
La Vengeance n’est pas un Plat
Flashback 1616
✘ Solo
Un nouveau craquement sinistre se fit entendre, long et semblant durer une éternité. Un nouvel éboulement fut audible tandis que la pièce se mettait à trembler de plus en plus fort. Le silence se fit soudain, nous nous étions tous figés, les yeux à la recherche de l’invisible. Pesant et pourtant bref, mais bien trop soudain, ce silence n’augurait rien de bon. Et, comme pour répondre à mon anticipation, une explosion survint, provenant d’un des étages inférieurs. Les murs, le sol, les escaliers, tout dans la pièce se mit à trembler de plus en plus fort tandis qu’une partie du mur du fond s’écroulait dans un fracas cacophonique. Les flammes s’engouffrèrent en masse dans l’ouverture, s’attaquant en premier lieu aux escaliers et à l’homme qui s’était tenu en retrait à cet endroit pour bloquer la sortie de Don Ferro. Son corps fut calciné en un instant, n’ayant même pas le temps de hurler, se transformant instantanément en une boule de feu à forme humaine. Le trou béant dans la pièce donnait directement sur l’extérieur mais ressemblait à une bouche bordée de petites dents brûlantes et vacillantes. La bouche de l’enfer.
« Bordel Georgio, non !! Et notre porte de sortie va bientôt s’effondrer, faut qu’on se tire de là ! » s’écria Riku, hors de lui et paniqué.
Tout ces évènements avaient détournés l’attention de la grosse dame, toujours sa massue en l’air. C’était le moment ou jamais. Je poussais de toutes mes forces restantes pour me relever rapidement, usant de ma main placée au centre de mon plexus pour ne pas perdre l’équilibre, le bout des pieds solidement ancrés dans le sol pour me soulever subitement. Une fois à moitié debout, je plaçais mon épaule encore valide en avant, me tournant légèrement de côté avant de foncer sur la femme à la massue. Mon épaule la frappa en plein ventre qui, bien que bedonnant, subit pleinement les dégâts. Déséquilibrée par son arme et ma poussée soudaine, elle se mit à tituber en arrière, décidant finalement de lâcher la lourde masse métallique qui s’écrasa au sol à la verticale, s’enfonçant suffisamment pour rester dans cette position.
« Putain, non ! » s’exclama Riku en me voyant frapper sa camarade. « Il est encore en vie ce con ?! Débarrasses toi de lui ! » fit-il sur un ton paniqué, regardant tout autour de lui avant de s’avancer prudemment vers les escaliers. « Je...je vais couvrir notre...voie de sortie, dépêches-toi ! »
Sur ces mots, il s’engouffra dans le passage encore praticable dans les escaliers descendants, au milieu des flammes. J’avais un gros doute quant au fait qu’il allait vraiment couvrir quoi que ce soit. Et, comme toute réponse, les escaliers s’effondrèrent, bloquant la sortie la plus proche. Je me tournais alors vers le couloir par lequel j’étais arrivé. Une énorme langue de feu en sortit, le reste du couloir étant devenu un enfer enflammé, et elle engloba le psycho et les deux autres corps me donnant l’impression d’un monstre qui avale ses proies après les avoir enroulés de sa langue.
Face à moi, mon adversaire s’était légèrement remise de sa perte d’équilibre, encore chancelante. Je m’élançais sur elle, ne lui laissant pas une seconde pour souffler, j’envoyais un coup de poing de mon seul bras encore en état, l’autre pendait derrière moi en étant secoué par mes mouvements. Je serrais les dents si fort qu’elles crissaient, mordant un bout de chair à l’intérieur de ma joue pour focaliser la douleur sur ce point, tant bien que mal, et me garder éveillé. Je frappais du genou, puis du pied, enchaînant autant que je pouvais, la femme accusant coups après coups en crachant du sang, les yeux révulsés par moments. Je la poussais au fur et à mesure vers le trou béant dans la pièce, m’approchant coups après coups, mètres après mètres.
« Ton chef t’a abandonné, ma chère ! » m’exclamais-je joyeusement, bien que mon visage disait le contraire. « Plutôt capiteux vos péchés ! »
Dans un cri de rage, je bondissais sur elle, les deux genoux pliés vers l’avant. Le choc fut brutal, en plein dans sa poitrine, mes deux genoux s’enfonçant légèrement en la soulevant du sol. Son corps massif passa par l’embouchure du mur, ses mains agrippant les bords bardés de flammes. Son visage était crispé, je pouvais y lire la douleur qu’elle tentait d’endurer en silence, mais déjà je me trouvais un genou sur sa poitrine alors qu’elle était presque à l’horizontal. Un sourire en coin qui, pour une fois, était convainquant. J’attrapais le col de sa chemise de ma main libre, approchant mon visage face au sien qui devenait de plus en plus rouge.
« Tu veux un bisou avant d’aller faire dodo ? » lui fis-je en imitant le ton maternel qu’elle avait prit plus tôt.
Je ramenais ma tête vers l’arrière avant de revenir pour lui asséner un violent coup de tête contre son front. Ses yeux se révulsèrent une nouvelle fois, une fois pour toutes ce coup-ci. Ses doigts lâchèrent les bords du mur, son corps se penchant dans le vide avant de chuter définitivement. Mon front se décollait du sien, laissant la marque du petit carré métallique de ma casquette imprimé sur son front. Toujours accroché à son col, je tombais avec elle, me tenant fermement en plaçant mon épaule contre sa poitrine en attendant le choc, légèrement recroquevillé pour limiter la casse. Et le choc vint, faisant trembler l’intégralité de mon corps, enfoncé l’espace d’un instant sur mon poids-à-présent-mort avant de rebondir dessus comme sur un trampoline. Je fus propulsé à plusieurs mètres de là, mon corps roulant quelques secondes sur le sol avant de m’arrêter sur le dos, les bras grands ouverts et les jambes écartées. Je souffrais immensément, je n’avais probablement jamais autant souffert physiquement jusque là. Chaque muscle, chaque os, chaque articulation de mon corps était endolorie. Je grinçais des dents en respirant rapidement.
« Quel bordel... » soufflais-je, ma tête posée de côté en direction du manoir aux prises aux flammes.
Du moins, ce qu’il en restait, je ne remarquais qu’à ce moment l’ampleur des dégâts. Les flammes étaient partout, immenses et destructrices, grignotant la bâtisse avec rapidité et efficacité. Je vis alors une silhouette connue qui courait dans ma direction avec hâte, couvert de poussière et de sang séché.
« Mazino t’es vivant, gamin ! » s’exclama Ivar, un air inquiet dans le regard alors qu’il observait l’état de mon corps. « Bordel, t’es dans un état pitoyable ! »
Je le regardais, mécontent mais ne pouvant qu’afficher un masque de douleur.
« Ouais...on peut dire ça...vieil homme. » soufflais-je, faible mais toujours moqueur comme à mon habitude avec ce quarantenaire moustachu.
« Ferme-la, gamin. » me fit-il doucement en me soulevant les épaules pour me tenir debout, me tenant fermement de sa grosse main probablement plus grande que ma tête. « Tu risquerais de crever sur une blague, ce serait con même venant de toi. »
Je retroussais ma lèvre supérieure à la manière d’un animal mécontent avant de cracher un gros glaviot ensanglanté par terre. Je saignais abondamment et j’avais mal partout, boitant d’une jambe et m’appuyant principalement sur Ivar pour tenir debout. Mon bras droit était toujours dans un piteux état, mais ça ne semblait pas avoir empiré, bien que je pouvais difficilement le dire tellement il était douloureux. Nous avions été rejoints par les survivants de notre camp, une dizaine d’hommes, tous blessés, et trois hommes inconscients plus grièvement touchés. Ainsi, près de la moitié des hommes qui m’avaient suivis dans cette entreprise étaient morts ou disparus sous les décombres du bâtiment qui commençait sérieusement à s’effondrer. Alors que nous avancions dans la cour extérieure, illuminée par les flammes, j’aperçus une porte s’ouvrir sur trois personnes, visiblement pressés.
« C..ce putain de Ferro... » dis-je, finissant ces quelques mots en crachant de nouveau par terre, suivi d’une quinte de toux qui me fit hurler de douleur derrière mes dents serrées.
Les hommes d’Ivar encore en état armèrent leurs fusils pour canarder les trois fuyards qui tentaient de s’échapper bien maladroitement. Ses deux gardes s’effondrèrent dès la première salve, le mafieux s’étant caché derrière l’un d’eux dans sa course. La seconde salve le toucha à trois endroits aux jambes. Don Ferro croula sous ses jambes désormais inutiles, roulant sur le sol la tête la première en hurlant de douleur. On s’approchait, ralentis par moi. Je posais ma main sur la grosse paluche d’Ivar pour lui demander de me lâcher. Je me mis à tituber en avançant de quelques pas.
« La...laisse-le moi, Ivar. » dis-je, l’appelant pour une fois par son prénom et non par ’vieil homme’.
Il se figea, m’observant attentivement avant de hocher la tête, intimant d’un geste de la main à ses hommes de baisser leurs armes. Ainsi, boitant à chaque pas en grognant entre mes dents, j’avançais en tentant tant bien que mal d’ignorer la douleur. J’arrivais jusqu’au petit homme qui se roulait au sol en pleurant, je l’attrapais au col, le tirant vers moi pour lui faire face. Sans dire un mot, je commençais par écraser mon front sur son nez comme toute introduction. Ses cris s’intensifièrent alors que je le ramenais en avant, sa tête partie en arrière suite à mon coup de boule.
« T’as pas..pas intérêt à perdre connaissance avant de...de crever. » bafouillais-je, stoppé par moments par des grimaces de douleur.
« Butain ! Qu’est-ce ze vous zai faait. » suite à son écrasement nasal, l’homme zozotait, du sang coulant de son nez jusqu’à sa bouche.
« Tu t...te souviens du vieil homme que t...t’as balancé l’année dernière au gouvernement mond..ial ? » commençais-je, la colère prenant le dessus sur la douleur qui animait mon visage. « Tu sais, le vieux prêtre qui ét...était tranq..uille dans s..son église ? » finis-je en le poussant au sol, poussant sur sa gorge.
« Ch’est...ch’est pour ça tout ça ? » s’exclama-t-il indigné, sa nature reprenant le dessus avant de se souvenir de sa position. « Ah..euh..oui..bien sûr, et ze...ze regrette ! Oui oui, ze regrette ! Voilà, désolé, ze regrette...ss’il vous plaît...ss’il vous plaît….épargnez-moi...ss’il vous plaît... » finit-il en pleurant, suppliant pour sa vie sous mon regard froid.
« Je..suis là pour le venger. » soufflais-je doucement, affirmant ma poigne sur sa gorge tandis que l’homme tentait de se débattre en s’agitant dans tout les sens, bloqué par ma force. « C’est pour Gareth, espèce de fils de hyène perfide. »
J’appuyais ainsi sans lâcher prise, observant attentivement le visage de Don Ferro, devenant plus rouge qu’une fraise bien mûre. Je restais ainsi pendant de longues secondes alors qu’une main se posait sur mon épaule, derrière moi.
« C’est finit, gamin. » dit Ivar doucement, sur ce ton paternel qu’il prenait parfois pour me calmer ou m’expliquer quelque chose. « Il est mort, tu as eus ta vengeance. » continua-t-il, mon regard fixé sur le visage désormais pâle de Don Ferro, Ivar referma sa main sur mon épaule alors que mon corps commençait à se pencher vers l’arrière, vidé de toute force. « Tu peux te reposer maintenant, gamin. »
Sur ces mots, ma vision se brouilla et mon corps s’effondra au sol en douceur, soutenu par Ivar. Je ne sentais plus mon corps, mes yeux flous observèrent les flammes avaler le manoir qui s’écroulait définitivement sur lui-même, emprisonnant tout les blessés, ou malchanceux qui n’avaient pas réussis à sortir à temps, dans un sarcophage de flammes. Alors que mes yeux se refermaient, mon corps acceptant le repos, je crus apercevoir une silhouette à bonne distance sur le côté du feu-manoir. Blond, un costume et un col roulé bordeaux. Puis le noir, mon inconscience prenant le relais pour un sommeil bien mérité.