kant aimait bien sauter sur les lits. Autant que son comparse se plaisait à goûter tout ce qui lui passait à la portée du bec, se pourléchant du goulot de chaque bouteille avant de les jeter aussitôt.

Puis, soudain figé comme un merlan mort qu’on aurait électrisé, ses yeux grands ouverts, Alegs eut comme un semblant de trouille à entendre derrière lui bavasser son ami, celui-ci étant allongé lascivement sur l’unique plumard de la piaule qu’ils partageaient. Il était là, le bon Kant, dans son dos, à lui parler nerveusement et à lui dire qu’il était un garçon « magique », même à lui demander ce qu’il comptait faire ensuite. Pour peu qu’on eut de l’imagination, y’avait comme une connotation dans les termes ; une qui faisait serrer les fesses très fort à Alegsis. La poudre-à-dodo, son bon ami, il l’avait vu en faire usage avec le tout venant quelques jours auparavant ; à lui aussi ça pouvait lui rentrer dans les narines. Ses suspicions furent toutefois de courte durée alors qu’il fut bien vite convié à la picole mondaine. Il était pourtant pas sortable, Alegs, mais les deux s’étaient tant plu à parader en tandem qu'ils en étaient devenus inséparables. Il voulait plus le quitter, son copain.

Les deux zouaves avaient alors débaroulé hors de leur chambrée comme une tornade tumultueuse et bordélique, trébuchant dans les escaliers, occupés à rire – et parfois à se mordre – jusqu’à ce qu’il parvinrent au somptueux restaurant jouxtant la réception. Leur entrée fut remarquée pour bruyants et exubérants qu’ils étaient. Les cataclysmes de leur espèce, pareils aux éruptions volcaniques et autres tsunamis, avaient ce point commun d’être particulièrement audibles et difficiles à ignorer. Les « Waouh » et « Purée ! » de pignoufs mal dégrossis eurent la part belle tandis qu'ils arpentaient les carrelage marbré comme deux touristes sortis de leur bouge.
Ce qu'ils étaient au demeurant.

- « Pfiouuuu ♪ Elle a quand même de la gueule leur cantine à eux. »

« À eux » avait précisé le giboyeur des bas fonds qui, parce qu’il savait d’où il venait, opérait d’instinct une nette distinction entre sa caste et celle des bels gens qu’ils venaient de déranger par leur présence importune. Arrivés comme deux animaux idiots et agités, les regards environnants, le plus naturellement du monde, s’étaient posés sur eux avec, dans la prunelle de chacun, une froide hostilité aphone. Certains se seraient sentis embarrassés à ce qu’on les toise ainsi, et cela, parce qu’ils n’avaient pas la chance d’être aussi sans-gêne que le duo venu se radiner dans la bêtise et le vacarme.

- « Ouais… c’est beau. Je dis pas, t’as peut-être raison. Tergiversait le plus crétin des deux quand son compère l’entretenait de la magnificence des lieux. N’empêche que ça manque de dessins. »

Le barman, autrement plus classieux que le tavernier qu’ils avaient fréquenté quelques jours auparavant, ne les quittait pas de ses petits yeux méfiants tandis qu’il essuyait les verres au point de les polir comme du cristal. Ses mirettes plissées manquèrent soudain de lui échapper des orbites quand, après avoir esgourdi discrètement les commentaires critiques du plouc, ce dernier s’était aussitôt saisi à pleine main de son immense pinceau en approchant d’un pas résolu vers le mur.

- « Mon… monsieur… ! Interpella-t-il immédiatement l’idiot en s’efforçant d’être le plus courtois possible malgré l’outrance de la présente situation. Je me fais le relais de la direction lorsque je vous dis que nous ne souhaitons pas que la décoration murale soit rénovée. Aussi… si vous pouviez éloigner votre balai de... »

- « Non mais c’est gratuit, hein ! » Répliqua spontanément Alegsis qui, persuadé de bien faire, se permettait en plus d’insister d’un ton gaillard et jovial, absolument certain de leur rendre service en agissant comme il le faisait.

L’assistance était outrée, à le faire savoir de ses « Ah » et ses « Oh » somme toute aristocratiques en apercevant ces nouveaux riches apparemment disposés au vandalisme caractérisé.

- « Vous inquiétez pas, on des artistes professionnels, on va vous faire ça vite et bien. » Persistait le chasseur de primes alors qu’il se tournait à nouveau vers le mur.

Derrière son bar, le responsable se sentit défaillir. User du mousquet sous le comptoir sur les malotrus ? C’eut été franchement idoine que d’y avoir recours. Mais le sang, lui aussi, aurait salopé murs et carrelages. Alors s’il ne pouvait pas verser l’hémoglobine, le barman, en désespoir de cause, laissa s’écouler quelques nectars moins épais dans deux verres disposés prestement devant lui.

- « Ne… ne préféreriez-vous pas plutôt vous essayer à quelques collations offertes et très chargées pour vous calmer afin de mieux profiter de votre séjour parmi nous ? »

Pointant d’un bras seulement son pinceau grand comme une lance en direction de celui-là même qui cherchait à les soudoyer pour prévenir le pire, un visage grave et déterminé sur sa vilaine bouille, on crut Alegsis un instant inflexible, incorruptible dès lors où l’art était de rigueur. Du moins jusqu’à ce que sa gueule, après une courte et rudimentaire réflexion, retrouva sa contenance habituelle, joviale et hébétée. Son arme rangée dans son dos, il se tourna vers Kant, en lui disant bien fort – par manque de tact :

- « Ah ! Tu vois que c’est pas TOUS des abrutis ces gens-là. Faut pas les juger à leur apparence que je t’ai toujours dit. Même s’ils ont vraiment tous l’air de gros nazes, on va pas se mentir jeri-hi-hi. »

Le « Ces gens-là » fit grincer des dents alors que l’assistance se savait toisée et prise de haut par ce que tous, installés qu’ils étaient à leur table, tenaient pour ce qui existait de plus bas et de plus vil. Depuis leur rencontre, Kant avait en effet – et à plus d’une reprise – abondamment dégoisé sur le petit peuple de la noblesse et de ses stipendiés. En philosophe et économiste avisé, Alegs lui avait quant à lui savamment porté la contradiction en lui soutenant que sans nobles, il n’y aurait pas de gens en colère, donc moins de révolutionnaires et moins de personnes avec une prime sur leur tête. Ce qui, selon lui, aurait été désastreux pour l’économie. La sienne en l’occurrence.
Bien rapidement posés sur leur tabouret devant leur godet si libéralement servi, Kant s’était saisi du journal local à sa droite. Son binôme avait cru l’entendre jurer entre ses dents quelques commentaires sur la propagande aristocratique sans trop toutefois y prêter garde. Mais au milieu de ses velléités modérément révolutionnaire, Kant fut tempéré ; pétrifié par ce qu’il avait pu lire dans la presse réactionnaire. Eut-il eu le temps d’être bourré en ce début de matinée qu’il aurait vraisemblablement dégrisé dans l’instant.

- « Bah qu’est-ce que t’as ? Ils ont quand même pas mis une prime sur ta mère ?! Alegsis ne regardait jamais que les primes dans les journaux. Je dis ça, parce que moi ça m’est déjà arrivé une fois. Olala, la mauvaise ambiance à la maison après que je l’ai capturée, t’as pas idée ! Tout ça parce qu’elle avait volé la cargaison d’un pêcheur qui avait pêché dans notre carré. Du coup, après qu’elle soit sortie de prison, ma maman elle m’a confisqué mes 100 000 berries de prime. Ça va, deux mois à Impel Down, c’est pas non plus la mort. Sauf pour ceux qui y meurent évidemment. De toute façon, les bonnes femmes, faut toujours que ça exagère ! Bon sang, maman… mes sous, quoi! Se morfondait-il tout seul à épiloguer sur ses errances imbéciles pour se ressaisir aussitôt sa nouvelle gorgée de rhum engloutie.

Kant lui refila le canard sans même tourner la tête, ce qui suscita alors des réactions angoissées chez le chasseur de primes intrépide assis à sa gauche. Celui-ci, de ses mains tremblantes, son visage en sueur, porta le journal à ses yeux en s’exclamant mollement et sans une bribe de conviction crédible dans la voix.

- Oh la la !.. Toutes ces journalités dans le journal ! La journalitude, on dira ce qu’on veut, mais c’est vraiment impressionnant. Ah ils en écrivent des mots ces gens-là. Pleins. Même que ça forme des phrases qui veulent dire des trucs. Des trucs vachement importants dont je… dont je prends connaissance. Oh la la, oui, je me sens connaisseur tout d’un coup !..

Ainsi ânonnait-il afin de garder la face devant le barman qui, prudent et avisé, n’était jamais très loin de ces deux bêtes curieuses et instables. Puis, brandissant le journal plus haut encore, comme pour s’en servir de paravent, Alegsis se tourna vers son voisin, la gueule toute paniquée et les dents toute dehors pour lui dire d’une voix basse mais excitée :

- Mais enfin, tu sais bien que je sais pas lire !

Il fallut que Kant se fit violence pour lui lire ce qui l’avait anéanti quelques instants auparavant. Pour une fois que la presse parlait vrai, c’était pour les accabler de malheurs. L’article, en dépit de ce qu'il avait de partial incrusté entre les lignes de texte, trouva matière à stupéfier son lectorat.

Article du Journal a écrit:
Vernissage rouge sang à Portgentil

On disait de l’exposition de Néreux Picassiette qu’elle serait révolutionnaire, on ne crut pas si bien dire. La vermine, dissimulée derrière la bannière d’une révolte de bon aloi, aura cette nuit assassiné froidement plusieurs éminentes figures de la noblesse locale pour le plaisir du désordre et de la rapine.

L’aristocratie de Bliss, prompte au mécénat, s’était faite une joie hier soir de couvrir l’événement tant attendu que fut le vernissage des œuvres de Néreux Picassiette, immense peintre et acteur de renom dans le milieu des mondanités culturelles. Tout allait pour le mieux alors qu’on y parlait art et connaissances en escomptant peut-être, un jour, éventuellement, si on y pensait, d’en faire part aux plus humbles.

Les discussions altruistes et philanthropes filaient alors bon train quand, ivres de cruauté et assoiffés d’un sang pur par simple jalousie d'en être dépourvu, les éternels éléments révolutionnaires firent irruption. Les témoins assurent que deux illustres notables au moins périrent ainsi que deux loufiats qui avaient décidément bien mal gardé la porte.

Sans doute drogués au SMILE de synthèse ou trop occupés à renifler la peinture pour stimuler leurs esprits encrassés, les ravisseurs, au nombre de douze, en vinrent toutefois à s’entre-tuer pour la plupart. La Révolution, dans toute sa grandeur, est apparemment si avide de morts qu’elle en vient à faucher les siens au milieu de ses revendications stériles, indécentes et infondées.

Le colonel Bava Aok, chargé de réprimer les factieux et de rétablir l’ordre, aurait déclaré que les deux résidus de cloporte étant parvenus à s’échapper y seraient parvenus en usant d’un Ballon Pieuvre chargé d’air chaud émis depuis un Breath Dial. Considérant les moyens employés, tout prête à croire que des congruences suspectes se seraient nouées entre les effectifs de la Révolution locaux et leurs féaux des Îles Célestes. L’enquête est en cours afin de déterminer l'exact cheminement de ces denrées jusqu'à nos illustres terres. L’un des survivants, Robert Schrökinger – quel vilain nom – est actuellement « interrogé » par les aimables et débonnaires agents du Cipher Pol 2.

Une source anonyme, frayant quant à elle auprès de « La Communauté de l’Ombre », soutient que les œuvres volées – parce qu’ils ont piqué les peintures en plus ces enc grossiers personnages – auraient été écoulées dans la nuit même pour une somme avoisinant les cent millions de berries. Des émoluments honteusement versés à une clique de renégats qui, à n’en point douter, en fera un usage douteux.

C’est à souhaiter que le Gouvernement Mondial renforce sa présence sur l’île et garantisse mieux la pérennité de l’ordre établi – qui quoi qu’on en dise, est très juste et équitable pour nous – afin que la paix demeure dans le Royaume de Bliss.
 

Le conteur, sa tirade achevée, avait alors posé lourdement le journal partisan sur le comptoir. Les deux corniauds, maintenant aussi dépités l’un que l’autre, s’étaient trouvés là, assis et avachis sous le poids d’un regret aussi pesant qu’amer, à regarder devant eux de leurs yeux vides, la bouche restée entrouverte.
Des deux, le premier à sortir de la léthargie fut Alegsis qui, de toute sa sapience, y alla d’un commentaire dont lui seul pouvait avoir le secret.

- « Cent millions de berries…., entamait-il encore blasé. Franchement, ça valait au moins le double ».
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