Après avoir été averti par un homme bégayant tenant une fillette qu'il restait une personne en danger un peu plus loin, Santa éperonna sans éperons son renne. Le galop vif de sa monture lui permit d'arriver rapidement là où il voulait aller.
Le quadragénaire sauta à terre face au lion énorme qu'il avait entendu auparavant. Un jeune homme au grand sourire se trouvait déjà là :
« - Attrape-moi si tu peux, Jozper ! Bwahahaha !
- Rrrraow ! »
Apparemment, le félin avait un nom, ce qui devait dénoter de la grande puissance dont il faisait preuve. Puis Santa se rappela que dans un zoo, tous les animaux étaient nommés. Au temps pour le nom pittoresque donné par les chasseurs du coin, impressionnés par la férocité de la bête, reine de son territoire, et tout et tout.
Sans lui prêter attention, la personne qui distrayait la bête partit en courant dans une direction, le lion à sa suite. La surprise figea l'Envoyé de l'Esprit de Nowel, qui cligna des yeux comme un hibou. Il leva la main comme pour leur dire de l'attendre mais aucun mot ne franchit ses lèvres.
Quand son cerveau se remit en marche, un petit « Ho ! Ho ! Ho ! » résonna dans sa tête. Il remonta sur son renne, qui l'avait gentiment attendu, et lança le trot. Son point de vue surélevé lui permit de rapidement retrouver le duo de tête.
Il les rattrapa à hauteur des portes du zoo, et comprit alors pourquoi les marines n'avaient toujours pas fait irruption pour calmer, organiser et régler la situation. Les quelques civils encore coincés là se tassèrent contre la porte en voyant le gros lion passer devant eux, sans leur accorder un regard.
En tout cas, Santa nota qu'ils étaient en train de communiquer avec les gens à l'extérieur, visiblement sur les moyens d'ouvrir des portes. Quelques scies, vraisemblablement lancées par les marines, gisaient autour des bambous, les ayant à peine entamés.
Ils avaient manifestement essayé de couper le bois de la manière habituelle, avec des outils, sans succès. Le quadragénaire décida de s'adresser aux forces de l'ordre.
« - Bonjour ?
- Oui ? Qui est-ce ?
- Je suis Santa Klaus.
- Ah-ha ! Vous êtes un des terroristes qui ont attaqué le zoo ?
- Quoi ?! Mais non, pas du t...
- Vous voulez vous rendre, c'est ça ? Vous avez vu que votre affaire partait à vau-l'eau ?
- Absolument p...
- Oui, je m'en doutais. On vous négociera ptet une remise de peine, si on est de bonne humeur.
- Ecoutez-moi, deux minutes, d'accord ?
- Vous avez des otages, c'est ça ? La situation ne fait qu'empirer...
- Ho ! Ho ! Ho ! Il ne semble pas vouloir m'écouter...
- Hoy, Cap'taine ? Intervint un des civils, reprenant ses esprits.
- Oui ? Vous êtes un des otages ?
- Euh, ouais, nan. On est pas des otages, en fait.
- Comment ça ? Que s'est-il passé ? Vous avez vaincu le preneur d'otages ?
- A propos de ça, y'a pas d'otages, c'était juste un type qui passait par là et voulait vous causer.
- Ah-ha ! Serait-ce le syndrome de Stockholm ? Je vois, je vois...
- Mais pas du tout, putain !
- La situation se complexifie à vue d'œil...
- Il bite rien, ce con !
- Bon, monsieur le preneur d'otages, restez calme, d'accord ? Ne vous énervez pas, ne tuez ou blessez personne ! Quelles sont vos demandes ?
- Mais c'est paaaas un preneur d'otages, bordel ! Il nous donne un coup d'main !
- C'est ce qu'il vous fait croire, ça ! »
A ces mots, l'homme qui avait pris la parole pour venir en aide à Santa se tourna vers la porte et fracassa sa tête contre celle-ci, exprimant son désespoir le plus profond à l'aide de la version évoluée du facepalm, le wallpalm.
« - Bon, c'est pas une lumière, mais on va essayer de lui expliquer, m'sieur Klaus.
- Appelez-moi Santa.
- J'imagine que vous allez repartir à la poursuite du gros matou ?
- Oui, probablement. Ce doit être le mieux à faire pour le moment.
- Ouais, sûrement.
- Il faudrait ouvrir les portes. Vous avez essayé de creuser autour des bambous pour les déloger ?
- Nan, on va faire ça, du coup. Doivent être disposés à nous envoyer d'autres outils, de l'autre côté.
- Ah ?! Vous croyez qu'on va armer des terroristes preneurs d'otages ? Vous vous fourrez l'doigt dans l'œil jusqu'au coude, mon bon monsieur !
- Capitaine ! Le manuel dit qu'il faut jamais contredire les preneurs d'otages !
- Ah euh... Mince ! Euh bah, patientez, on va voir ce qu'on peut faire, okay, m'sieur l'preneur d'otages ?
- Ho ! Ho ! Ho ! Il est fatigant, hein ?
- Plutôt, ouais.
- Si creuser ne suffit pas, je reviendrai avec le renne pour vous donner un coup de main après m'être occupé du lion, d'accord ?
- Va pour ça, Santa. Bonne chance.
- Merci, vous aussi.
- Vous allez vous enfuir ? Laissez les otages ! Ne leur faites pas de mal ! »
Ignorant le policier qui était légèrement têtu, Santa remonta sur son renne et lança un petit galop au hasard pour retrouver le duo qu'il suivait auparavant. Au terme de quelques minutes de chevauchée, le jeune homme jaillit d'un petit chemin transversale presque sous les sabots de sa monture, qu'il évita en se contorsionnant.
Le renne pila en voyant quelqu'un juste sous lui, et Santa passa par-dessus son encolure, s'écrasant par terre. Il serait tombé tête la première s'il n'avait pas eu le temps de mettre les mains devant lui, écopant au passage d'une foulure au poignet.
Il était en train de se remettre à quatre pattes quand le félin sauta au-dessus de lui, l'ignorant complètement, toujours à la poursuite de l'autre. Sur une grimace, le quadragénaire se releva et alla chercher le renne, qui s'était écarté de quelques pas, sans doute effrayé. Après l'avoir flatté quelques secondes, il se remit en selle avec un soupir.
Le fait que le lion soit totalement obnubilé par le jeune homme –qui était on ne savait comment parvenu à survivre jusqu'à présent, offrait peut-être une ouverture pour calmer la bête définitivement.
Tandis que Santa rattrapait le duo, il cogita sur la manière d'aborder la situation. La fatigue de la quasi-nuit blanche et du combat avec l'ours, ainsi que d'avoir couru un peu partout, commençait à se faire sentir. De même, la douleur de ses multiples blessures bénignes se rappelait à lui par pulsations maintenant que le rythme ralentissait, que l'adrénaline retombait.
L'Envoyé de Nowel reforgea sa concentration et se pencha vers l'avant, faisant ainsi comprendre à sa monture qu'il convenait d'accélérer, ce qu'elle fit de fort bon gré. Arrivant à hauteur du lion, il plongea sur celui-ci, les envoyant, lui et le félin, à terre.
Il immobilisa alors Jozper au sol du mieux qu'il put, sans même essayer de se relever. Il lui bloqua d'abord les pattes avant avec les bras, s'accrochant des jambes. Puis, quand les contorsions de la bête de zoo rendirent sa position précaire, il se retourna.
Pendant qu'il luttait, le lion se releva, mais ses appuis furent fauchés d'un coup de pied au ras du sol., le faisant tomber sur le côté. Attrapant son adversaire par la queue, Santa le tira brusquement en arrière. Ensuite, il tenta d'immobiliser la tête de la bête avec ses pieds croisés, bloquant également les puissantes pattes avant avec ses genoux et cuisses. Enfin, il s'agripa des mains aux poils du lion et gaina son corps.
Dans cette position, Jozper ne pouvait pas le mordre, ne pouvait pas se redresser, et les coups de pattes qu'il pouvait donner n'infligeaient que de maigres dégâts aux jambes du quadragénaire. Par contre, la posture était tout à fait désagréable et inhabituelle pour l'Envoyé de Nowel, qui se mit à souffler lourdement.
Santa espérait que le jeune homme qui avait fait diversion tout ce temps allait bientôt revenir avec des secours, ou une corde, histoire de ficeler le lion.
Cinq minutes plus tard, il n'y avait pas un son aux alentours, à part le renne qui broutait un peu d'herbe dans un coin. La sueur commençait clairement à perler sur son corps, et la douleur de ses quelques coupures et éraflures semblait négligeable par rapport à celle de ses muscles.
Dix minutes plus tard, même le renne était parti ailleurs, en quête d'herbe plus verte. La douleur de sa foulure au poignet commençait à concurrencer les grognements de ses muscles et son souffle d'abord profond s'était considérablement raccourci.
Dans une dernière contorsion, Jozper se libéra de son étreinte et fit quelques bonds pour s'écarter de Santa, qui se releva péniblement. Oublié, le jeune homme au cheveux noirs qui avait été poursuivi tant de temps. L'attention du lion était entièrement focalisée sur lui, et le quadragénaire ne se sentait pas de mener à nouveau un long combat.
Le son d'un sifflet se fit entendre, suivi d'une voix grave. Les mots étaient inintelligibles, mais le bruit des bottes frappant le sol au pas de course rassura Santa. Des renforts étaient sans doute en route. Après tout, les animaux ne portaient pas de bottes. Aux dernières nouvelles.
Comme supputé par l'Envoyé de Nowel, tout un groupe de marines fit son apparition, avec un civil essoufflé à son côté.
« - Ha ! C'est lui le preneur d'otages ?
- Mais j'vous ai dit que c'était pas un preneur d'otages !
- Ah, euh... Oui, pardon. Monsieur Santa, c'est ça ?
- Ho !... Ho !... Ho !... Répondit le colosse, le souffle court.
- C'est bon, j'ai des employés du zoo avec moi, ils vont s'occuper du lion. Ils ont des balles anesthésiantes, ou quelque chose comme ça... »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Dès que deux-trois fléchettes se furent plantées dans le corps de Jozper, celui-ci commença à dodeliner de la tête avant de se laisser glisser à terre sur un dernier baillement.
Un peu plus tard, une fois la situation calmée, Santa apprit que les dégâts étaient relativement minimes dès qu'on s'éloignait des zones où avait été posée de la dynamite. De même, aucun civil n'avait écopé d'une blessure grave, le pire étant quelques morsures. Mais comme les animaux étaient bien soignés, aucun transfert de maladie n'était à craindre.
En parlant des animaux, une grande partie avait été retrouvée sur la berge, derrière le zoo. Apparemment, l'arrivée imminente des marines avait incité les éco-terroristes à plier bagage sans embarquer tout le monde sur le bateau...
Santa regardait Shell Town disparaître dans le lointain, accoudé au bastingage, couvert de bandages. C'était déjà la fin de l'après-midi, étant donné qu'il avait fallu ensuite palabrer quelques heures avec la marine, histoire de donner son témoignage et le déroulement exact des événements.
Evidemment, il n'avait rien dit de Thomas Kennedy, son vieil ami qui avait trempé là-dedans, ni même du fait qu'il était au courant de l'attaque le soir précédent, pour ne pas s'attirer d'ennuis. Il repensa aux terroristes, qui étaient partis sans un regard en arrière. Cela le gênait. Et l'homme qui avait sauvé la petite fille. Il ne l'avait pas revu ensuite. Ni celui qui avait distrait le lion pendant toute la durée de l'attaque, l'empêchant de faire, peut-être, de nombreuses victimes.
Santa soupira. A son âge, il avait l'habitude de voir le passé s'envoler pour ne jamais revenir. Une occasion perdue n'était, en fin de compte, que ça.