« Il s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment » était une de ces formulations toute faite que la presse affectait tout particulièrement. Le malheur, cependant, n’avait ni domicile fixe et encore moins d’heure consacrée pour exercer son affliction, celui-ci se contentait en effet de planer et de rôder en divers endroits et à tout instant. L’infortune, on n’allait jamais à sa rencontre car c’était elle qui cheminait jusqu’à vous.
Désastres et mésaventures, protéiformes et irrésistibles, se choisissaient divers avatars en ce bas monde pour se concrétiser. D’un tsunami à une agression malvenue au détour d’une ruelle, la déveine prenait parfois forme humaine, au point de voir même se voir attribuer un nom. Le nom de ce concentré de désolation venu faire irruption au chantier naval de Logue Town en cette fraîche matinée, il tenait en deux mots : Alegsis Jubtion. Quand celui-ci était dans la parage, même avec les meilleures intention du monde en tête, en sa présence, on se trouvait toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
- « Bonjour, bonjour ! S’annonçait-il jovial et survolté, pareil au grondement du tonnerre qui précédait la dévastation de la foudre. Je viens pour acheter de la peinture. »
Le malheur ne frappait pas aux portes – celui-ci avait même la fâcheuse tendance des les oblitérer d’un coup de pied dans le cadre de ses attributions – aussi Alegsis avait pénétré sans complexe les abords du chantier naval pour gambader dans les immenses hangars où artisans, ouvriers et orfèvres usaient de la magie qu’ils avaient dans les mains pour donner lieu aux bâtiments maritimes qui, sous peu, fendraient les flots.
Un contremaître, apparemment coutumier de la bête qui s’était permise une intrusion malvenue, se détacha de ses occupations afin de lui barrer la route et ainsi entraver le plein potentiel de la nuisance qui venait à eux.
- « Pour la quatrième fois, Alegsis, s’agaçait-il les dents serrées dans sa barbe étoffée, c’est un chantier naval ici. »
La remarque, pour incisive qu’elle fut, était néanmoins pertinente au dernier degré. La peinture, dont Alegsis usait copieusement pour y étaler ses Color Traps, s’achetait en général en quincaillerie. Aussi était-il inopportun pour ne pas dire d’une débilité insane de venir au beau milieu d’un chantier naval pour espérer en faire l’acquisition.
Les arguments comptant parmi les plus censés de ce monde, toutefois, n’avaient aucune emprise sur l’idiotie révélée à l’état pur.
- « PEINTURE ! » Récriminait déjà le chasseur de primes et ses poings fermés, ses sourcils froncés sans qu’il ne parut menaçant pour autant.
Bien que de cet homme-là, on ne pouvait qu’en espérer le pire dans le registre de l’ânerie caractérisée, le contremaître resta un instant inerte, à la fois soufflé et désabusé par la réaction qui, chez lui, suggéra instantanément des envies de massacre.
- « Ce n’est pas en criant que la peinture va apparaître par ma.. »
- « PEINTURE ! » Reprit Alegsis de plus belle, persuadé de son bon droit bien que fourvoyé dans l'erreur jusqu'au coude.
Saisi au col par le gaillard dont les poignets étaient peut-être plus gros encore que les cuisses du casse-pieds qu'il se sentait de sermonner, le contremaître sentit l’écume lui venir aux lèvres. C’était un symptôme fréquent chez qui s’essayait à plus d’une minute de conversation avec Alegsis Jubtion.
- « Mais tu vas arrêter de gueul… »
Sa phrase, il n’eut pas le temps de l’achever que déjà, la nouvelle cartouche lui parvint dans les oreilles.
- « PEINTURE ! »
Les idiots, en plus d’être imbuvables, étaient réputés pour être bornés dans des obstinations folles sans que jamais la raison ne puisse les tempérer dans leur insanité.
- « Patron, intervint un des travailleurs qui, lui aussi, même de loin, était exaspéré par la scène, on a largement ce qu’il faut pour peindre les coques. Donnez-lui en qu’on en finisse. »
À Alegsis, pour échapper au courroux ambiant de sa crétinerie légendaire, il fallait lui rompre les os ou bien céder à ses lubies absurdes afin qu’il prit congé de vous. Initialement parti pour la première option, le contremaître savait cependant qu’il n’avait pas la loi pour lui. Bien que les seaux de peinture qu'il ramassa alors, à ce dégénéré de chasseur de primes, il les lui aurait en principe gracieusement envoyés en travers de sa gueule gueule, le travailleur céda de guerre lasse et les lui en abandonna trois dans les bras.
- « Tiens, espèce de débile, céda-t-il comme une reddition furieuse, la voilà ta peinture. Fous-moi le camp maintenant. »
Cette peinture, il la lui cédait comme un otage s’abandonnait aux doléances de son ravisseur. Et pourtant, Alegsis n’avait pas eu besoin de s’en remettre à la menace pour y parvenir ; simplement d’être lui-même : une calamité débonnaire bien qu’imprégnée de stupidité jusqu’au dernier atome qui le constituait.
Maintenant calmé, son visage grotesque et imbécile gagna en radiance, ravi de son acquisition, ayant oublié jusqu’à l’injonction à décarrer qui lui fut vertement adressée. Son cerveau ne retenait pas ce qui n'était pas susceptible de l'intéresser.
- « Gratuitement en plus ?! s’ébaudissait-il la bouche ouverte, du scintillement plein les prunelles. Oh bah merci alors. Pour la peine, je reviendrai. »
Il avait déjà fait volte-face en sifflotant que le contremaître, derrière lui, s’était effondré à genoux pour se confondre dans un long et désespéré « Noooooooon » d’agonie. Un cri qui, aux oreilles d’Alegsis, ne lui parvînt que comme un modeste clapotis venu s’ajouter à l’orchestre strident d’un chantier naval où rabots, scies et marteaux entamaient depuis l’aube une mélodie assourdissante.
En direction du dehors, dans l’étroite porte qui le conduisait hors du gigantesque hangar, une large carrure, arrivée à l’instant où il s’apprêtait à sortir, lui obstruait le chemin alors qu’il se situait dans l’embrasure de la sortie. D’une exclamation sans emphase ni étonnement, le chasseur de primes réagit alors posément en des termes qui ne pouvaient être que les siens.
- « Sapristi. Dégoisa-t-il frugalement après qu’il fut stoppé dans sa marche par la masse dressée devant lui, levant la tête bien haut afin de mieux toiser la bête sur son chemin. En voilà une grosse belette. »
Les présents propos, alors qu’il croisait un Minks pour la première fois de sa stupide existence, préfiguraient alors une suite de répliques puisées elle aussi dans le manque de tact tandis que, les bras chargés de ses pots de peinture, l’artiste-pitre usa de ses pieds afin de marteler les tibias de l’imposant lion situé devant lui.
- « Bouge de là métèque, tu vois bien que tu gênes, non ? » Requit innocemment et presque sympathiquement un chasseur de primes décidément bien mal embouché et peu au fait de ce qui incombait aux usages civils.
Certains – les plus idiots notamment – étaient simplement incapables de percevoir un danger flagrant, quand bien même une pancarte se serait trouvée dessus pour le signaler. Insulter aussi généreusement un Minks dont les mâchoire pouvaient broyer un homme constituait l’illustration même de cet état de fait.
Alegsis n’était pourtant pas de ces racistes qui lâchaient leurs opinions en la matière par malveillance, mais uniquement parce qu’il avait toujours considéré sain et naturel de s’exprimer ainsi. Jamais conscient d’être blessant, l’énergumène n’en finissait alors pas d’être odieux sans le savoir. Il avait le racisme heureux, Alegs. Ce qui, quelque part, le rendait finalement plus insupportable que les ségrégationnistes et autres xénophobes patentés car, lui, à la différence de ces derniers, n’hésitait jamais à faire étalage du fond de sa pensée avec gaudriole. Une pensée qui, dans un esprit aussi atrophié et arriéré que le sien, se formulait en autant de flatulences oratoires.
- « Ma parole, reprit-il face à la placidité immuable du colosse velu, t’as donc de la fourrure du trou du cul jusqu’aux oreilles ? S’excitait un peu plus le malappris aux bras encombrés par ses emplettes. Je t’ai dit de bouger, marsupial ! »
À en juger la présente altercation qui glaçait de stupeur tous ceux qui, dans le chantier naval, avaient posé un œil ou une oreille dessus, la concorde entre l’abruti notoire et le Minks qui venaient de se rencontrer au pas d’une porte trop étroite, n’était vraisemblablement pas en passe de s’établir dans les meilleurs termes. Pas sans que ce fut sans heurts en tout cas.
La première impression, disait-on, était cruciale si ce n’est indispensable. Fidèle à lui-même et à ses résolutions, Alegsis, sa première impression, il l’avait admirablement foirée ; et dans les grandes largeurs qui plus est. La suite de l’interaction – s’il ne périssait pas d’un coup de griffe dans l’instant – promettait d’être instructive.
Désastres et mésaventures, protéiformes et irrésistibles, se choisissaient divers avatars en ce bas monde pour se concrétiser. D’un tsunami à une agression malvenue au détour d’une ruelle, la déveine prenait parfois forme humaine, au point de voir même se voir attribuer un nom. Le nom de ce concentré de désolation venu faire irruption au chantier naval de Logue Town en cette fraîche matinée, il tenait en deux mots : Alegsis Jubtion. Quand celui-ci était dans la parage, même avec les meilleures intention du monde en tête, en sa présence, on se trouvait toujours au mauvais endroit au mauvais moment.
- « Bonjour, bonjour ! S’annonçait-il jovial et survolté, pareil au grondement du tonnerre qui précédait la dévastation de la foudre. Je viens pour acheter de la peinture. »
Le malheur ne frappait pas aux portes – celui-ci avait même la fâcheuse tendance des les oblitérer d’un coup de pied dans le cadre de ses attributions – aussi Alegsis avait pénétré sans complexe les abords du chantier naval pour gambader dans les immenses hangars où artisans, ouvriers et orfèvres usaient de la magie qu’ils avaient dans les mains pour donner lieu aux bâtiments maritimes qui, sous peu, fendraient les flots.
Un contremaître, apparemment coutumier de la bête qui s’était permise une intrusion malvenue, se détacha de ses occupations afin de lui barrer la route et ainsi entraver le plein potentiel de la nuisance qui venait à eux.
- « Pour la quatrième fois, Alegsis, s’agaçait-il les dents serrées dans sa barbe étoffée, c’est un chantier naval ici. »
La remarque, pour incisive qu’elle fut, était néanmoins pertinente au dernier degré. La peinture, dont Alegsis usait copieusement pour y étaler ses Color Traps, s’achetait en général en quincaillerie. Aussi était-il inopportun pour ne pas dire d’une débilité insane de venir au beau milieu d’un chantier naval pour espérer en faire l’acquisition.
Les arguments comptant parmi les plus censés de ce monde, toutefois, n’avaient aucune emprise sur l’idiotie révélée à l’état pur.
- « PEINTURE ! » Récriminait déjà le chasseur de primes et ses poings fermés, ses sourcils froncés sans qu’il ne parut menaçant pour autant.
Bien que de cet homme-là, on ne pouvait qu’en espérer le pire dans le registre de l’ânerie caractérisée, le contremaître resta un instant inerte, à la fois soufflé et désabusé par la réaction qui, chez lui, suggéra instantanément des envies de massacre.
- « Ce n’est pas en criant que la peinture va apparaître par ma.. »
- « PEINTURE ! » Reprit Alegsis de plus belle, persuadé de son bon droit bien que fourvoyé dans l'erreur jusqu'au coude.
Saisi au col par le gaillard dont les poignets étaient peut-être plus gros encore que les cuisses du casse-pieds qu'il se sentait de sermonner, le contremaître sentit l’écume lui venir aux lèvres. C’était un symptôme fréquent chez qui s’essayait à plus d’une minute de conversation avec Alegsis Jubtion.
- « Mais tu vas arrêter de gueul… »
Sa phrase, il n’eut pas le temps de l’achever que déjà, la nouvelle cartouche lui parvint dans les oreilles.
- « PEINTURE ! »
Les idiots, en plus d’être imbuvables, étaient réputés pour être bornés dans des obstinations folles sans que jamais la raison ne puisse les tempérer dans leur insanité.
- « Patron, intervint un des travailleurs qui, lui aussi, même de loin, était exaspéré par la scène, on a largement ce qu’il faut pour peindre les coques. Donnez-lui en qu’on en finisse. »
À Alegsis, pour échapper au courroux ambiant de sa crétinerie légendaire, il fallait lui rompre les os ou bien céder à ses lubies absurdes afin qu’il prit congé de vous. Initialement parti pour la première option, le contremaître savait cependant qu’il n’avait pas la loi pour lui. Bien que les seaux de peinture qu'il ramassa alors, à ce dégénéré de chasseur de primes, il les lui aurait en principe gracieusement envoyés en travers de sa gueule gueule, le travailleur céda de guerre lasse et les lui en abandonna trois dans les bras.
- « Tiens, espèce de débile, céda-t-il comme une reddition furieuse, la voilà ta peinture. Fous-moi le camp maintenant. »
Cette peinture, il la lui cédait comme un otage s’abandonnait aux doléances de son ravisseur. Et pourtant, Alegsis n’avait pas eu besoin de s’en remettre à la menace pour y parvenir ; simplement d’être lui-même : une calamité débonnaire bien qu’imprégnée de stupidité jusqu’au dernier atome qui le constituait.
Maintenant calmé, son visage grotesque et imbécile gagna en radiance, ravi de son acquisition, ayant oublié jusqu’à l’injonction à décarrer qui lui fut vertement adressée. Son cerveau ne retenait pas ce qui n'était pas susceptible de l'intéresser.
- « Gratuitement en plus ?! s’ébaudissait-il la bouche ouverte, du scintillement plein les prunelles. Oh bah merci alors. Pour la peine, je reviendrai. »
Il avait déjà fait volte-face en sifflotant que le contremaître, derrière lui, s’était effondré à genoux pour se confondre dans un long et désespéré « Noooooooon » d’agonie. Un cri qui, aux oreilles d’Alegsis, ne lui parvînt que comme un modeste clapotis venu s’ajouter à l’orchestre strident d’un chantier naval où rabots, scies et marteaux entamaient depuis l’aube une mélodie assourdissante.
En direction du dehors, dans l’étroite porte qui le conduisait hors du gigantesque hangar, une large carrure, arrivée à l’instant où il s’apprêtait à sortir, lui obstruait le chemin alors qu’il se situait dans l’embrasure de la sortie. D’une exclamation sans emphase ni étonnement, le chasseur de primes réagit alors posément en des termes qui ne pouvaient être que les siens.
- « Sapristi. Dégoisa-t-il frugalement après qu’il fut stoppé dans sa marche par la masse dressée devant lui, levant la tête bien haut afin de mieux toiser la bête sur son chemin. En voilà une grosse belette. »
Les présents propos, alors qu’il croisait un Minks pour la première fois de sa stupide existence, préfiguraient alors une suite de répliques puisées elle aussi dans le manque de tact tandis que, les bras chargés de ses pots de peinture, l’artiste-pitre usa de ses pieds afin de marteler les tibias de l’imposant lion situé devant lui.
- « Bouge de là métèque, tu vois bien que tu gênes, non ? » Requit innocemment et presque sympathiquement un chasseur de primes décidément bien mal embouché et peu au fait de ce qui incombait aux usages civils.
Certains – les plus idiots notamment – étaient simplement incapables de percevoir un danger flagrant, quand bien même une pancarte se serait trouvée dessus pour le signaler. Insulter aussi généreusement un Minks dont les mâchoire pouvaient broyer un homme constituait l’illustration même de cet état de fait.
Alegsis n’était pourtant pas de ces racistes qui lâchaient leurs opinions en la matière par malveillance, mais uniquement parce qu’il avait toujours considéré sain et naturel de s’exprimer ainsi. Jamais conscient d’être blessant, l’énergumène n’en finissait alors pas d’être odieux sans le savoir. Il avait le racisme heureux, Alegs. Ce qui, quelque part, le rendait finalement plus insupportable que les ségrégationnistes et autres xénophobes patentés car, lui, à la différence de ces derniers, n’hésitait jamais à faire étalage du fond de sa pensée avec gaudriole. Une pensée qui, dans un esprit aussi atrophié et arriéré que le sien, se formulait en autant de flatulences oratoires.
- « Ma parole, reprit-il face à la placidité immuable du colosse velu, t’as donc de la fourrure du trou du cul jusqu’aux oreilles ? S’excitait un peu plus le malappris aux bras encombrés par ses emplettes. Je t’ai dit de bouger, marsupial ! »
À en juger la présente altercation qui glaçait de stupeur tous ceux qui, dans le chantier naval, avaient posé un œil ou une oreille dessus, la concorde entre l’abruti notoire et le Minks qui venaient de se rencontrer au pas d’une porte trop étroite, n’était vraisemblablement pas en passe de s’établir dans les meilleurs termes. Pas sans que ce fut sans heurts en tout cas.
La première impression, disait-on, était cruciale si ce n’est indispensable. Fidèle à lui-même et à ses résolutions, Alegsis, sa première impression, il l’avait admirablement foirée ; et dans les grandes largeurs qui plus est. La suite de l’interaction – s’il ne périssait pas d’un coup de griffe dans l’instant – promettait d’être instructive.
Dernière édition par Alegsis Jubtion le Mar 11 Avr 2023 - 8:31, édité 3 fois